Le card. Martins explique la « différence substantielle » entre béatification et canonisation

Texte publié dans L’Osservatore Romano en italien du 29 septembre

Share this Entry

ROME, Mercredi 5 octobre 2005 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous le texte du cardinal Saraivo Martins, préfet de la Congrégation pour les Causes des saints publié dans l’Osservatore Romano en italien du 29 septembre, et dans l’édition française, le 4 octobre.

* * *

José Card. Saraiva Martins
Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints

Tout au long de l’histoire, l’Eglise a toujours célébré la sainteté comme une expression des «choses admirables» accomplies par le Seigneur dans la vie de son Peuple. Répondant à la sensibilité et aux contextes historiques, l’Eglise a porté une attention particulière aux formes liturgiques et aux procédures à travers lesquelles exprimer la louange au Très-Haut et raviver la foi et la piété des fidèles. Ces formes de procédures et la richesse de signification de ces rites, également dans la conscience ecclésiale la plus récente, ont été attentivement étudiées en vue d’une compréhension et d’une influence plus grandes de la nature même de la sainteté, que l’Eglise célèbre à travers les rites de béatification et de canonisation. Dans ce but, le Saint-Père Benoît XVI a introduit d’importantes nouveautés en ce qui concerne les béatifications.

I. Prémisses historiques et juridiques

1.—Au cours du premier millénaire de l’Eglise, le culte des martyrs puis des confesseurs était réglementé par les diverses Eglises particulières. Les Evêques, de façon individuelle ou collégiale, à l’occasion de Synodes, autorisaient de nouveaux cultes particuliers, qui commençaient par l’elevatio ou la translatio corporis. Ces Actes ont ensuite été appelés canonisations épiscopales ou canonisations particulières, car ils concernaient directement la seule Eglise locale (1).

Au XIe siècle, commença à s’affirmer le principe que seul le Pontife romain, en qualité de Pasteur universel de l’Eglise, avait l’autorité de prescrire un culte public, tant dans les Eglises particulières que dans l’Eglise universelle. A travers une Lettre au Roi et aux Evêques de Suède, Alexandre III revendiqua pour le Pape l’autorité de conférer le titre de saint, accompagné du culte public relatif. Cette norme devint une loi universelle sous Grégoire IX en 1234.

Au XIVe siècle, le Saint-Siège commença à autoriser un culte limité à des lieux déterminés et à certains Serviteurs de Dieu, dont la cause de canonisation n’avait pas encore commencé ou n’était pas encore terminée. Cette concession, visant à la future canonisation, est à l’origine de la béatification. Les Serviteurs de Dieu, auxquels était accordé un culte limité, furent appelés bienheureux à partir de Sixte IV (1483), déterminant ainsi la distinction juridique définitive entre le titre de saint et celui de bienheureux qui était utilisé indifféremment à l’époque médiévale.

La concession du culte local était notifiée et communiquée aux personnes concernées à travers une Lettre apostolique sous forme de Bref, que l’Evêque local envoyait en vue de l’exécution auctoritat apostolica

Après l’institution de la Congrégation des Rites (1588), par Sixte V, les Papes continuèrent d’accorder des cultes limités (Missa et Officium), dans l’attente de parvenir à la canonisation. Progressivement, les procédures devinrent plus précises et mieux définies, jusqu’à arriver à la réglementation en vigueur, promulguée en 1983.

2.—La doctrine en ce qui concerne les instituts de béatification (2) et de canonisation (3) est restée en substance la même au cours des siècles. Leur distinction (4), qui trouve une expression adéquate dans les formules d’énonciation ou de constitution respectives, est précise et essentielle. La canonisation est la glorification suprême, de la part de l’Eglise, d’un Serviteur de Dieu élevé aux honneurs des autels, ayant été prononcée sous forme de décret, à caractère définitif et didactique pour toute l’Eglise, engageant le Magistère solennel du Pontife romain. Et cela est exprimé sans équivoque dans la formule: «Ad honorem Sanctae et Individuae Trinitatis…, auctoritate Domini Nostri Jesu Christi, beatorum Apostolorum Petri et Pauli ac Nostra… Beatum N.N. Sanctum esse decernimus ac definimus, ac Sanctorum Catalogo adscribimus, statuentes eum in universa Ecclesia inter Sanctos pia devotione recoli debere».

La béatification, au contraire, consiste dans la concession d’un culte public sous forme d’indult, et limitée à un Serviteur de Dieu, dont les vertus héroïques, c’est-à-dire le martyre, sont reconnues en bonne et due forme, comme il ressort de la formule relative: «…facultatem facimus ut Venerabilis Servus Dei N.N. Beati nomine in posterum appelletur, eiusque festum… in locis ac modis iure statutis quotannis celebrari possit».

