France : Le miracle de Faverney, par le card. Vingt-Trois

Quatrième centenaire du prodige eucharistique

Share this Entry

ROME, Mardi 27 mai 2008 (ZENIT.org) – « Il y a eu des milliers de témoins (…) on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une supercherie », a fait observer le cardinal archevêque de Paris, André Vingt-Trois, dimanche dernier, en la fête du Saint-Sacrement et lors de la célébration du 4e centenaire du Miracle de Faverney (1608), dans le diocèse de Besançon.

Plus de 7 000 pèlerins étaient présents entre samedi soir et dimanche pour les célébrations à Faverney, en Haute-Saône, à 20 km de Vesoul. Ce miracle a consisté dans le fait d’un ostensoir et de ses hosties consacrées, sauvés des flammes et suspendus en l’air durant 33 heures devant des milliers de témoins.

Samedi 24 mai, les célébrations ont été ouvertes par la messe présidée par le nonce apostolique à Paris, Mgr Fortunato Baldelli.

Evangile selon saint Jean chapitre 6, versets 51 à 58

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et Sœurs, croyez-vous vraiment que vous allez vivre éternellement ? Je sais bien que l’on a l’habitude d’écouter l’Évangile d’une oreille accommodatrice et de mettre quelques nuances dans ce que nous entendons, mais enfin, il l’a dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang vivra de ma vie, éternellement ». Les Juifs qui discutaient entre eux et qui se disaient : « Comment cet homme-là peut-il donner sa chair à manger ? », n’étaient pas de mauvais esprits ; ils n’étaient pas des hommes incrédules ; ils étaient peut-être tout simplement des gens qui réfléchissaient. Quand ils entendaient Jésus leur dire qu’il allait leur donner sa chair à manger, on comprend qu’ils se soient posé quelques questions. Les gens de Faverney qui voyaient l’ostensoir au-dessus des flammes, on comprend qu’ils se soient posé quelques questions. Les Juifs sortis d’Egypte qui voyaient s’ouvrir devant eux une longue traversée du désert sans manger et sans boire, on comprend qu’ils se soient posé quelques questions aussi. Alors, nous aussi nous pouvons nous poser des questions ! Ce que nous venons d’entendre, est-ce vraiment la Parole de Dieu ? Ou bien sont-ce seulement des morceaux choisis de textes édifiants que l’on pourrait trouver dans des livres d’images à destination des enfants ou des simples d’esprit ? Ce que nous constituons aujourd’hui, est-ce une assemblée d’Église ? Ou est-ce simplement le rassemblement fortuit de quelques milliers de personnes qui ne savaient pas trop quoi faire ce dimanche et qui ont été attirés curieusement par l’annonce qui avait été faite d’un miracle à Faverney ? Le pain que nous allons recevoir, est-ce vraiment le corps du Christ ou bien seulement une évocation mystérieuse et symbolique d’une forme de présence qui n’est pas vraiment une présence mais qui n’est pas non plus tout à fait une absence ?

Vous voyez que, pour les esprits curieux et ingénieux, il y a beaucoup de questions à se poser. Les habitants de Faverney et, à travers eux, nous tous qui sommes ici réunis aujourd’hui, nous avons quand même beaucoup de chance : le « coup » de l’ostensoir qui monte au-dessus des flammes, s’il s’était déroulé seulement devant quelques moines un peu endormis, on aurait pu dire ensuite que c’était une belle supercherie, mais comme il y a eu des milliers de témoins, qui n’étaient pas tous endormis, et dont certains même étaient à jeun, à moins d’être mal renseigné, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une supercherie. Trop de gens ont vu. Ce n’est pas une supercherie, c’est un prodige. Qu’on essaye de l’expliquer, c’est normal : nous sommes faits pour cela, nous avons une intelligence pour essayer de comprendre. On n’y arrive pas toujours et on n’y arrivera peut-être pas non plus ce coup-là, mais le signe ne nous est pas donné pour que l’on découvre de nouvelles lois de la physique ou de la philosophie. Il nous est donné pour que nous prenions position. Les Juifs dans le désert, Dieu ne leur a pas donné la recette de la manne, il leur a donné la manne. Il ne leur a pas demandé d’expliquer comment la manne était arrivée, il leur a demandé de la manger. Pour expliquer, il y a des générations depuis quelques millénaires, et sans doute pour les millénaires à venir, il y a des générations de savants, d’exégètes, d’intelligences brillantes qui cherchent et pourront trouver peut-être une explication. Quand on marche dans le désert du Sinaï, on rencontre parfois des gens qui vous expliquent que tel arbuste produit de temps en temps des fleurs qui, se reposant dans la rosée, donnent une espèce de pâte… Qu’est-ce que cela change ? Que ce soit un arbuste ou que ce soit autre chose ? Ce n’est pas pour cela que l’Ecriture nous l’a raconté.

