Les émissions de téléréalité

Et le choix moral des producteurs et des maisons de production

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ROME, Lundi 19 février 2007 (ZENIT.org) – D’habitude la télé poubelle n’influe pas sur le monde politique. Or, cela n’a pas été le cas le mois dernier en Grande-Bretagne avec l’émission « Celebrity Big Brother » (un loft de célébrités). Une des participantes à cette émission, la célèbre actrice indienne Shilpa Shetty, a été maintes fois insultée par ses colocataires et en particulier par Jade Goody, connue pour ses participations aux « reality show » britanniques.

L’incident, au lieu de finir comme un épisode isolé, comme un autre exemple de télévision poubelle, a provoqué beaucoup de remous. Les concurrents ont été accusés de racisme éhonté contre l’actrice Shetty. L’affaire a immédiatement pris une envergure mondiale, jusqu’à finir au coeur d’une conférence de presse du Ministre des finances Gordon Brown, qui effectuait à ce moment-là une visite en Inde.

La chaîne de télévision Channel 4 a reçu des milliers de plaintes à l’intention du British Office of Communications, l’autorité gouvernementale chargée des médias. L’audimat avait tellement grimpé que les commentateurs finissaient par soupçonner les producteurs d’avoir tout organisé, de manière à faire monter le taux d’audience en période de faible écoute.

Dans le cadre de cette affaire, les commentateurs ont essayé de comprendre si ce type de programme était le reflet de notre culture moderne. « Abrutir les téléspectateurs représente une attaque au concept même de valeur », a estimé le journaliste Howard Jacobson dans l’Independent du 20 janvier. Il a également souligné que le degré d’ignorance dont a fait preuve Jade Goody, un personnage à succès dans la précédente édition du « Big Brother », avait été mis en valeur et exalté par la télévision.

L’Irish Independent du 22 janvier a dénoncé quant à lui le bas niveau culturel « de centaines de milliers de jeunes femmes qui, comme Jade Goody, ne connaissent pas la bonne éducation, les bonnes manières, la décence et le langage ». Cette culture qui confond contrôle de soi avec « répression », autorité avec « autoritarisme » et grossièreté avec « honnêteté », a porté la vulgarité à des degrés jamais atteints jusqu’à présent, a précisé le journal.

Paul Danahar, éditeur du bureau de la BBC pour l’Asie du sud, a comparé la Grande-Bretagne et l’Inde, à l’heure où ce pays s’apprête à célébrer le 60° anniversaire de son indépendance. Dans son édition parue le 22 janvier, il fait remarquer que « le niveau d’instruction d’un indien anglophone moyen (dont la plupart sort d’écoles privées) est bien supérieur à celui d’une personne normale en Grande-Bretagne ».

L’éditeur chiffre à plus de 100 millions le nombre d’indiens appartenant à cette catégorie. Il en conclut donc que les anglais qui s’inquiètent de leur avenir devraient se sentir beaucoup plus inquiets face à des personnes comme Shilpa Shetty, qui représentent une catégorie de personnes dotées d’un bon niveau d’instruction, et parfaitement capables de se mesurer aux jeunes anglais dans le monde du travail.

Une culture « poubelle »

Les grands soucis que suscitent la télévision et son contenu ne sont pas nouveaux, comme le relèvent les quelques 110 enseignants, psychologues, auteurs de livres pour enfants et autres experts, dans une lettre signée et publiée le 12 septembre par le quotidien britannique Telegraph.

Ces experts ont fait part de leur inquiétude sur une série de questions relatives aux enfants dont, entre autres, le système éducatif et leur façon de s’alimenter (junk food), affirmant que les enfants sont trop souvent « exposés, par le biais des médias, à des contenus qui, il y a quelques temps encore, auraient été considérés comme non adaptés aux enfants ».

« La croissante incidence des pathologies dépressives chez les enfants, la nature de leurs comportements et de leur développement nous inquiètent très sérieusement », affirment-ils dans leur lettre.

Les experts mettent en outre l’accent sur le fait que la télévision en tant que telle pourrait être nuisible. Dans leur lettre, ils affirment que, pour leur bon développement cérébral, les enfants devraient jouer à de vrais jeux « pas de manière sédentaire devant des écrans ». Ils ont par ailleurs besoin de « faire leurs propres expériences du monde qui les entoure et d’interagir normalement avec les adultes qui font partie de leur vie ».

D’autre part, le fait que les enfants et les adolescents utilisent de plus en plus internet augmente leur possibilité d’avoir accès à un certain type d’intolérance raciale et culturelle dont l’émission « Celebrity Big Brother » constitue un bon exemple.

Brendesha Tynes, en écrivant dans le Handbook of Children, Culture, and Violence de 2006, édité par Nancy Dowd, Dorothy Singer et Robin Wilson, lance une mise en garde contre cette forme de « culture virtuelle » du racisme qui est en train de faire son apparition.

