ROME, Mardi 18 octobre 2005 (ZENIT.org) – Une visite d’Etat du président israélien Moshe Katsav est attendue en novembre au Vatican. Il pourrait inviter Benoît XVI en Israël. Jean-Marie Allafort, correspondant à Jérusalem de Radio Espérance (www.radio-esperance.com) explique les enjeux aux lecteurs de Zenit. Il n’hésite pas à affirmer : « L’Eglise catholique est la plus grande « organisation mondiale » de lutte contre l’antisémitisme ».

Zenit : Vous vivez à Jérusalem depuis des années: comment voit-on, de Jérusalem, le projet de visite du président Katsav au Vatican?

J.M Allafort : Il n’y a pas de doute que la prochaine visite du président israélien au Vatican n’est pas vue comme une simple rencontre entre deux Chefs d’Etat, mais bien comme un pas de plus dans le chemin de la réconciliation entre les Juifs et l’Eglise catholique. Si le président Katsav représente l’Etat d’Israël, il est aussi perçu comme un haut représentant du peuple juif ! Pour Israël, cette visite sera singulière à cause du passé, même récent, entre l’Eglise catholique et le peuple juif, mais aussi entre le Vatican et l’Etat d’Israël. Les relations diplomatiques entre les deux Etats sont récentes: il y a certes des hauts et des bas, mais au ministère israélien des Affaires étrangères, les diplomates chargés des relations avec le Vatican sont très satisfaits du dialogue permanent qui s’est instauré. La presse a souvent exagéré les crises entre Israël et le Vatican. Il y a des sujets de désaccord, comme la question de la barrière de sécurité autour de Jérusalem et dans les Territoires ou encore comme les difficultés pour certains religieux venus des pays arabes ou d’Afrique à obtenir des visas mais, dans l’ensemble, Israël est de plus en plus attentif aux demandes des autorités chrétiennes. Une visite comme celle de Katsav ne peut que contribuer à une amélioration des relations.

Zenit : Cette visite correspond aussi au 40e anniversaire de Nostra Aetate. L’enseignement du concile est-il “intégré” par les fidèles catholiques?

J.M Allafort : Il faut distinguer deux niveaux dans l’enseignement de Nostra Aetate : la condamnation de l’antisémitisme et de la prétendue responsabilité collective du peuple juif dans la mort de Jésus est globalement intégrée. L’Eglise catholique est la plus grande « organisation mondiale » de lutte contre l’antisémitisme. Le nombre de déclarations, d’enseignements et d’homélies faits par les papes, les évêques et les prêtres ne laissent place à aucun malentendu.
L’enseignement théologique qui découle de la déclaration conciliaire est loin d’être pris en considération par les fidèles. Pour beaucoup, le judaïsme est une autre religion au même titre que l’islam ou le bouddhisme. Pourtant la relation avec le judaïsme est d’une autre nature. Les implications théologiques de Nostra Aetate ne sont pas connues, et l’intérêt pour la tradition juive est même de moins en moins sensible dans les milieux catholiques.

Zenit : Comment les gestes du pape Benoît XVI sont-ils perçus à Jérusalem ? La visite à la synagogue de Cologne, l’audience aux deux grands rabbins d’Israël… ?

J.M Allafort : Lorsque Benoît XVI a été élu pape, les réactions en Israël ont été dans l’ensemble très positives et ce, pour trois raisons :
Benoît XVI est allemand et a connu, comme son prédécesseur, la seconde guerre mondiale. Il est donc sensible au génocide du peuple juif et à l’antisémitisme. La visite à la synagogue de Cologne l’a bien prouvé. En Israël, le cardinal Ratzinger n’était pas un inconnu et ses prises de position sur ce sujet étaient connues.
On savait également qu’il avait encouragé Jean-Paul II dans les gestes de réconciliation avec le peuple juif et que, sur cette importante question, il s’inscrivait dans une parfaite continuité.
Il était présenté par la presse comme un conservateur, ce qui, aux yeux des rabbins, ne pouvait être que positif. Le théologien rassurait les autorités rabbiniques. Pour le dire de façon familière : il n’y aurait aucune mauvaise surprise avec un pape comme celui-là !
La surprise fut quand même la multiplication des gestes envers les Juifs depuis le début de son pontificat. Les deux grands rabbins d’Israël n’ont pas caché leur enthousiasme après leur rencontre avec le pape à Castelgandolfo.

Zenit : Comment voyez-vous l’avenir des relations entre le judaïsme et l’Eglise catholique?

J.M Allafort : Je pense que l’avenir des relations entre l’Eglise catholique et le peuple juif passe désormais aussi par Israël. C’est une évolution fondamentale. Jusqu’à maintenant, le dialogue judéo-catholique était mené par les communautés juives de la Diaspora (surtout américaines). Aujourd’hui, il se déplace vers Jérusalem. Aux yeux de Rome, Israël n’est pas seulement un Etat, mais c'est aussi un représentant légitime du peuple juif. Depuis la visite de Jean-Paul II en Terre Sainte, en mars 2000, on constate une évolution dans ce sens : une commission entre le Vatican et des rabbins d’Israël s’est mise en place et se réunit tous les six mois, ou à Rome, ou à Jérusalem.
Pour être en phase avec le réel, le dialogue entre le peuple juif et l’Eglise catholique doit tenir compte de l’Etat d’Israël. Le peuple juif n’est pas seulement celui de la Diaspora.
L’avenir entre les Juifs et les catholiques passe par une meilleure connaissance mutuelle : il faut étudier le judaïsme dans les universités catholiques et les séminaires et approfondir la question théologique des relations entre l’Eglise et le peuple juif. Enfin, il est temps que Juifs et chrétiens travaillent ensemble concrètement sur certains projets (humanitaires, sociaux, éthiques…). Tant que le dialogue judéo-chrétien restera confiné au monde intellectuel, son impact sera limité. Les colloques sont bien trop souvent un feu de paille. Les laïcs doivent prendre une part plus active dans ce dialogue et les jeunes doivent être sensibilisés à cette question.