Elle nous a raconté cet épisode pour nous faire comprendre d’où vient la vie de ce peuple qui ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. L’Ecriture nous rapporte à plusieurs reprises cet événement pour nous aider à comprendre que le Peuple sorti d’Egypte, en marche vers la Terre promise, ne devait pas compter sur les relais de poste ou les auberges mais devait compter sur la grâce de Dieu pour arriver au bout. C’est Dieu qui l’a nourri, c’est Dieu qui l’a abreuvé, c’est Dieu qui l’a conduit et c’est Dieu qui l’a mené à bon port, enfin pas ceux-là, les suivants. Parce que, ceux-là, ils sont morts avant d’arriver, justement parce qu’ils n’avaient pas cru que Dieu les conduisait. Il leur a dit : « Puisque vous n’avez pas cru en moi, eh bien, vous ne verrez pas la terre promise », ce sera la génération suivante. C’est pour cela que leur pérégrination a duré 40 ans.

Un signe nous est donné pour solliciter, non pas seulement notre esprit curieux, non pas seulement notre intelligence, mais surtout notre foi. Tout à l’heure, celles et ceux d’entre-vous qui s’avanceront pour recevoir l’Eucharistie comme de pauvres gens qui reçoivent leur vie de quelqu’un d’autre, quand le prêtre ou le diacre leur présentera l’hostie en disant : « Le corps du Christ », ils seront devant un prodige bien plus important que de savoir si l’ostensoir penchait un peu sur la grille du chœur ou s’il tenait vraiment tout seul en l’air, un prodige bien plus important que de savoir si la manne venait directement du ciel ou si elle avait transité par un arbuste, ils seront devant un prodige bien plus extraordinaire. Ce pain leur est présenté : « Le corps du Christ », et ils disent : « Amen. J’y crois, je le crois ». Pas parce que le bonhomme qui leur présente le corps du Christ avec son bel habit serait plus fiable qu’un autre ! Ce n’est pas moi que vous allez croire, ce n’est pas moi qui vous ai dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », c’est le Christ. Amen à Jésus-Christ. Je crois en ce qu’il m’a dit, je crois ce qu’il a dit. Je crois à ce qu’il nous dit : Aujourd’hui, « celui qui mange ma chair et boit mon sang, aura la vie éternelle », aujourd’hui.

Les théologiens, à juste titre, cherchent des manières d’exprimer comment ce morceau de pain, apparemment si insignifiant, si pauvre dans sa visibilité et dans sa substance, peut devenir une nourriture de vie éternelle, comment ce morceau de pain peut vraiment être le corps du Christ. Comme l’intelligence humaine est sans limite ou presque, ils trouvent des moyens d’exprimer cela, mais ma foi ne va pas aux théologiens. Je ne crois pas aux explications, je crois à la Parole du Christ. Peut-être ne suis-je pas capable de comprendre ce que cela veut dire, mais je suis capable de dire : « Amen, je crois ». Aujourd’hui, nous qui sommes rassemblés, petit peuple de quelques milliers de personnes dans une grande région qui en compte quelques centaines de milliers, sommes-nous un signe ? Notre prière commune, notre fête célébrée e
nsemble, veulent-elles dire quelque chose de plus qu’une simple réunion festive, par chance et par grâce sous le soleil. Veulent-elles dire quelque chose de plus sur la présence du Christ aujourd’hui dans le monde ?

