ROME, Mardi 4 avril 2006 (ZENIT.org) - Nous publions ci-dessous l’intervention prononcée le jeudi 9 mars par l’archevêque Stanislaw Rylko, président du Conseil pontifical pour les Laïcs, lors de l’inauguration du premier congrès des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles d’Amérique Latine, à Bogota.

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Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés :
réponse de l’Esprit Saint aux défis de l’évangélisation d’aujourd’hui




1. Le défi suprême pour l’Eglise, au début de ce millénaire, est celui qui lui a toujours été confié : l’évangélisation. A toute époque, et donc dans la nôtre, l’Eglise est appelée à accueillir de façon nouvelle le commandement missionnaire du Christ Ressuscité : « Allez donc enseigner toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit (Mt 28, 28-29). Pour Matthieu devenir « disciple » et devenir « chrétien » a le même sens [1]. « Faire des disciples est le cœur même de la vocation de l’Eglise et de sa mission de tous temps. L’Eglise fondée par le Christ est envoyée de par le monde pour évangéliser, elle vit de façon permanente en état de mission et tient sa raison d’être de cette mission.

L’évangélisation du monde actuel – la nouvelle évangélisation, dont on parle tant et qui intéressait tellement le Serviteur de Dieu, Jean Paul II – est une tâche pleine d’espérance pour l’Eglise ; mais elle a pleinement conscience des obstacles innombrables qui se présentent à elle, non seulement dans les changements extraordinaires qui se sont produits dans la vie des individus et des sociétés, mais aussi et surtout dans une culture postmoderne en crise grave. Le procédé toujours croissant de sécularisation et une authentique « dictature du relativisme » (Benoît XVI) génèrent chez beaucoup de nos contemporains une carence terrible de valeurs, accompagnée d’un nihilisme joyeux qui se termine par une érosion alarmante de la foi, espèce d’« apostasie silencieuse » (Jean Paul II), par un « oubli étrange de Dieu » (Benoît XVI). A cette situation, que l’on constate avec tristesse dans les pays de tradition chrétienne ancienne, il faut opposer, si l’on peut dire, un « boom religieux » ambivalent et ambigu. Le pape en a parlé à Cologne, au mois d’août dernier, en disant : « Je ne veux pas discréditer tout ce qui se situe dans ce contexte (…). Mais, souvent, la religion se transforme presque en un produit de consommation. On prend quelque chose qui plaît, et certains savent bien en tirer profit »[2]. Qu’on pense à l’invasion des sectes, à la diffusion de façons de vivre et attitudes dictées par le New Age, aux phénomènes para-religieux tels que l’occultisme et la magie. Le monde globalisé est devenu, en vérité, une gigantesque terre de mission. Comme le dit le psalmiste, avec des tons dramatiques : « Du ciel, le Seigneur regarde les hommes pour voir s’il reste un sage qui cherche Dieu » ( Ps 14, 2). De nos jours, il est plus urgent que jamais d’annoncer Jésus Christ dans les grands aréopages modernes de la culture, de la science, de l’économie, de la politique et des mass media. La moisson évangélique est abondante et les ouvriers peu nombreux (Mt 9, 37). Dans ce domaine vital pour l’Eglise il faut, aujourd’hui, un virage radical des mentalités, un nouveau réveil, authentique, des consciences de tous. On a besoin de nouvelles méthodes, de nouvelles expressions et un nouveau courage [3]. Au début de ce troisième millénaire, le Serviteur de Dieu Jean Paul II exhortait ainsi l’Eglise : « J’ai répété souvent l’appel à la nouvelle évangélisation. Je le redis maintenant, surtout pour indiquer qu’il faut réanimer en nous l’élan des origines, en nous laissant imprégner par l’ardeur de la prédication apostolique après la Pentecôte. Nous devons ranimer en nous le sentiment pressant de Paul, qui s’exclamait : Malheur à moi si je ne prêche pas l’évangile ! » (1 Co 9, 16) [4]. Parlant aux évêques allemands à Cologne, le pape Benoît XVI prononça à ce sujet des paroles qui laissent entrevoir un désir apostolique profond : « Nous devrions réfléchir aujourd’hui sérieusement sur la façon de réaliser une véritable évangélisation, non seulement une nouvelle évangélisation, mais avec fréquence une authentique première évangélisation. Les gens ne connaissent pas Dieu, ils ne connaissent pas le Christ. Il existe un nouveau paganisme et il ne suffit pas de conserver la communauté croyante, bien que ce soit très important (…) Je crois que nous devons ensemble essayer de trouver de nouvelles façons d’apporter l’Evangile au monde actuel, d’annoncer le Christ à nouveau et d’établir la foi. [5]
Ces orientations des deux souverains pontifes serviront à guider notre réflexion par le fil qui unit l’évangélisation du monde actuel aux mouvements ecclésiaux et aux nouvelles communautés.

