ROME, Jeudi 5 juillet 2007 (ZENIT.org) – « L’Eglise qui est en Chine va grandir dans la grâce et la connaissance de Jésus Christ…. La lettre de Benoît XVI va être lue, expliquée et commentée en petits groupes dans tout le pays. Elle restera longtemps un texte de référence ».
C’est ce qu’affirme le père Yihm Sihua de Hong-Kong, francophone, qui se rend régulièrement sur le continent chinois pour des visites pastorales, et qui a accepté de répondre aux questions de Zenit sur la manière dont la lettre du pape aux catholiques de Chine a été reçue.
Zenit : Père Yihm, dans quel état d’esprit les catholiques chinois attendaient-ils cette lettre ?
Y. Sihua :Ils l’attendaient avec beaucoup d’impatience et de curiosité. Ils me demandaient souvent : « Mais quand va-t-on enfin pouvoir la lire ? » Elle avait été annoncée dès janvier 2007 et beaucoup d’entre eux ne comprenaient pas qu’il faille tant de temps pour l’écrire.
Zenit : Et comment cette lettre a-t-elle été accueillie ?
Y. Sihua : L’immense majorité des catholiques chinois ne l’a pas encore lue. En effet, les médias chinois n’en ont pas du tout parlé et les sites catholiques qui l’avaient mise sur internet à la disposition des internautes ont été obligés, par la censure chinoise, de la retirer. Maintenant, elle circule à titre de document privé. Ceux qui ont de la famille à l’étranger, à Hong-Kong ou à Taïwan la reçoivent dans leur courrier personnel et la font circuler autour d’eux.
Ma première réaction à sa lecture a été de trouver cette lettre un peu longue et assez difficile à comprendre. J’aurais souhaité un texte plus abordable par les catholiques chinois de la base. Beaucoup vivent à la campagne et n’ont qu’un niveau d’éducation primaire.
Mais en la relisant, je me suis rendu compte que c’était de la belle dentelle : l’analyse de la situation de l’Eglise en Chine est à la fois très fine et complète. Toutes les grandes difficultés actuelles sont passées en revue, de plus la nécessité d’une plus grande unité et d’une communion forte est bien soulignée. Le texte est direct : il demande à Pékin de garantir la liberté religieuse du pays, laissant entendre que celle dont jouissent les croyants actuellement est tout à fait insuffisante. La lettre affirme aussi que l’Association Patriotique (contrôlée par le gouvernement) n’est pas une organisation d’Eglise ; elle rappelle que ce sont les évêques qui doivent diriger l’Eglise. En même temps, le texte est respectueux des personnes : les évêques qui ne sont pas en communion avec Rome sont considérés avec délicatesse. Plusieurs ont accepté contre leur gré l’ordination épiscopale, ils ont été l’objet d’un chantage honteux. Ils ne sont pas entièrement responsable de cette situation dans laquelle on les a poussés.
Les catholiques chinois que je connais ont accueilli la lettre de Benoît XVI avec beaucoup de joie : joie de se rendre compte que le Saint Père les porte dans son cœur, qu’il comprend si bien leurs problèmes et qu’il leur fait confiance pour les résoudre. Joie aussi de constater qu’il accepte de parler haut et fort pour le bien de l’Eglise locale et de la Chine dans son ensemble. Seul, un nombre infime d’extrémistes risque d’être déçu : certains espéraient une condamnation ferme de toute collaboration avec les autorités politiques, d’autres auraient souhaité des louanges du socialisme.
Zenit : Père Yihm, quels fruits, à votre avis, cette lettre va-t-elle porter ?
Y. Sihua :Les évêques, les prêtres, les religieuses et les laïcs, qui ne peuvent pas communiquer facilement avec l’extérieur, vont tirer avantage de ces nouveaux repères que leur donne la lettre. En cas de doute, de flottement ou de conflits, ils pourront réfléchir ensemble bien conscients des enjeux de la situation et réagir en connaissance de cause. Leur capacité de discernement s’en trouvera améliorée. Ce sera pour eux l’occasion d’approfondir l’Evangile et d’apprendre à résoudre les problèmes de façon chrétienne.