Car sa présence, nous la croyons dans sa Parole, nous la croyons dans son Eucharistie, nous la croyons dans l’Église, Corps du Christ assemblé. Quand nous nous saluons, quand nous prions ensemble, nous ne faisons pas que dire des formules, nous faisons exister le corps du Christ ressuscité pour ce temps et pour ce monde. Si nous croyons que la Parole que nous avons entendue, c’est sa Parole ; si nous croyons que le pain que nous recevons, c’est son corps si nous croyons que l’assemblée que nous formons, c’est sa présence aujourd’hui dans le monde, alors nous constituons par notre existence un ferment de transformation du monde. De même que la manne a conduit le peuple à travers le désert jusqu’au pays de Canaan, de même que la Parole du Christ rassemble à travers les siècles et les espaces ceux qui la reçoivent comme Parole de Dieu, de même que le pain eucharistique est vénéré comme la présence du Christ au milieu de son peuple, de même l’Église constituée des baptisés, des confirmés dans l’Esprit du Christ est un signe de la réalité de la présence du Christ en ce temps. Non seulement quand nous sommes rassemblés comme aujourd’hui dans une grande fête d’Église, non seulement quand nous sommes rassemblés chaque dimanche dans des Eucharisties qui, pour être moins festives que celle que nous célébrons aujourd’hui, n’en sont pas moins le signe de la présence du Christ vivant, mais encore quand l’Esprit du Christ nous disperse, non pas pour nous perdre et nous noyer à travers les soucis et les activités du jour, non pas pour nous désespérer à travers les épreuves que chacune et chacun d’entre-nous peut rencontrer dans sa vie, mais au contraire pour que nous donnions le témoignage de la foi et de l’espérance, pour manifester que nous croyons que le Christ ressuscité donne à tout homme et à toute femme qui croit en lui la promesse de surmonter non seulement les petites difficultés quotidiennes, non seulement les épreuves plus graves de la maladie, de la trahison, de la séparation, mais encore celle de la mort. Le Christ vivant nous donne l’espérance que, malgré nos faiblesses, nous sommes signe de la promesse de Dieu pour les hommes et pour les femmes de ce temps, pour tous les hommes et toutes les femmes de ce temps, dans toutes les situations où les circonstances de la vie nous placent par notre choix ou contre notre gré, – mais qui d’entre nous choisit vraiment tout ce qu’il vit ?

Nous sommes conduits par les circonstances, par les obligations, par les devoirs qui nous échoient, nous sommes conduits à vivre un certain nombre de situations : des situations heureuses, des situations malheureuses, des situations pleines de dynamisme, des situations pleines de fatigue. L’espérance de voir vos enfants et vos jeunes cheminer vers une vie heureuse, la patience d’accompagner vos parents, vos grands-parents, jusqu’au terme d’une vie paisible,… nous savons que tout le monde porte cela en son cœur, mais combien peuvent le réaliser ? La foi au Christ fait de nous des sentinelles vigilantes pour que nous ne nous laissions pas écraser par la vie, submerger par l’existence. Nous pouvons vivre debout parce que Dieu nous promet, mieux encore : il nous donne le pain qui est la chair du Christ.

Quand l’Église nous invite à célébrer la fête du Saint-Sacrement, elle ne vise pas à remplacer la célébration dominicale et l’Eucharistie que nous célébrons chaque dimanche, pas plus qu’elle ne veut remplacer la mémoire de la Cène que nous fêtons le Jeudi Saint. Elle veut simplement nous aider à affermir notre foi dans cette présence du Christ : il est vraiment présent et parce qu’il est vraiment présent, chacune et chacun d’entre nous peut, lui aussi, devenir vraiment présent au monde, à l’humanité, à celles et à ceux que la vie met sur votre chemin, pas simplement comme un réconfort moral ou par de vagues sentiments de solidarité, mais comme quelqu’un qui est prêt à donner quelque chose de lui-même parce qu’il reçoit du Christ non seulement quelque chose de lui-même mais sa vie toute entière.

Alors, frères et sœurs, dans la mémoire du 400ème anniversaire, et surtout dans la mémoire plus lointaine du 2000ème anniversaire du don que Jésus a fait de sa vie, dans la mémoire plus lointaine encore de ce temps où le peuple sorti d’Egypte a été nourri par Dieu à travers le désert, laissez grandir en vous la certitude paisible que Dieu nous nous a pas sortis de l’esclavage et de la mort pour nous faire crever de faim au milieu du désert ; il ne nous a pas appelé à être baptisés dans son Église pour nous laisser manquer de nourriture et de boissons. Il n’a pas fait de nous des chrétiens pour nous conduire au désespoir. Il veut nous faire partager sa vie et partager sa vie, c’est la joie de notre vie. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel