ROME, Mardi 27 mai 2008 (ZENIT.org) – « L’écologie, de la Bible à nos jours. Pour en finir avec les idées reçues », ce livre-enquête de Patrice de Plunkett est paru aux éditions de L’Œuvre.
Patrice de Plunkett, journaliste et écrivain bien connu est notamment l’auteur de « Benoît XVI et le Plan de Dieu ». Il anime aussi un blog en ligne.
Zenit – Patrice de Plunkett , comment est né le projet de « L’écologie, de la Bible à nos jours » ?
P. de Plunkett – De deux urgences : la crise mondiale de l’environnement, qui pousse à un nouvel art de vivre. Et l’urgence de faire connaître à tous – notamment aux écologistes – la pensée chrétienne dans ce domaine ! D’où ce livre : c’est une enquête sur hier et aujourd’hui. Vis-à-vis de l’homme dans la nature, que s’est-il passé avec la naissance du christianisme, avec le Moyen Âge, avec Descartes, avec les Lumières, avec le capitalisme industriel ? Et aujourd’hui : pourquoi la situation au XXe siècle a rendu nécessaire l’apparition de l’écologie, pourquoi la question va dominer le XXIe siècle, pourquoi elle nous concerne tous… La crise alimentaire, les crises du pétrole, de la biodiversité, du climat, de la déforestation, des OGM : quelles en sont les causes ? Quel est leur impact sur le politique et sur les idées ? Le sujet de cette enquête est vital ; il commande l’avenir de la planète, donc celui de l’humanité. J’ai découvert des choses que je tiens à partager avec tous.
Zenit – Justement : on croyait que l’écologie, c’est de nos jours et pas biblique ! Mais vous posez la question: « la Bible a-t-elle pollué le monde ? » Pourquoi ?
P. de Plunkett – Cette question imprègne les esprits. Je suis journaliste : mon métier est d’être attentif à l’air du temps, aux impressions des gens, aux idées du grand public. Si vous parlez environnement avec un collègue de bureau, au bout de deux minutes il vous dira : « Est-ce que le saccage de la nature ne vient pas de la Bible, avec son ‘dominez la terre’ ? » C’est une accusation très répandue. Elle vient d’intellectuels antichrétiens, qui l’ont infusée dans une partie du mouvement écologiste. Et elle est aggravée par des chrétiens, qui croient devoir être « anti-écologie » parce que certains écologistes sont anti-chrétiens, etc. Il faut sortir de ce cercle vicieux ! J’ai donc repris les textes de la Bible juive et chrétienne : la Genèse, le Deutéronome, les prophètes, les psaumes, le Cantique, les évangiles, les épîtres, l’Apocalypse, et j’ai étudié leur message sur l’homme et la nature. Il est frappant : Dieu crée l’homme pour le rendre jardinier, berger et « prêtre » du reste de la Création. Non pour qu’il la saccage. Et Paul nous dit que toute la Création – pas seulement l’homme – est appelée au salut en Jésus-Christ ! C’est une promesse inouïe et une responsabilité pour l’humanité ! L’esprit profond de l’écologie, c’est la Révélation judéo-chrétienne. Voilà le début de mon livre.
Zenit – Un autre préjugé tombe : celui des siècles « obscurs » du Moyen Age. On y voit plutôt le travail des moines. Qui sont les chantres de l’écologie au temps des cathédrales ?
P. de Plunkett – L’esprit « écologique » de la Bible irrigue le Moyen Age. Le monde des moines est celui des psaumes : au rythme du cosmos. Le monde architectural des cathédrales est une fabuleuse éclosion du végétal, du forestier. Le retable de l’Agneau mystique (van Eyck) est un hymne à la nature transfigurée. Les théologiens les plus rigoureux (Alain de Lille, Hugues de Saint-Victor, Hildegarde de Bingen) ont des accents incroyablement écologiques pour parler de la nature. Le symbole du jardin verdoie dans toute la pensée religieuse médiévale. Quant au mouvement franciscain du XIIIe siècle, il est étonnamment proche de l’écologie chrétienne d’aujourd’hui : solidarité de l’homme et du reste de la Création (« mon frère le soleil », « ma sœur l’eau »), et nouvelle évangélisation dans les villes en pleine révolution économique ! Le parallèle avec notre temps saute aux yeux. C’est pourquoi Jean-Paul II a nommé saint François patron des écologistes…
Zenit – Le progrès chanté par l’âge moderne est-il contre la « nature » ?
