ROME, Mardi 24 avril 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une analyse du docteur Carlo Valerio Bellieni, directeur de l’unité de soins intensifs néonatals à la Polyclinique universitaire "Le Scotte" de Sienne et membre de l’Académie pontificale pour la Vie sur le rôle du médecin. Le médecin doit-il soigner ou satisfaire ? s’interroge le docteur Bellieni.
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Les récents cas de soins de mauvaise qualité enregistrés en Italie mettent en évidence l’existence de vraies ou prétendues fautes ; mais ces cas montrent aussi que la profession médicale a ses limites. Qu’il s’agisse d’ « erreurs » ou d’ « insuccès thérapeutiques », ces limites sont inhérentes à la profession même du médecin, et à l’humanité de celui qui la pratique. Mais il y en a d’autres qui entrent dans le cadre des lois et du bon sens : par exemple la limite à ne pas se servir des patients comme cobayes, qui bloque ainsi toute possibilité scientifique mais que nous jugeons absolument indispensable. Nous revendiquons également la limite de ne pas mettre fin à une vie, de sélectionner ou éliminer des embryons, des fœtus, même si c’est le public qui le demande.
Nous devons comprendre quel est vraiment le rôle du médecin et quelles sont ses vraies limites : le médecin doit-il soigner ou satisfaire ? Mais pour cela, il convient d’abord de nous interroger sur l’objet de sa profession, c’est-à-dire sur la santé, et sur la manière de ne pas tomber dans les dérives commerciales ou, plus cyniquement encore, sur la manière de ne pas succomber à la mode du moment.
La santé c’est quoi ? Pour répondre à cette question nous devons partir de l’expérience : quand éprouvons-nous le sentiment de ne pas être en bonne santé ? La réponse est facile : « Quand nous n’arrivons plus à faire une chose que nous avions l’habitude de faire avant ou quand nous n’arrivons pas à faire ce que les autres arrivent à faire ». Par exemple, quand nous n’arrivons plus à courir comme avant, ou à marcher normalement parce que nous sommes atteints d’une paralysie. Comme on le voit, l’idée de santé est profondément liée à l’idée de désir. Et il est évident qu’on ne parle pas d’un « caprice », mais d’un vrai désir. La différence entre ces deux termes est vite vue : le désir doit impliquer que l’on cherche à obtenir quelque chose qui est inscrit dans la nature de la personne. Ainsi, vouloir le même nez qu’une célèbre actrice relève du caprice, alors que vouloir réparer son nez pour éviter les moqueries ou rétablir une fonction respiratoire relève du désir.
Nous sommes loin de la position de l’Organisation Mondiale de la Santé qui définit la santé comme « un état de bien-être physique, mental et social complet ». Cette définition, née pour s’opposer à l’idée que la santé n’est que l’absence de maladies, ouvre la voie à une claire utopie : le bien être complet est impossible : qui peut dire n’avoir jamais eu à se plaindre ? Qui peut se dire totalement satisfait ? Cette définition de l’OMS est une définition qui porte à deux conséquences malheureuses : une insatisfaction existentielle (si la santé est un droit, mais que la pleine satisfaction est impossible, mon droit est donc impossible) ; et le pur caprice : moi seul suis capable de déterminer mon degré de satisfaction, et je sais que ma satisfaction n’est pas totale … alors je dois m’ « inventer » des désirs qui élèveront mon niveau de satisfaction, puisqu’en satisfaisant jusqu’à présent mes désirs, ma satisfaction était réduite. Eh oui, car cette définition crée une confusion entre les mots ‘santé’ et ‘bonheur’. La société moderne croit que le bonheur est une question de satisfaction (chercher à avoir tout ce que l’on veut). Non, ça ne fait que multiplier les nécessités d’avoir encore plus de désirs à satisfaire, et – en théorie – d’avoir plus de bonheur.
Mais alors qu’est-ce que la santé ? C’est la possibilité de s’affirmer dans les désirs profonds qui nous caractérisent : désir de beauté, de bonheur, de liberté et d’amour. Mais nous devons savoir faire la part des choses entre les « grands » désirs, qui sont ceux que nous venons d’énumérer, et les désirs « partiels » qui sont ceux de tous les jours et qui n’ont de valeur que s’ils ouvrent la voie à la satisfaction des premiers. Donc la santé d’un octogénaire qui a du mal à se déplacer peut être meilleure que celle d’un jeune de 16 ans recalé à l’école, car la mesure de notre état ne dépend pas de ce que l’on fait, mais de ce que l’on peut faire par rapport à ce que nous désirons – à moins que nos désirs ne se soient atrophiés...
Que le contraire de la santé n’est alors pas la maladie est un corollaire de cette définition du mot « santé ». Des athlètes de grande qualité s’exhibent dans des manifestations sportives, assis sur des fauteuils roulants, ou skiant sur une seule jambe. Or personne ne dit qu’ils ne sont pas des athlètes ou que leur prestation n’est pas hautement sportive ; et qu’ils ne sont pas en bonne santé. Il suffit d’ailleurs de voir tous ces gens tristes et mal dans leur peau. Ils ne souffrent pourtant d’aucune pathologie particulière. On en déduit donc que le réel contraire du mot ‘santé’, vu comme « possibilité de répondre à un désir », est le désespoir.
