ROME, Vendredi 20 avril 2007 (ZENIT.org) – Les enfants juifs cachés en Belgique pendant la Shoah: Antoinette Brémond a participé à ce colloque international organisé en Israël. Son compte rendu est publié en ligne par le site “Un écho d’Israël” (http://www.un-echo-israel.net/article.php3?id_article=4223).
« Notre histoire est très particulière. On nous appelait « les enfants de l’ombre », car nous n’avions pas de passé ». Ainsi s’exprimait le professeur de médecine en neuropédiatrie, Shaul Harel, initiateur et président du colloque international réunissant du 15 au 19 avril à Jérusalem les enfants cachés en Belgique pendant la Shoah.
Plus de 60 ans après leur libération, les enfants cachés de Belgique, vivant en Israël, en Belgique, ou ailleurs ont voulu se retrouver, renouer entre eux et honorer leurs bienfaiteurs, sans doute une dernière fois. Ce colloque a donc réuni les enfants survivants, des spécialistes de la Shoah et quelques rares participants de l’opération de sauvetage dont Andrée Geulen, juste parmi les nations, et honorée cette année par Yad Vashem, le jour du souvenir de la Shoah.
Entrer dans l’hôtel Dan Panorama, à Jérusalem, où a lieu ce colloque, c’est se trouver au milieu d’adultes qui, tout au plus profond, sont encore ces enfants cachés, contents de pouvoir « en parler » avec d’autres ayant vécu des expériences parallèles. Les plus jeunes, cachés dans les premières années de leur vie, ne se rappellent pas grand chose. Certains sont là pour rechercher des traces de ce passé. Sur un mur, un tableau d’affichage : « Je cherche des enfants cachés de telle date à telle date dans tel couvent » ou encore « Je cherche à retrouver contact avec telle famille dans tel village ».
Comme me le disait Eli : « J’étais si petit quand j’ai été caché, transporté d’une famille à une autre, que je ne connais même pas mon histoire ! J’espère retrouver ici mon itinéraire d’enfant caché ». Né en France, de parents belges, puis retourné en Belgique, ses parents ont été déportés à Malines puis à Auschwitz. Elie est parti à 9 ans en Israël avec « l’Alya des jeunes ». Avec un groupe important d’enfants de Belgique, tous orphelins, rejoignant à Marseille un groupe d’enfants français, ils ont immigrés en Israël en 1949 et ont été accueillis dans un village d’enfants, Nitzanim, près d’Ashkelon. Puis ce fut le kibboutz. A cet âge, les enfants n’avaient qu’un désir : se mêler aux enfants israéliens, oublier leur passé, apprendre l’hébreu, bâtir leur vie… C’est tout dernièrement, lors d’un voyage scolaire à Auschwitz , que les enfants d’Eli ont appris… Pour Elie, venir à ce congrès, c’était un peu aller à la rencontre de son histoire.
Plusieurs films et conférences sont au programme permettant de mieux saisir cette histoire et sa répercussion sur les enfants cachés, puis sur la deuxième et troisième génération. Dans le film « comme si c’était hier » les enfants cachés-adultes nous racontent leur histoire. Les sauveteurs nous parlent du réseau clandestin de la résistance, ou de la raison si simple, leur semble-t-il, pour laquelle ils ont accueillis et caché des enfants juifs.
Dans la Belgique des années noires, les nazis mènent, comme en France, une impitoyable chasse aux Juifs. Les familles sont déportées avec leurs enfants. Suite à une rafle, une dizaine de femmes et deux hommes entreprennent en juillet 1942 de créer un réseau clandestin : le « Comité de défense des Juifs ». Réalisant qu’ils ne pourront pas empêcher la déportation des adultes, ce comité s’organise pour sauver les enfants. Dans ce réseau, trois groupes : le premier va passer de famille en famille pour demander aux parents de leur laisser leurs enfants. Ils les cacheront dans une famille ou un institut non juif pour la durée de la guerre. Par mesure de sécurité, les parents ne pourront pas connaître le lieu où seront leurs enfants. Le deuxième groupe cherchait ces familles ou institutions acceptant de cacher ces enfants. Le troisième groupe, le bureau, fabriquait de faux papiers, des tickets de rationnement et trouvaient de l’argent. Pour dissimuler les caches des enfants, le réseau avait mis en place en système complexe de 5 carnets secrets, chacun contenant des informations que ne renfermaient pas les autres, et seule la combinaison des cinq carnets pouvait révéler la cache, et permettre, plus tard, aux parents restés en vie de retrouver leurs enfants.