2. Parmi les fruits nombreux générés par le Concile Vatican II pour la vie de l’Eglise, il faut remarquer la place spéciale, sans aucun doute, de la « nouvelle époque associative » des fidèles laïcs. Grâce à l’ecclésiologie et à la théologie du laïcat, développées par le concile, à côté des associations traditionnelles on a vu surgir beaucoup de groupements appelés aujourd’hui des « mouvements ecclésiaux » ou des « nouvelles communautés » [6]. Une nouvelle fois le Saint Esprit est intervenu dans l’histoire de l’Eglise en lui donnant de nouveaux charismes porteurs d’un extraordinaire dynamisme missionnaire et répondant au bon moment aux grands défis dramatiques de notre époque. Le Serviteur de Dieu, Jean Paul II, qui suivait avec tendresse et avec une sollicitude pastorale très spéciale ces nouvelles réalités ecclésiales, affirmait : « Un des dons de l’Esprit à notre temps est, certainement, la floraison des mouvements ecclésiaux, que, depuis le début de mon pontificat j’ai remarqués et continue à remarquer comme motif d’espérance pour l’Eglise et pour les hommes » [7]. Le Pape Wojtyla était profondément convaincu que les mouvements ecclésiaux étaient l’expression d’un nouvel avent missionnaire du « grand printemps chrétien » préparé par Dieu à l’approche du troisième millénaire de la Rédemption [8]. Ce fut un des grands défis prophétiques de son pontificat.

Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés portent un potentiel précieux d’évangélisation, dont l’Eglise a un besoin urgent, aujourd’hui. Ils représentent une richesse encore inconnue et incomplètement évaluée de nos jours. Jean Paul II disait : « Dans notre monde, souvent dominé par une culture sécularisée qui crée et propose des modèles de vie sans Dieu, la foi de beaucoup est mise à dure épreuve et même étouffée ou éteinte. On sent, donc, avec urgence, la nécessité d’une annonce puissante et d’une formation chrétienne profonde et solide. Comme on a besoin aujourd’hui de personnalités chrétiennes mûres, conscientes de leur identité de baptisés, de leur vocation et mission au sein de l’Eglise et dans le monde ! Comme on a besoin de communautés ecclésiales vivantes ! Voici qu’arrivent les mouvements et les nouvelles communautés ecclésiales : elles sont la réponse, suscitée par l’Esprit Saint, au défi dramatique de la fin du millénaire. Vous êtes cette réponse providentielle ! » [9] Le Pape indiquait là les deux priorités fondamentales de l’Evangélisation de «faire des disciples»de Jésus Christ aujourd’hui : une « formation solide et profonde » et une « annonce forte ». Deux domaines où les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés donnent des résultats extraordinaires pour la vie de l’Eglise, arrivant à être pour des milliers de chrétiens de tous les coi ns du monde, de véritables « laboratoires de la foi » d’authentiques écoles de vie chrétienne, de sainteté et de mission.

