« On parle beaucoup de l’euthanasie », mais de quoi s’agit-il ? (IV)

Entretien avec Mgr Suaudeau

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ROME, Vendredi 7 mars 2008 (ZENIT.org) – « On parle beaucoup de l’euthanasie », mais «  on ne sait pas toujours très bien » ce dont il s’agit, fait observer Mgr Suaudeau dans cet entretien, dont voici le quatrième et dernier volet (cf. Zenit des 4, 5 et 6 mars 2008).

« Euthanasie, déshumanisation de la mort et fuite de l’engagement personnel face à la mort » : c’est le titre d’un rapport établi par Marguerite A. Peeters, rédactrice en chef de l’ « Interactive Information Services », un service d’information spécialisé dans l’étude de la mondialisation, de ses concepts-clefs et de ses mécanismes opérationnels (cf. IIS 274, du 25 février 2008).

Dans cet entretien, qui fait partie du rapport, M. Peeters rencontre Mgr Jacques Suaudeau, de l’Académie Pontificale pour la Vie (APV), à l’occasion de la 14ème assemblée générale qui a eu lieu au Vatican les 25 et 26 février autour des problèmes de fin de vie : « Auprès du malade incurable et du mourant : orientations éthiques et opératoires ».

Marguerite A. Peeters – Dans le rapport médecin-patient, la décision d’euthanasie est-elle prise de manière « consensuelle » ?

Mgr J. Suaudeau – Dans la pratique de l’euthanasie, dans les deux pays où l’euthanasie est acceptée, l’euthanasie, ou le suicide assisté plutôt, est pratiqué par le médecin. Là il y a toute une question du rapport médecin-patient. Dans des pays comme le Canada ou l’Espagne, le médecin doit se plier à la volonté du patient : on y reconnaît le caractère contraignant, par exemple, des directives anticipées. En France, on en reconnaît la valeur, mais relative, car on sait très bien que les gens changent d’avis : ce n’est pas ce qu’ils ont écrit un jour qui est valable le lendemain. Dans ces cas-là, le médecin devrait se transformer en exécutant. Pratiquement, le malade demande à mourir, et le médecin devrait aller chercher le barbiturique et le lui donner.

Marguerite A. Peeters – Un contrat pervers donc ?

Mgr J. Suaudeau – La relation entre le médecin et le malade devrait aller au-delà du contrat et être une relation de confiance réciproque, et une relation dans laquelle le médecin aussi pose ses conditions d’emblée, en tant que médecin. Le médecin ne peut pas donner la mort : c’est le serment d’Hippocrate. C’est bien pour cela qu’on veut aujourd’hui changer les choses. Le médecin est fait pour la vie. Il n’est pas obligé de maintenir la vie à tout prix, mais il ne peut pas donner la mort. Par exemple, il y a eu toute une discussion pour utiliser des médecins pour faire des injections létales dans les exécutions aux Etats-Unis. L’association des médecins s’est élevée contre cette pratique : le médecin ne peut pas participer à une exécution telle quelle. Il n’y a pas droit, du fait de sa vocation médicale. Il faut que les choses soient claires. Vis-à-vis de l’état, cela fait partie des objections de conscience. Justement de ce point de vue-là, les médecins ont bien signifié qu’ils ne peuvent pas donner la mort à cause même de leur vocation de médecin. D’ailleurs, la possibilité que les médecins donnent la mort, c’est très grave, car du coup, un doute terrible s’installe chez les gens et qui existe déjà chez certaines personnes âgées : je vais à l’hôpital, mais qu’est-ce qui va se passer à l’hôpital ? Est-ce que je peux vraiment avoir confiance dans les infirmières, dans les médecins ? Est-ce qu’on ne va pas mettre sans ma volonté quelque injection tranquillisante ? La rupture de la relation de confiance est terrible dans le domaine médical.

Marguerite A. Peeters – Pouvez-vous donner une idée de la proportion de la pratique de l’euthanasie en Occident ?

Mgr J. Suaudeau – Les chiffres sont très difficiles à joindre, parce que justement ce n’est pas comptabilisé. Dans les pays où l’euthanasie n’est pas permise, on ne le dit pas. Mais disons que si on regarde les chiffres hollandais, il s’agit de quelques milliers par année. Il semble que les chiffres réels dépassent les chiffres déclarés. Dans un pays comme la France, on pourrait peut-être arriver un chiffre comme 5.000, ou à la limite 10.000. Je ne pense pas que les chiffres dépassent cela. Car malgré tout, la plupart des gens meurent chez eux, dans des conditions normales, dans des évolutions de pathologies où il n’y a pas de raisons d’accélérer. L’euthanasie concerne certains patients et ne peut pas s’appliquer à tous : cela réduit obligatoirement le nombre de cas. Le chiffre d’« interruptions médicales de grossesse » donné par l’Agence de la Biomédecine dans son rapport 2006 est de 6.441 pour l’année 2005, alors que le dernier chiffre d’avortements (IVG uniquement) en France donné par l’INED est de 206.300 pour la même année. On aura ce même phénomène pour l’euthanasie. On aura un certain nombre, qui n’est pas négligeable, mais c’est quand même un nombre limité, car malgré tout, la plupart des médecins s’y refusent. En Hollande, on a quand même des difficultés à trouver des médecins qui la pratiquent.

(Fin)

© IIS

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ZENIT Staff

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