P. de Plunkett – « Progrès » est un mot ambigu. Les conquêtes de la science sont bonnes si l’on en fait bon usage ! Or on a vu apparaître aux XVIIe-XVIIIe siècles l’idée d’une « science-pouvoir » et d’une nature « machine », livrée à l’homme (« machine » lui aussi) pour qu’il l’exploite sans limites. Cette conception du progrès était celle des Lumières, et s’est imposée contre la vision chrétienne. Elle a été ensuite la vision du XIXe siècle et de la révolution industrielle, qui a transformé les travailleurs en esclaves et la nature en chantier. Au XXIe siècle, on voit le butoir de ce processus : la nature est tellement exploitée que ses ressources faiblissent et que ses équilibres se dérèglent. Certains veulent croire que le technologique va remplacer le naturel, mais c’est une utopie ; l’homme ne peut se passer de la biosphère dont il fait partie. Il doit donc changer de façon de vivre et de vision de la vie : le vrai progrès sera de ramener l’activité économique à une dimension humaine, de se libérer de la tyrannie du profit, de renoncer au mythe de la croissance productiviste indéfinie – condamnée de toute façon par l’épuisement du pétrole. Cette tyrannie et ce mythe sont par ailleurs contraires aux leçons de la Bible !
Zenit – A partir de quand peut-on parler d’écologie ?
P. de Plunkett – Il y a des précurseurs : le réchauffement climatique est prédit dès 1880 par l’abbé Stoppani (géologue de l’Académie royale des sciences de Milan) et en 1900 par Arrhenius (Suédois, prix Nobel de chimie). Mais l’écologie naît à la fin des années 1960, quand l’opinion prend conscience des effets du productivisme industriel sans frein. Vers 1970, on voit naître l’écologie « politique », qui veut amener les gouvernements à prendre en compte la responsabilité de l’homme envers la nature. C’est bien plus qu’un « souci de l’environnement » : il s’agit de réinventer le politique pour qu’il soit à la hauteur des défis de l’avenir.
Zenit – A la fin du XXe siècle, d’aucuns mettaient encore en doute le réchauffement climatique et différentes séquelles du bond en avant des techniques sur les continents et les océans. On en a fini avec ces doutes sur le diagnostic ?
P. de Plunkett – Une rumeur a circulé selon laquelle « la communauté scientifique était divisée au sujet du réchauffement ». C’est faux. Les climatologues sont seuls compétents jusqu’à nouvel ordre, et ils sont formels : le climat s’échauffe depuis le début du XXe siècle, et de façon exponentielle depuis les années 1980. Ceux qui le nient ne sont pas des climatologues ! Et la climatologie (science fiable, science du long terme) n’est pas aléatoire comme la météo…
Ce qui est faux également, c’est de dire que les climatologues « doutent du rôle de l’activité économique dans le réchauffement ». Sans ce rôle, l’accélération du réchauffement n’existerait pas. Elle correspond à la mondialisation du productivisme industriel ! Certes il y a des petits groupes qui militent pour nier tout cela ; mais, sans vouloir polémiquer, je signale que Newsweek et le Sénat américain, en 2007, ont identifié ces groupes comme appointés par des multinationales pétrolières. Si vous entendez dire que « les scientifiques sont divisés sur la question climatique », vous savez d’où cela vient.
Zenit – Même chez les catholiques, on s’est parfois montré frileux par peur
de la politisation de l’écologie, ou de l’idéologie… Or vous parlez des « papes verts » ! On a tout dit sur Jean-Paul II, mais pas forcément cela ! Pourquoi ?