3. La première, la grande priorité est donc la formation chrétienne. Nous touchons là un point névralgique. Car, de nos jours, on mine le ciment même du procédé éducatif de la personne. Comme le constatait le Cardinal Ratzinger, « on est en train de constituer une culture du relativisme qui ne reconnaît plus rien comme définitif et qui prend comme ultime mesure le moi et ses caprices »[10]. La culture dominante de nos jours génère des personnalités fragmentées, faibles, incohérentes. Quelqu’un met en garde : « Voici la capacité d’une génération d’adultes qui se trouve en crise pour éduquer leurs propres enfants. Pendant des années, à partir de nouvelles chaires – écoles, universités, journaux et télévisions – on a prêché que la liberté est l’absence de liens et d’histoire ; qu’on peut devenir grands sans appartenir à quiconque ou à quoi que ce soit, en suivant seulement ses envies et caprices. Il est devenu normal de penser que tout est équivalent, que rien, au fond, n’a de valeur, sinon l’argent, le pouvoir et la position sociale. On vit comme si la vérité n’existait pas, comme si le désir de bonheur qui se trouve au cœur de l’homme, était destiné à rester sans réponse» [11]. L’influence de cette culture atteint même les baptisés. D’où des identités chrétiennes faibles et confuses ; la foi qui prend l’aspect d’une pratique de routine, sous l’influence d’un syncrétisme dangereux de superstition, magie et New Age ; une appartenance à l’Eglise superficielle et négligée, qui ne se répercute pas de manière significative des les options et des comportements. On assiste aujourd’hui à une carence préoccupante des milieux éducatifs, non seulement en dehors de l’Eglise, mais encore à l’intérieur. La famille chrétienne, elle-même, n’est plus capable de transmettre la foi aux nouvelles générations, et la paroisse n’en a pas plus la capacité bien qu’elle soit la structure indispensable pour la pastorale de l’Eglise sur le terrain. Les paroisses, surtout dans les grandes villes, s’étendent assez largement – quand il ne s’agit pas seulement de cités-dortoirs- où il est difficile d’établir des relations personnelles et d’en faire des lieux de véritable initiation chrétienne. Que faire donc ? Voilà où se présentent donc les mouvements ecclésiaux en tant que lieux de formation chrétienne profonde et solide. Les mouvements et les nouvelles communautés se caractérisent, en effet, par une riche variété de méthodes et d’itinéraires éducatifs extraordinairement efficaces. Mais quel est le motif de sa force pédagogique ? Ce « secret », comme on peut le dire, est contenu dans les charismes qui les ont générés et qui contiennent leur âme. Le charisme génère cette « affinité spirituelle entre les personnes »[12] qui donne vie à la communauté et au mouvement. Grâce à ce charisme, L’expérience fascinante originale de l’événement chrétien, dont tout fondateur est le témoin particulier, peut se reproduire dans la vie de bien des personnes et en plusieurs générations de personnes sans rien perdre de sa nouveauté et de sa fraîcheur. Le charisme est la source de la force éducative extraordinaire des mouvements et des nouvelles communautés. Il s’agit d’une formation qui a comme point de départ une conversion profonde du cœur. Non pas par hasard, ces nouvelles réalités ecclésiales comprennent beaucoup de convertis parmi leurs membres, des personnes qui « viennent de loin ». Au début de ce procédé il y a toujours une rencontre personnelle avec le Christ, rencontre qui change radicalement la vie. Une rencontre facilitée par des témoins crédibles qui ont vécu dans le mouvement, l’expérience des premiers disciples : « Viens et tu verras »(Jn 1, 46). Dans la vie des membres des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés il y a toujours un « avant » et un « après ». La conversion du cœur est parfois un procédé graduel qui a besoin de temps. D’autres fois c’est comme un éclair, inattendu et saisissant. Mais toujours c’est vécu comme un don gratuit de Dieu qui fait déborder le cœur de bonheur et se transforme en une richesse spirituelle pour toute la vie. « Dieu existe, je l’ai rencontré ». Combien de membres de mouvements ecclésiaux et de nouvelles communautés pourraient faire leurs, ces paroles d’André Frossard, un autre converti !

La formation est le cadre par excellence où s’exprime l’originalité des charismes des divers mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés ; chacun adopte le procédé éducatif de la personne en une pédagogie propre et spécifique. En général une pédagogie christocentrique, qui se concentre sur l’essentiel, c’est-à-dire à réveiller chez la personne la vocation baptismale propre aux disciples du Christ. Une pédagogie radicale qui ne dilue pas l’Evangile, qui exige et établit la mesure de la sainteté. Une pédagogie qui s’établit à l’intérieur de ces petites communautés chrétiennes qui – surtout dans une société « atomisée », où règnent la solitude et la dépersonnalisation des relations humaines- arrivent à constituer un point indispensable de référence et d’appui. Une pédagogie intégrale qui, en comprenant et engageant toutes les dimensions de l’existence d’une personne, engendre un sentiment d’appartenance « totale » au mouvement. Une appartenance différente de n’importe quelle autre adhésion à des groupes ou cercles sectoriels de type distinct et qui se traduit par un fort sentiment d’appartenance à l’Eglise et d’amour pour elle. C’est pour cela qu’il n’est pas risqué d’affirmer que les mouvements et les nouvelles communautés sont de vraies écoles de formation de chrétiens «adultes». Comme l’écrivait il y a quelques années le cardinal Ratzinger, ce sont des « façons puissantes de vivre la foi qui stimulent les gens et leur donnent vitalité et joie ; une présence de foi, donc, qui a un sens pour le monde »[13]. Pour compléter l’image on doit au moins mentionner le rôle que peuvent exercer ces réalités dans le contexte de l’Eglise de l’Amérique Latine, avec la relation au phénomène enraciné et répandu de la pitié populaire. Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés offrent, en fait, des pédagogies d’évangélisation qui peuvent contribuer avec efficacité à bien orienter cette religiosité, en captant et approfondissant des aspects importants, sans diminuer leur valeur dans la vie du peuple.