L’on comprend alors aisément ce que signifie le mot « bien-être ». Dans son acceptation moderne, ce mot tend à être utilisé pour qualifier notre état quand nous pouvons disposer de choses superflues si bien que notre bien-être finirait paradoxalement, par se mesurer en fonction des déchets que nous produisons. En réalité, cette conception est limitée et insuffisante : obtenir des choses dont on finit par se lasser tôt ou tard ne suffit pas à garantir notre sérénité. Le bien-être réel consiste à avoir conscience de sa propre santé : je me sens bien quand je sais que je m’affirme moi-même.
Surgit alors le problème de ce que signifie l’expression « s’affirmer soi-même », car la confondre avec une vision égocentrique et égoïste de la vie serait trop facile. En réalité, je m’affirme quand je réponds à mes désirs, mais pas à mes caprices, ni à mes besoins : caprices et besoins n’étant pas dignes d’être définis des « désirs ». Ces désirs dont je parle sont mon ADN éthique, ce qui est inscrit au fond de mon cœur : le désir de beauté, de bonheur, d’amour, de liberté. Par conséquent, notre cheminement vers la santé passe par la réalisation de
désirs partiels successifs aptes à nous ouvrir à ces « grands désirs » dont nous parlions plus haut.
Nous pouvons donc comprendre maintenant ce que veut dire « soigner » : soigner veut dire favoriser l’assouvissement des « grands désirs » en satisfaisant nos désirs partiels.
Et l’on comprend bien que pour soigner il faille miser sur les premiers avant de traiter les seconds.
En somme : l’action de soigner est une action qui part de l’homme. L’homme qui se consume pour le destin d’un autre homme, dans la mesure de ses capacités et en utilisant les instruments qui lui sont propres. Le médecin soignera avec ses instruments, le prêtre avec les siens, l’enseignant avec d’autres encore. Et la méthode est la même. De tout cela on peut en déduire aussi que les actions entreprises par le médecin ne visent pas toutes à soigner. Par exemple favoriser l’usage d’anabolisants dans le sport ; interrompre une grossesse ; céder à certaines prétentions absurdes qui consistent à remodeler le corps selon les modèles véhiculés par la publicité. Tout ceci fait la différence entre le fait de ‘s’ouvrir à la réalisation de soi’ et le ‘s’affirmer soi-même’. Dans le premier cas (la réalisation de soi) son prochain est vu comme un allié ; dans le
second cas (affirmation de soi), il est vu comme une entrave ou comme un moyen à saisir.
Il est d’autre part erroné de dire que les opérations pharmacologiques sont le seul moyen de soigner et que l’action du médecin s’arrête là : la parole, l’écoute, l’attention que l’on porte à la prévention, au milieu ambiant et au soutien économique peuvent et doivent constituer les pivots d’action du médecin.
D’où cette grande différence entre le médecin qui « soigne » et le médecin qui « satisfait ». La structure sanitaire veut ‘satisfaire’ et les patients aussi réclament cette satisfaction, mais est-ce bien là le cœur de la profession médicale ?
Malheureusement, en créant tant de désirs et de caprices, la pression des médias n’est pas étrangère à cette dérive : nos rues pullulent de panneaux, les télévisions, internet, ne cessent de nous bombarder de messages assimilant le bonheur et la consommation. Cela dit, les sociétés pharmaceutiques ont, elles aussi leur part de responsabilité quand elles favorisent leur propre invention de nouvelles maladies créées de toutes pièces pour vendre des médicaments : c’est ce qu’on appelle le
disease mongering : c’est-à-dire créer des nécessités pour vendre des remèdes. Et nous savons bien aujourd’hui à quel niveau de consommation nous sommes arrivés, par exemple dans le domaine de la reproduction, où l’on multiplie les examens médicaux au nom d’une hypothétique garantie de la « perfection » du nouveau-né. Certains articles sur la surconsommation procréative et sur comment le diagnostic prénatal est devenu acceptable en France (un phénomène en expansion également en Italie), sont significatifs.
Dans le domaine de la chirurgie esthétique, de la fécondation in vitro, de l’euthanasie, on ne compte plus les demandes. Des demandes qui veulent être satisfaites même si elles ne sont pas liées directement à la recherche de la santé. Le médecin, semblerait-il, « doit garantir la guérison », pas soigner … qui plus est fournir « un service », sans poser de questions et encore moins d’objections.
C’est pourquoi nous ne devons cesser de réclamer notre droit de vivre une profession médicale qui ait à cœur de
soigner et non de
satisfaire, d’avoir des médecins – non des machines à ordonnances – qui s’intéressent à l’homme, à ses besoins et à ses souffrances.
XIIe assemblée générale ordinaire du synode des évêques
Journée mondiale de prière pour les vocations
Journée de prière pour les vocations, dimanche 29 avril