P. de Plunkett – Les catholiques sont divisés sur la question. Certains sont attentifs aux directives écologiques (fermes et argumentées) qui viennent de Rome et des évêques depuis vingt ans : souvenez-vous du flamboyant message de Jean-Paul II pour la Journée de la paix du 1er janvier 1990. Ou du discours de Benoît XVI aux jeunes, à Lorette, le 2 septembre 2007. Ou du document de l’épiscopat français en 2000. Mais d’autres catholiques font la sourde oreille… Paradoxalement, on les trouve parmi ceux qui se disent les plus «classiques » : mais c’est du libre service, ils prennent ce qui les arrange et n’écoutent pas le reste. Or il faut se laisser interpeller par le Magistère : et si son enseignement contredit nos petites opinions séculières (informées comment, d’ailleurs ?), n’hésitons pas à changer nos opinions. En témoigne – excusez-moi – ma propre évolution sur la question écologique… J’y étais peu sensible naguère. J’ai évolué à l’écoute de l’Eglise. Par exemple en découvrant la lettre du cardinal Ratzinger à la revue « L’Ecologiste », et l’article de cette même revue en 2005 : « Habemus papam ecologistum » ! Vous trouvez tout cela raconté dans mon livre.
Zenit – Des Bénédictins à Benoît XVI il y a une affinité, dans le domaine de l’écologie aussi. On ne l’attendait pas forcément sur ce terrain… Oubliait-on qu’il vient des montagnes bavaroises ?
P. de Plunkett – On oubliait aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être un grand sportif comme Karol Wojtyla pour comprendre et aimer la nature. Elle est la Création. On ne peut pas être théologien sans aimer ce que Dieu crée. J’avais senti cette profonde affection de Josef Ratzinger envers le monde créé, lorsque j’avais eu l’honneur d’être reçu par lui et d’être son interlocuteur lors d’une de ses venues à Paris dans les années 1990. Je crois aussi, et comme vous le dites, que ce sens « cosmique » est plus spontané chez un Allemand que chez un Français : question de tropismes culturels…
Zenit – L’écologie est donc inséparable du social : en gros, de « l’humain » ?
P. de Plunkett – L’écologie « radicale » (« allant à la racine ») ne sépare pas les domaines. Le social et l’environnement sont liés au modèle économique, et l’ensemble définit la société humaine ; si l’on veut remédier aux nuisances envers l’homme et la nature, il faut modifier le modèle économique, comme Benoît XVI l’a demandé le 12 novembre 2006. Seul le politique peut y parvenir. Mais le politique dépend de la vision de la vie, de la philosophie sociale : et elles-mêmes appartiennent au monde de l’esprit, qui touche au spirituel ! Tout est lié. C’est pourquoi l’écologie fait partie de la doctrine sociale de l’Eglise, que tous les catholiques devraient étudier…
Zenit – Pour la Journée mondiale de l’environnement, ce 5 juin, MM. Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, et Achim Steiner, directeur exécutif du PNUE, ont appelé à « réfléchir aux actions que chacun peut mettre en œuvre ». Y compris les catholiques ?
P. de Plunkett – Il y a deux milliards de chrétiens sur la planète, dont plus d’un milliard de catholiques. Si cette masse d’humanité se plaçait à l’avant-garde du nouvel art de vivre écologique, ce serait une révolution mondiale. Ouvrons nos fenêtres d’Européens sur le reste du monde ! Ce sera salubre, et pour nous, et pour lui. Les appels de l’Eglise à la solidarité de la planète chrétienne pour le bien commun de l’humanité sont exaltants, si on les écoute avec l’esprit clair et le cœur ouvert. C’est aussi pour les faire connaître du grand public que j’ai écrit ce livre. Ecrire est ma contribution professionnelle à cette mobilisation.
Patrice de Plunkett : <i>L’écologie, de la Bible à nos jours – Pour en finir avec les idées reçues. (Editions de L’Oeuvre, 20 euros).
Propos recueillis par Anita S. Bourdin