II. Les rites de béatification au cours des siècles

Bien que dans une continuité doctrinale substantielle, en ce qui concerne la nature de béatification et de canonisation, les rites et les cérémonies, ainsi que les formules d’énoncé et d’autres détails de moindre importance, ont eu une évolution différente où nous pouvons distinguer, en ce qui concerne le seul Institut de la béatification, quatre étapes:

a) Avant 1662: le Pape, en accordant le culte local (béatification), laissait normalement aux personnes concernées (Postulateurs de la cause, Evêque du lieu), la possibilité de choisir le jour, le lieu et la façon de célébrer solennellement l’événement de la béatification, et d’inaugurer le nouveau culte (Missa et Officium). Il pouvait également arriver, en particulier dans certains monastères, qu’à l’occasion de la béatification, ne soit célébrée aucune solennité extérieure, mais que l’on célèbre la fête du nouveau bienheureux au jour établi par le calendrier liturgique de l’année en cours.

b) De 1662 à 1968: la première béatification, sous forme solennelle, fut celle de saint François de Sales, voulue par Alexandre VII. Le rite se déroula dans la Basilique Saint-Pierre en deux temps distincts. Dans un premier temps — le matin du 8 janvier 1662 — eut lieu, dans la Basilique, le rite à proprement parler de la Béatification; on donna lecture du Bref apostolique, portant la date du 28 décembre 1661, par lequel le Pape conférait le titre de bienheureux et les honneurs liturgiques relatifs; puis suivit la célébration de la Messe solennelle, présidée par l’Evêque de Soissons. Par la suite, en règle générale, l’Eucharistie sera présidée par un chanoine-Evêque du Chapitre du Vatican. Les protagonistes de ce rite du matin furent la Sacrée Congrégation des Rites et le Chapitre Vatican. Dans un deuxième temps — dans l’après-midi du même jour —, le Pape descendit dans la Basilique pour vénérer le nouveau bienheureux et pour gagner l’indulgence plénière, que lui-même avait accordée aux fidèles qui, ce jour-là, auraient visité la Basilique. La pratique instaurée par Alexandre VII est demeurée identique jusqu’en 1968, lorsqu’eut lieu la dernière béatification selon ce rite (5).

c) De 1971 à 2004: avec la béatification de saint Maximilien Kolbe (†1941), célébrée dans la matinée du 17 octobre 1971, Paul VI introduisit l’importante innovation de présider personnellement le rite de la béatification; c’est ainsi que fut supprimée la cérémonie de l’après-midi au cours de laquelle le Saint-Père descendait dans la Basilique pour vénérer le nouveau bienheureux et gagner l’indulgence plénière. Pour la première fois fut prédisposée une «formule de béatification» qui fut lue par le Pape lui-même. Dès ce moment, la Congrégation des rites fut d’avis que «bien que toutes deux comportent l’intervention du Pape, il doit y avoir une différence nette de solennité entre la canonisation et la béatification» (6).

Au cours des béatifications successiv
es (1972, 1974, 1975), le Pape, présent à la célébration, recevait la peroratio, et prononçait la formule de béatification, mais ne célébrait pas la Messe, qui était présidée le plus souvent par l’Evêque diocésain du nouveau bienheureux. La peroratio était faite par le Préfet ou par le Secrétaire de la Congrégation pour les Causes des Saints, ou encore par l’Evêque diocésain, qui présidait la célébration eucharistique.

Avec la béatification du 19 octobre 1975, le Pape présida à nouveau également la Messe, et ce jusqu’en 2004.

d) Depuis 2005: le Saint-Père BenoîtXVI a établi que les rites de béatification du 14 mai 2005 soient présidés par le Cardinal José Saraiva Martins, Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, qui «de mandato Summi Pontificis», donna lecture de la Lettre apostolique par laquelle le Pape accordait le titre de bienheureuses à deux vénérables Servantes de Dieu. Auparavant, les Evêques des diocèses des nouvelles bienheureuses avaient exposé une brève synthèse de leur vie. Les rites de béatification du 19 juin 2005 ont été présidés, à Varsovie, par le Card. Jòzef Glemp, Archevêque diocésain et Primat de Pologne.

III. Critères pour le rite des futures béatifications

La récente décision du Saint-Père Benoît XVI, de ne pas présider personnellement les rites de béatification, répond à l’exigence, largement ressentie, de: a) souligner davantage dans les modalités de célébration la différence significative entre béatification et canonisation; b) faire participer de manière plus visible les Eglises particulières aux rites de béatification des divers Serviteurs de Dieu.

Au cours des nombreuses béatifications célébrées par Jean-Paul II dans toutes les parties du monde, est apparue avec une clarté évidente l’opportunité pastorale que les rites de béatification se déroulent de préférence dans les Eglises locales, tout en laissant la possibilité de choisir Rome pour des raisons particulières à évaluer, au cas par cas, par la Secrétairerie d’Etat.

Partout où se déroulent les rites de béatification, que ce soit à Rome ou ailleurs, il est nécessaire qu’apparaisse de façon évidente que chaque béatification est un acte du Pontife romain, qui permet («facultatem facimus» selon l’actuelle formule de béatification) le culte local d’un Serviteur de Dieu, rendant publique sa décision à travers une Lettre apostolique.