L’Eglise qui est en Chine va grandir dans la grâce et la connaissance de Jésus Christ (2 P 3, 18). Cette lettre va être lue, expliquée et commentée en petits groupes dans tout le pays. Elle restera longtemps un texte de référence.
Zenit : Est-ce que cette lettre, d’après vous, peut contribuer à améliorer les relations entre l’Eglise catholique qui est en Chine et le gouvernement de Pékin ?
Y. Sihua :Je parlerais plutôt d’assainir ces relations en rejetant la corruption, les combines et toute discrimination fondée sur les convictions personnelles, en respectant davantage les lois du pays et de l’Eglise.
La plupart des responsables politiques, à tous les niveaux, mais aussi de nombreux responsables d’Eglise, ne connaissent pas la loi chinoise ; de plus, ils ne font pas de distinction entre le domaine de la politique et celui de la foi. Le gouvernement chinois insiste depuis des années pour que l’Eglise catholique ne s’ingère pas dans les affaires intérieures du pays mais, lui-même, s’ingère constamment dans celles de l’Eglise : dans certaines régions il attise les divisions entre communautés, s’oppose à ce que des jeunes gens soient ordonnés prêtres, empêche les changements de postes de curés de paroisse, ne permet pas qu’un évêque exerce son ministère dans un autre diocèse que le sien, refuse des permissions pour des célébrations exceptionnelles.
J’ai beaucoup de respect pour un responsable de la Sécurité Publique du sud du pays. Appelé à régler un conflit entre deux pasteurs protestants qui ne s’entendaient pas, il refusa d’intervenir expliquant que c’était une affaire strictement religieuse. Malheureusement, une telle réaction est encore rare dans le pays.
Zenit : Pensez-vous que cette lettre puisse amener les catholiques de l’Eglise souterraine à rejoindre l’Eglise officielle ?
Y. Sihua : Tout d’abord, évitons de parler de deux Eglises distinctes sur le continent chinois. Il n’y a qu’une Eglise catholique en Chine mais qui est écartelée entre différentes tendances. Il y a, premièrement, les communautés légales, qui ont accepté de se faire enregistrer selon la loi chinoise auprès du gouvernement. Elles l’ont fait pour diverses raisons : parce qu’elles voulaient récupérer leur église, parce les autorités locales tolérantes leur inspiraient confiance, parce que les membres de l’Association Patriotique respectaient leur prêtre, parce que l’évêque du diocèse avait été reconnu par Rome.
Ces catholiques, qui représenteraient aujourd’hui moins d’un tiers du chiffre total, vivent parfaitement en communion avec l’Eglise universelle même s’ils sont infiltrés par le gouvernement.
Il y a ensuite les communautés qui vivent dans l’illégalité : c’est-à-dire qu’elles ont refusé de faire une démarche qui les aurait placées sous l’autorité de l’Association Patriotique et du Bureau des Affaires Religieuses. Leur refus s’enracine dans plusieurs motifs : les autorités locales ne leur inspirent pas confiance, l’évêque du lieu n’est pas en communion avec Rome, certains de leurs prêtres sont en prison ou en résidences surveillées.
Ces catholiques veulent à tout prix préserver autour d’eux un espace de liberté qui permette à leur communauté chrétienne de vivre pleinement sa foi et de la transmettre aux jeunes générations. Pour eux, sortir maintenant de leur clandestinité serait de la naïveté. Ce serait se jeter dans les bras de l’Association Patriotique et perdre cette liberté religieuse pour laquelle ils ont tant lutté. Ce n’est pas souhaitable
du tout pour le moment. Il leur faut encore patienter et attendre que le gouvernement desserre son contrôle sur les religions.
Pour cela il faudra encore beaucoup de temps et de la bonne volonté de part et d’autre comme le dit Benoît XVI dans sa lettre. Prions pour que cela arrive sans trop tarder et dans le respect mutuel des différentes personnes concernées.