ROME, Vendredi 22 février 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 24 février, troisième dimanche de carême, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 4, 5-42
Il arrive ainsi à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph, et où se trouve le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était assis là, au bord du puits. Il était environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger.) La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.)
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l’eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari : là, tu dis vrai. »
La femme lui dit : « Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors, explique-moi : nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l’adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit : « Moi qui te parle, je le suis. »
Là-dessus, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que demandes-tu ? » ou : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :
« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers Jésus.
Pendant ce temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se demandaient : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre. Ne dites-vous pas : ‘Encore quatre mois et ce sera la moisson’ ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson. Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit avec le moissonneur. Il est bien vrai, le proverbe : ‘L’un sème, l’autre moissonne.’ Je vous ai envoyés moissonner là où vous n’avez pas pris de peine, d’autres ont pris de la peine, et vous, vous profitez de leurs travaux. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause des paroles de la femme qui avait rendu ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y resta deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de ses propres paroles, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant ; nous l’avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »
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La Samaritaine, ou de la vie éternelle
Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus fait une proposition radicale à la Samaritaine et à tous ceux qui, d’une certaine manière, se reconnaissent dans ce qu’elle vit : chercher une autre « eau », donner un sens nouveau et un nouvel horizon à leur vie. Un horizon éternel ! « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». Le mot éternité est un mot tombé en « désuétude ». Il est devenu une sorte de tabou pour l’homme moderne. On se dit que cette pensée peut détourner les gens de leur engagement historique et concret à changer le monde, que c’est un moyen de s’évader, une manière de « gaspiller au ciel les trésors destinés à la terre », comme le disait Hegel.
Mais quel en est le résultat ? La vie, la souffrance humaine, tout devient immensément plus absurde. On a perdu la mesure. Sans le contrepoids de l’éternité, toute souffrance, tout sacrifice, apparaît absurde, démesuré, ils nous « déséquilibrent », nous jettent à terre. Saint Paul a écrit : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de gloire ». Par rapport à l’éternité de la gloire, le poids de la peine lui semble « léger » (lui qui dans la vie a tant souffert !) précisément parce qu’il est momentané (« d’un instant »). Il ajoute : « les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18).
Le philosophe Miguel de Unamuno (qui était pourtant un penseur « laïc »), répondait en ces termes à un ami qui lui reprochait sa recherche d’éternité, comme s’il y voyait de l’orgueil et de la présomption : « Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, et que la logique nous le démontre, je dis que nous en avons besoin, que nous le méritions ou pas, c’est tout. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j’ai soif d’éternité, et que sans cela, tout m’est indifférent. Sans cette éternité, il n’y a plus aucune joie de vivre… C’est trop facile de dire : ‘Il suffit de vivre, il suffit de se contenter de cette vie’. Et ceux qui ne s’en contentent pas ? » Ce n’est pas celui qui désire l’éternité qui prouve ne pas aimer la vie, mais celui qui ne la désire pas, dans la mesure où il se résigne aussi facilement à la pensée que celle-ci doive prendre fin.
L’Eglise, mais aussi la société, aurait beaucoup à gagner à redécouvrir le sens de l’éternité. Cela l’aiderait à retrouver un équilibre, à relativiser les choses, à ne pas tomber dans le désespoir face aux injustices et à la souffrance qui existent dans le monde – tout en les combattant -, à vivre de manière moins frénétique.
Toute personne a, dans sa vie, à un moment donné, une intuition de l’éternité, une sensation, même si celle-ci est confuse… Il faut veiller à ne pas chercher l’expérience de l’infini dans la drogue, dans le sexe effréné et dans
d’autres choses, porteuses, en définitive, uniquement de désillusion et de mort. « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif », dit Jésus à la Samaritaine. Il faut chercher l’infini vers le haut, et non vers le bas ; au-delà de la raison, non pas en deçà, dans l’ébriété irrationnelle.
Il est clair qu’il ne suffit pas de savoir que l’éternité existe, il faut aussi savoir comment l’atteindre. Il faut se demander, comme le jeune homme riche de l’Evangile : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Dans le poème « L’Infini », Leopardi parle d’une haie qui « dérobe au regard tant de pans de l’extrême horizon ». Que représente pour nous cette « haie »? L’obstacle qui nous empêche de porter notre regard vers l’extrême horizon, l’horizon éternel ? Ce jour-là, la Samaritaine comprit que quelque chose devait changer dans sa vie si elle voulait obtenir la « vie éternelle », car nous la retrouvons peu après transformée, en train d’évangéliser, racontant à tous, sans complexe, ce que Jésus lui a dit.