4. La seconde grande urgence à laquelle répondent les mouvements et les nouvelles communautés est celle de « l’annonce forte ». La formation chrétienne doit toujours avoir un grand élan missionnaire, car la vocation chrétienne est, par sa nature même, vocation à l’apostolat. La mission aide à découvrir en plénitude la vocation même de baptisés, défend de la tentation d’un repli égoïste sur soi-même, protège du péril de considérer le fait d’appartenance comme un espèce de refuge, dans un climat de chaude amitié pour se protéger des problèmes du monde.

Parmi les caractéristiques de l’engagement missionnaire des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés il faut signaler leur capacité indiscutable de réveiller chez les laïcs l’enthousiasme apostolique et le courage missionnaire. Ils savent faire sortir le potentiel spirituel des personnes. Ils aident à dépasser les barrières de la timidité, de la peur et des faux complexes d’infériorité que la culture laïque implante chez tant de chrétiens. Il y a beaucoup de gens qui ont vécu une telle transformation intérieure, avec étonnement souvent. Ils n’avaient jamais pensé qu’ils pourraient annoncer l’évangile de la sorte, et participer de cette façon à la mission de l’Eglise. Le désir de « faire des disciples » de Jésus Christ que les mouvements savent réveiller, encourage les individus, les couples mariés et les familles entières à tout abandonner pour partir en mission. Car, sans oublier le témoignage personnel, les mouvements et les nouvelles communautés proposent, avant tout, l’annonce directe de la bonne nouvelle chrétienne, en redécouvrant la valeur du kerygme comme méthode de catéchisme et de prédication. Ainsi ils répondent à une des nécessités les plus urgentes de l’Eglise de nos jours, c’est-à-dire la catéchèse des adultes, comprise comme l’initiation chrétienne authentique qui leur révèle toute la valeur et la beauté du sacrement de Baptême.

Depuis toujours, un des obstacles majeurs pour les oeuvres d’évangélisation, est la routine, l’habitude, qui annulent la fraîcheur et la force de persuasion de l’annonce et du témoignage chrétiens. Eh bien, les mouvements changent les schémas habituels de l’apostolat, réexaminent les formes et méthodes, et les proposent sous un nouvel aspect. Ils se dirigent avec naturel et courage vers les difficiles frontières des aréopages modernes de la culture, des moyens de communication de masse, de l’économie et de la politique. Ils prêtent une attention spéciale à ceux qui souffrent, aux pauvres et aux marginaux. Combien d’œuvres sociales sont-elles née par leur initiative ! Ils n’attendent pas que ceux qui se sont éloignés de la foi reviennent à l’Eglise par eux-mêmes, ils vont les chercher. Pour annoncer le Christ, ils n’hésitent pas à aller par les rues et les places des villes, à entrer dans les supermarchés, les banques, les écoles et les universités, partout où vivent les gens. Le zèle missionnaire les emporte « jusqu’au bout du monde »…Ils se répandent, démontrant que les charismes qui les ont entraînés peuvent alimenter la vie chrétienne d’hommes et de femmes de toutes latitudes, cultures et traditions. Et ce n’est pas tout. En s’insérant dans le tissu des églises locales, ils se transforment en signes éloquents de l’universalité de l’Eglise et de sa mission. C’est de là que naît précisément leur relation particulière avec le ministère du Successeur de Pierre. Il est surprenant de voir l’imagination missionnaire que, par ses nouveaux charismes, suscite l’Esprit Saint dans l’Eglise de nos jours. Pour beaucoup de laïcs, les mouvements et les nouvelles communautés arrivent à être de vraies écoles de mission. Aujourd’hui, dans l’Eglise on parle beaucoup d’évangélisation : on organise des congrès, des symposiums, des séminaires d’études et on publie des livres, des articles et des documents officiels sur un thème donné. C’est pourquoi il faut en parler, parce que l’évangélisation est une cause vitale pour l’Eglise et pour le monde. Pourtant il existe un danger réel, celui de rester immobile, au niveau théorique, au niveau des projets qui restent dans le carton…mais voici les nouveaux charismes qui font naître des groupements de personnes- hommes, femmes, jeunes et adultes – solidement formés dans la foi, pleins de zèle, prêts à annoncer l’Evangile. Par conséquent il ne s’agit pas de stratégies étudiées dans un bureau, mais de projets « vivants », expérimentés dans beaucoup d’histoires personnelles concrètes et dans la vie de tant de communautés chrétiennes. Projets, pour ainsi dire, prêts à se réaliser. Voilà la grande richesse de l’Eglise de notre temps.

