ROME, Jeudi 25 mai 2006 (ZENIT.org) – « Un pardon peut être privé de porter ses fruits de réconciliation pour une raison apparemment et humainement irréversible, mais je pense profondément que la possibilité que ressent une personne à pardonner n’est pas une situation irréversible car une personne est toujours appelée à pardonner », affirme Mgr Jean Laffitte dans cet entretien accordé à Zenit.
Mgr Laffitte, prêtre de la Communauté de l’Emmanuel, est actuellement vice-président de l’Académie pontificale pour la Vie. Il est l’auteur de « Le pardon transfiguré » (Desclée/Editions de l’Emmanuel, 1995) et co-auteur avec Mgr Livio Melina de « Amour conjugal et vocation à la sainteté » (Ed. de l’Emmanuel, 2001). Nous publions ci-dessous la deuxième partie de l’entretien. (Pour la première partie, cf. Zenit, 24 mai).
Zenit : Les enfants ont-ils un rôle à jouer dans une situation de séparation ou de divorce ?
Mgr J. Laffitte : Les enfants montrent bien que la relation entre deux personnes n’est pas une transparence totale parce qu’une communion dans un couple, entre un homme et une femme, est une communion qui peut, qui est normalement destinée à être féconde.
En réalité c’est une communion qui, au moment même où elle s’exprime de la façon la plus intense par l’union de l’homme et de la femme, est susceptible d’avoir comme conséquence la venue à l’existence d’une autre personne avec son mystère propre, sa liberté propre. Au moment même où les époux atteignent une union et une expression de la communion extraordinairement intense, ils sont rendus capables de favoriser la venue à l’existence d’un autre être humain. Ceci est un élément très important. Cela veut dire que les enfants, en eux-mêmes, lorsqu’ils viennent, sont les éléments qui renforce la communion de leurs parents. Ils en sont un fruit et d’autre part la communion qui existe entre les parents va devenir une communion active au service de la croissance de ce nouvel être. En ce sens, les enfants participent à l’accroissement de la communion entre les parents. Ils l’enrichissent et évidemment leur rôle est central pour que cette communion soit maintenue.
Dans les faits, les enfants favorisent la communion entre les parents. Dans une famille où il peut y avoir momentanément des difficultés dans le couple, les enfants sont souvent concrètement les éléments qui favorisent, qui reconduisent à des choses simples de l’amour entre les personnes et de solidarité entre les générations. Ils reconduisent la communion à une expression peut-être plus simple et c’est en ce sens qu’ils peuvent favoriser la communion des parents.
A l’inverse je pense que les enfants sont éduqués eux-mêmes dans la communion entre eux par la multitude de petits gestes qui favorisent la communion, à commencer par les petits gestes de pardon. L’enfant a besoin de vivre du pardon et en particulier du pardon de ses parents parce que l’enfant se trompe et fait parfois des choses manifestement contraire à ce que sa conscience en éveil lui indiquerait de faire. Le pardon qui est donné en vérité consolide l’enfant dans le sens de la communion responsable. Il n’est pas une sorte de licence totale sur tous ses actes mais au contraire un amour totalement responsable et responsabilisant.
Les enfants entre eux, peuvent être encouragés à des petits actes de pardon. Cela favorise la communion familiale. La communion est une chose qui se diffuse et qui porte ses fruits, qui va au-delà. Une famille unie n’est jamais fermée sur elle-même, elle est accueillante. La communion familiale s’étend au-delà de la famille. De la même façon, au sein d’une même famille et selon différentes générations, la communion, favorisée par des petits gestes de pardon et de réconciliation, est une communion qui grandit. Dans une perspective chrétienne cette communion est consolidée, favorisée par la vie commune, par la grâce partagée, la prière et la vie sacramentelle.
Zenit : Dans votre réponse à la première question vous avez évoqué les situations irréversibles…
Mgr J. Laffitte : Il y a des situations qui ont été provoquées par des offenses, des griefs, des souffrances causées, des trahisons, des infidélités, etc. qui peuvent conduire à des situations qui apparaissent en effet humainement irréversibles. Ces situations ne préjugent pas de ce que l’époux qui a été humilié et trahi puisse pardonner. Mais s’il le fait, ce pardon sera peut-être privé de la faculté de s’exprimer, tout simplement parce que l’autre n’est pas dans la situation de l’entendre ni même de comprendre.
Un pardon peut être privé de s’exprimer, il peut être privé de porter ses fruits de réconciliation pour une raison apparemment et humainement irréversible, mais je pense profondément que la possibilité que ressent une personne à pardonner n’est pas une situation irréversible car une personne est toujours appelée à pardonner.
Je crois qu’il faut rejoindre cette exigence avec la source du pardon qui s’opère sur la croix du Christ. Lorsque le Christ est sur la croix il prononce un pardon contre ses persécuteurs qui dans les faits est un pardon presque privé humainement de se manifester puisqu’il le fait devant des soldats qui le bafouent, devant un larron qui l’insulte, devant des Romains qui s’apprêtent à constater qu’il est sur le point de mourir. On a là un pardon apparemment privé de ses fruits immédiats de réconciliation, mais en réalité il n’y a jamais eu de pardon plus authentique, plus pur, plus profond, et plus fécond. On a l’exemple typique d’un pardon pleinement donné, en toute liberté, alors qu’apparemment au plan humain, l’offense subie par le Christ est humainement irréversible. Y a-t-il une situation plus irréversible que celle d’être immobilisé par des clous sur le bois d’une croix, cela jusqu’à asphyxie totale ? Humainement, il est impossible de prononcer un pardon, et pourtant Jésus a dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Nous avons là une réponse très éclairante sur cette question.