Elle explique dans son article intitulé « Children, Adolescents, and the Culture of Online Hate », que les groupes animés de haine et de racisme s’adressent intentionnellement aux jeunes, à travers le « chat » et les forums de discussion. Ces organisations créent des sites internet aux noms ambigus et exposent leurs contenus de manière à paraître crédibles à un jeune étudiant en quête d’informations.

A leur tour, ajoute Brendesha Tynes, enfants et adolescents, conquis par l’esprit interactif et anonyme du cyberespace, se sentent libres d’exprimer leur propre intolérance, sans se soucier des répercussions éventuelles. Certains logiciels peuvent servir de filtres à certains contenus plus évidents, mais leur efficacité n’est que partielle.

Culture et éthique

Depuis longtemps l’Eglise lance des mises en garde contre certains contenus des médias. Le décret « Inter mirifica » du Concile Vatican II affirme que: « Les usagers, et plus spécialement les jeunes, doivent s’imposer modération et discipline à l’égard des instruments de la communication sociale. Qu’ils doivent s’efforcer de bien comprendre les choses vues, entendues ou lues; qu’ils en discutent avec leurs éducateurs et des personnes compétentes, apprenant ainsi à les juger comme il convient » (n. 10).

En 1963, quand le décret a été publié, personne ne pouvait imaginer ce que des instruments comme internet et des émissions comme « Big Brother » auraient provoqué, mais il est surprenant de voir combien les principes formulés dans ce document sont actuels.

Le décret explique que dans la défense du droit à l’information et à la communication il peut y avoir un conflit entre les droits de l’art et les normes de la loi morale. Le document proclame toutefois que « tout le monde est appelé à respecter absolument la primauté de l’ordre moral objectif » (n. 6).

Le document poursuit rappelant que la description du mal moral peut, sans aucun doute, servir à mieux connaître l’homme. « Pour éviter, cependant, qu’il ne fasse plus de mal que de bien, l’exposé du mal doit lui-même se conformer aux lois morales », avertit le décret (n. 7).

D’autre part, l’opinion publique exerçant de nos jours une très grande force, il faut que « tous les membres de la société remplissent également en cette matière leur devoir de justice et de charité ».

Ceux qui font usage des moyens de communication doivent savoir accorder la préférence aux contenus qui se distinguent par leur vertu, leur mérite culturel et artistique, évitant ainsi ce qui peut être cause de dommage spirituel, ou donner le mauvais exemple et promouvoir le mal, poursuit le décret. Outre la néce
ssité de faire un usage modéré des instruments de communication, le décret recommande que les jeunes « s’efforcent de bien comprendre les choses vues, entendues ou lues » (n. 10). Pour ce qui les concerne, les parents ont le devoir de protéger leurs enfants des contenus nocifs.

Quatre décennies plus tard, en 2000, le Conseil pontifical pour les Communications sociales a publié le document « L’éthique dans les communications sociales », dans lequel il est réaffirmé que « l’usage que l’on fait des moyens de communication sociale peut avoir des effets positifs ou négatifs ».

Bien choisir

L’Eglise considère les médias et les moyens de communication sociale non seulement comme des produits du génie humain, mais également comme des dons de Dieu. Il ne s’agit donc pas de forces aveugles de la nature, mais de quelque chose que nous pouvons choisir d’utiliser à de bonnes ou de mauvaises fins. Les personnes qui font ces choix – fonctionnaires publics, politiciens, cadres d’entreprises, membres des conseils d’administration et consommateurs – doivent les orienter dans le respect de la dignité humaine, exhorte le document « Ethique dans les communications sociales ».

Quand on touche à la culture populaire, le document constate que les critiques dénoncent souvent la superficialité et le mauvais goût des médias. « Il ne suffit pas de dire que les médias reflètent les goûts populaires, ils influencent également fortement ces goûts et ont le devoir de les élever, et non pas de les dégrader », conclue-t-il (n. 16).

En ce qui concerne la manière à suivre pour prendre des décisions, le Conseil pontifical recommande d’appliquer certains principes éthiques. Le principe éthique fondamental à retenir est celui du respect de la personne humaine et de la communauté. Selon le document, les moyens de communication doivent contribuer au développement intégral de la personne.

Un autre grand principe à retenir est celui du bien commun. Les médias doivent éviter de dresser les groupes les uns contre les autres, déchaînant des conflits entre les classes sociales, les groupes ethniques, nationaux ou les religions. Sans nier l’importance de la liberté d’expression, il faut rappeler qu’il existe d’autres éléments dont on doit tenir compte, comme la vérité, l’honnêteté et le respect de la sphère privée.

Tant les producteurs que les consommateurs des moyens de communication ont le devoir de respecter les principes éthiques et d’être sélectifs dans leurs choix, observe le Conseil pontifical pour les Communications sociales. Un devoir trop souvent mis à l’écart.

Par le Père John Flynn

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ZENIT Staff

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