Andrée Geulen, l’une des responsable de ce Comité, était là, à ce congrès, avec ces carnets secrets et son témoignage de femme blonde aux yeux bleus, ayant pu souvent prendre des risques que ne pouvaient prendre ses collaboratrices juives. Certains participants au congrès ont pu, grâce à ces carnets, retrouver leurs parcours d’enfants. Andrée Geulen témoigne : « Parmi les militants de ce réseau, il y avait des Juifs et des non juifs. Plusieurs parmi ces derniers, sont aujourd’hui parmi les Justes des nations. Nous avions deux adresses. Les mères désirant cacher leurs enfants déposaient dans notre boîte des petits papiers avec leur adresse ».
Ainsi, en Belgique, 4259 enfants ont été déportés avec leurs parents. Parmi les 4000 enfants cachés entre 1942 et 1944, la plupart ont été sauvés, même si, comme partout, des dénonciateurs ont permis aux Allemands de trouver ces cachettes. Et 2790 de ces enfants sauvés étaient orphelins après la Shoah. En 1961, 300 de ces enfants étaient encore chez leurs parents d’adoption.
La Belgique comptait environ 70 000 Juifs en 1940, et la moitié d’entre eux a été sauvée grâce à l’aide des non-Juifs.
A Bruxelles, l’administration belge refusa catégoriquement d’obéir aux Allemands installés en Belgique depuis le 10 mai 1940 : refus de donner des listes de noms, des adresses, refus d’aller arrêter les Juifs etc. Pourquoi ? Leur réponse était claire : par respect pour la dignité de la personne humaine. Et grâce à ce refus de collaboration, seul un tiers des Juifs de cette ville ont été déportés. A Anvers, par contre, l’administration belge ayant « obéi » aux Allemands, les deux tiers de la population juive ont péri.
L’historien Maxime Steinberg, puis le psychologue Marcel Frydman ont parla des traumatismes de ces enfants cachés qui, le plus souvent, n’ont pas pu ou pas voulu parler: « Nous n’étions que des enfants », c’était souvent là leur seul témoignage. Traumatismes dus à la peur , à la séparation brutale de la famille, à la perte d’identité, puisqu’ils devaient oublier leur origine juive et changer de nom. Ceux qui, après la guerre, ont voulu raconter se trouvaient souvent devant un mur : « Toi, tais-toi ! Tu as eu de la chance d’être sauvé ! » Ou alors : « Eh oui, tu as passé la guerre à la campagne ». Personne ne voulait écouter ces petits.
En sortant, je rencontre un autre de ces enfants-cachés-grand-pères israéliens : « C’est dur d’entendre tout cela, on croyait l’avoir oublié, mais c’est comme si c’était hier ! Je crois que je ne resterai pas les quatre jours ».
Sur les 200 à 250 participants, la majorité étaient des Israéliens d’origine belge. Pour permettre à la deuxième et la troisième génération, vivant également par ricochets certains traumatismes, tout était en hébreu, en français et en anglais.
Dans le hall de l’hôtel Dan, deux stands : celui de l’Association des Originaires de Belgique ( O.B.I ), avec leur journal français-hébreu: « Le Lien ». Et celui du Musée juif de la Déportation et de la Résistance, construit à Malines ( Mechelen ) à l’emplacement de la caserne Dossin du camp de déportation. On pouvait y consulter des albums comprenant des milliers de photos des
déportés, classés par ordre alphabétique. Beaucoup sont venus y chercher les photos de leurs proches disparus.
« Un rendez-vous unique », disait Shaul Harel, lui-même caché à l’âge de 5 ans: « se retrouver, se souvenir, transmettre aux générations suivante, pour mieux construire l’avenir. Car le passé EST le présent de l’avenir ».
(Mis en ligne le 19 avril 2007)