Comment ne pas s’étonner devant la quantité et la qualité des fruits engendrés par les nouveaux charismes de l’Eglise ! Le principe évangélique, « c’est par ses fruits que vous les reconnaîtrez » (Mt 7,16) est toujours actuel. Il y a beaucoup de personnes qui, grâce à ces charismes, ont rencontré le Christ et ont trouvé la foi, ou sont revenus à l’Eglise et à la pratique des sacrements après de longues années. Tant de gens sont passés d’un christianisme simplement culturel à un christianisme « adulte », convaincu et engagé. Combien de fruits d’une authentique sainteté de vie ! Combien de familles reconstruites dans la fidélité et l’amour réciproque ! Combien de vocations au sacerdoce, à la vie consacrée et aux nouvelles formes de vie laïque suivant les conseils évangéliques ! Le message important que ces nouveaux charismes apportent au monde actuel, est, fondamentalement celui-là : cela vaut la peine d’être chrétiens. Cela vaut la peine de répondre au défi du Christ. Essaye à ton tour !

5. Comme nous l’avons vu, les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés sont, en
réalité un « don providentiel » que l’Eglise doit accueillir avec gratitude et avec un vif sens de responsabilité pour profiter de ce qu’ils représentent. Un don qui, en même temps, est une tâche et un défi pour les fidèles laïcs comme pour leurs pasteurs. Quelle tâche et quel défi ? Jean Paul II a beaucoup insisté sur ce que les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés soient appelés à s’insérer dans les diocèses et les paroisses «avec humilité », c’est-à-dire avec une attitude de service à la mission de l’Eglise, en évitant toute forme d’orgueil et de sens de supériorité en relation aux autres réalités, avec un esprit de communion ecclésiale et de collaboration sincère. En même temps le Pape insistait auprès des Pasteurs -
- évêques et curés- pour qu’ils les accueillent « avec cordialité », reconnaissant et respectant leurs charismes respectifs et les accompagnent avec une sollicitude paternelle [15]. La règle d’or formulée par Saint Paul vaut aussi dans ce cas : « N’éteignez point l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Eprouvez toutes choses et retenez ce qui est bon (1 Th 5, 19-20).

Evidemment, l’énorme nouveauté que les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés apportent à l’Eglise suscite souvent de l’étonnement, oblige à se poser des questions et peut causer une certaine confusion dans la praxis établie de l’appel pastoral ordinaire. Le pape Wojtyla disait : « Chaque fois que le Saint Esprit intervient, Il nous étonne. Il suscite des événements dont la nouveauté nous déconcerte »[16]. Comme nous l’avons répété plusieurs fois les mouvements constituent aussi un défi, une provocation salutaire en ce que l’Eglise est appelée à répondre et en ce qu’elle doit répondre. Les mouvements, avec leur façon radicale d’« être chrétiens », mettent en question le « christianisme fatigué » (Benoît XVI) de bien des baptisés, un christianisme de simple façade, plein d’implications et confus. Alexander Men, prêtre dissident russe, assassiné en 1990, encore dans les années obscures des persécutions religieuses, disait, de façon provocatrice, dans l’un de ses sermons, que le plus grand ennemi des chrétiens était, au fond, non pas l’athéisme militant de l’Etat Soviétique, mais le pseudo-christianisme de bien des baptisés [17]. Des paroles qui ne peuvent que secouer nos consciences. En fin de compte, pour le chrétien, le vrai et grand ennemi est la médiocrité, la résistance à croire réellement à l’Evangile. Les mouvements, avec leur passion débordante missionnaire mettent en question aussi une certaine façon d’« être Eglise », peut-être trop commode et adaptable. Le Cardinal Ratzinger, il y a quelques années, se référait à « un pragmatisme gris de la vie quotidienne de l’Eglise (…) en ce que, apparemment tout procède normalement, mais en réalité la foi se détériore et se précipite dans la mesquinerie» [18]. A une Eglise de « conservation tranquille » - type assez répandu de nos jours- les mouvements lancent le défi d’une Eglise missionnaire qui se projette vaillamment jusqu’à de nouvelles frontières et aident la pastorale paroissiale et diocésaine à récupérer la combativité prophétique et l’élan nécessaire. De nos jours, l’Eglise a grand besoin de cela. Elle doit s’ouvrir à cette nouveauté géné rée par l’Esprit : « car voici que je vais faire œuvre nouvelle qui point déjà : ne la voyez-vous pas ? » (Is. 53, 19).

Le magistère du Pape Benoît XVI continue parfaitement celui de Jean Paul II en relation avec les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés, car il a toujours tenu son œuvre au service de la mission de l’Eglise, et quand il était encore préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi il affirmait : « En eux on peut observer que commence quelque chose de nouveau : le christianisme est présent comme un événement nouveau et il est perçu, par des personnes qui viennent de très loin, comme la possibilité de vivre, de pouvoir vivre dans ce siècle ». Il ajoutait : « Aujourd’hui il y a des chrétiens « isolés » qui se placent en dehors de cet étrange consensus de l’existence moderne et essaient de nouvelles modes de vie. Sans aucun doute ils n’attirent pas beaucoup l’attention de l’opinion publique, mais leur façon d’agir indique, en réalité, l’avenir »[19] Selon donc l’ancien Cardinal Ratzinger la nouveauté qu’apportent les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés en font une prophétie du futur. Elu Pape, Benoît XVI est resté fidèle à cette lecture subtile, la sienne, de la situation de l’Eglise et, en terminant la Journée Mondiale de la Jeunesse, célébrée à Cologne en août 2005, il dit aux évêques allemands : « L’Eglise doit valoriser ces réalités et, en même temps les conduire avec une sagesse pastorale pour qu’elles contribuent de la meilleure façon, avec ses propres dons, à l’édification de la communauté ». Et il termina efficacement : »Les Eglises locales et les mouvements ne sont pas opposés car elles constituent la structure vive de l’Eglise »[20]. Voici des orientations importantes qui doivent servir de boussole à la mission évangélisatrice de l’Eglise actuelle.

NOTES
[1] Cf. L. SABOURIN, L’Evangile de Matthieu. Teologia e Esegesi, vol. II, Roma 1977, pp. 1069-1070.
[2] BENOIT XVI, Messe sur l’esplanade de Marienfeld, 26 août 2005
[3] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la XIX Assemblée générale du CELAM, 9 mars 1983, «Insegnamenti di Giovanni Paolo II» VI, 1 (1983), pp. 690-699.
[4] JEAN PAUL II, Lettre apostolique Novo millennio ineunte, n. 40.
[5] BENOIT XVI, Rencontre avec les évêques allemands, 26 août 2005.
[6] Cf. JEAN PAUL II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 29.
[7] JEAN PAUL II, Homélie lors de la veillée de Pentecôte, 31 mai 1996, n. 7.
[8] Cf. JEAN PAUL II, Encyclique Redemptoris missio, n. 86.
[9] JEAN PAUL II, veillée de Pentecôte, juin 1998
[10] J. RATZINGER, Messe Pro eligendo Pontifice, 24 avril 2005
[11] Se ci fosse una educazione del popolo tutti starebbero meglio. Appel , «Atlantide», n. 4/12/2005, p. 119.
[12] JEAN PAUL II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 24.
[13] Cf. J. RATZINGER, Il sale della terra. Cristianesimo e Chiesa cattolica nella svolta del millennio, Edizioni San Paolo, Milano 1997, p. 18.
[14] Cf. PABLO VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 48.
[15] Cf. JEAN PAUL II, Encyclique Redemptoris missio, n. 72.
[16] JEAN PAUL II, Aux membres des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, juin 1998.
[17] Cf. T. PIKUS, Aleksander Mien, Verbinum Warzawa 1997, p. 37.
[18] Cf. J. RATZINGER, Fede, Verità, Tolleranza. Il cristianesimo e le religioni del mondo, Cantagalli, Siena 2003, p. 134.
[19] Cf. J. RATZINGER, Il sale della terra, op. Cit., pp. 145-146.
[20] BENOIT XVI, Rencontre avec les évêques allemands, cit.