Les rites de béatification et de canonisation sont déjà assez différents en eux-mêmes; toutefois, le fait que, depuis 1971, ils aient été présidés habituellement par le Saint-Père a pratiquement atténué aux yeux des fidèles la différence substantielle qui existe entre les deux instituts.

IV. Indications pratiques pour le rite de béatification

Les indications qui suivent concernent donc les rites des béatifications, célébrées soit en dehors de Rome, soit à Rome, et non présidées par le Saint-Père, qui, bien entendu, pourra toujours les présider, dans les circonstances et selon les modes qu’il jugera opportuns.

a. Rites de béatification dans les Eglises particulières:

Il est opportun que désormais, les rites de béatification se déroulent dans le diocèse qui a promu la cause du nouveau bienheureux, ou dans un autre endroit plus adapté de cette même Province ecclésiastique ou région.

La date et le lieu de la béatification, ainsi que les éventuels regroupements des Serviteurs de Dieu de divers diocèses, seront établis par l’Evêque diocésain (ou les Evêques diocésains) et par les postulateurs de la Cause (ou des Causes), avec la Secrétairerie d’Etat, comme cela a été le cas jusqu’à présent.

Le rite de béatification, qui se déroulera au cours d’une célébration liturgique, commencera par la présentation à l’Assemblée des lignes essentielles de la biographie du futur bienheureux. Normalement, cette présentation sera faite par l’Evêque diocésain ou, s’il s’agit de plusieurs Serviteurs de Dieu, par les Evêques diocésains respectifs, comme cela a eu lieu au cours de la béatification du 14 mai 2005 dans la Basilique Saint-Pierre au Vatican.

Le Saint-Père nommera un représentant qui donnera lecture officielle de la Lettre apostolique, par laquelle le Pontife lui-même accorde le titre et les honneurs de bienheureux au Serviteur de Dieu en question. Normalement, le Représentant du Pape sera le Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints.

Conformément à la pratique la plus récente, le rite de béatification se déroulera au cours de la Célébration eucharistique et plus précisément, après l’acte de pénitence et avant le chant du «Gloria». Toutefois, des motifs locaux particuliers pourront laisser envisager le déroulement du rite au cours d’une Célébration de la Parole ou de la Liturgie des Heures. Sous le Pontificat de Jean-Paul II, quelques rares béatifications ont été célébrées au cours des premières Vêpres du dimanche ou d’une solennité.

La célébration liturgique en l’honneur du nouveau bienheureux sera présidée de préférence par le Représentant du Pape ou par l’Evêque diocésain (ou encore par l’un des Evêques diocésains lorsqu’il s’agit de bienheureux de divers diocèses). C’est la Secrétairerie d’Etat qui décidera en la matière, après consultation des parties concernées.

Le Bureau des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife coordonnera avec les Eglises particulières tout ce qui concerne le rite de béatification.

b. Rites de béatification à Rome

Les parties concernées (Evêques et postulateurs de la Cause) peuvent demander à la Secrétairerie d’Etat que le rite de béatification d’un Serviteur de Dieu «non romain» puisse se dérouler à Rome plutôt que dans les Eglises particulières d’appartenance. Les motivations de cette requête seront évaluées par la Secrétairerie d’Etat.

Pour les rites de béatification qui ont lieu à Rome, sont valables les mêmes critères que ceux qui réglementent les rites qui se déroulent en dehors de Rome.

On rappelle l’utilité des «livrets» qui devraient continuer à être préparés par le Bureau des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife, afin de permettre une meilleure participation des fidèles à la célébration.

Enfin, il semble opportun que le rite de béatification soit sensiblement uniforme, partout où il est célébré. Il est donc souhaitable que soit préparé au plus tôt un «Ordo beatificationis et canonizationis» par le Bureau des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife, en accord avec la Congrégation pour les Causes des Saints et la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements.

Notes

(1) Benoît XIV, le «Magister» des Causes des Saints, assimile les Canonisations épiscopales aux béatifications, qui consistent dans la concession (permissio) d’un culte «pro aliquibus determinatis locis» (De Servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, Prato 1839, L.I, chap; 31, 4, p. 196).
(2) «Doctores… tradunt Beatificationem esse actum, quo Summus Romanus Pontifex indulgendo permittit aliquem Dei Servum coli posse in aliqua Provincia, Dioecesi Civitate, aut Religiosa Familia Cultu quodam determinato, ac Beatorum proprio, usquequo ad solemnem eius Canonizationem deveniatur» (Benedictus XIV, L. , chap. 39, 5; p.262).
(3) (Ibid., p. 263).
(4)(I. Noval, Commentarium Codicis Juris Canonici, Lib. IV De Processibus, pars II, Augustae Taurinorum-Romae 1932, p. 7).
(5) Cf. F. Veraja, La Beatificazione. Storia, problemi, prospettive, Roma; éd. Congrégation pour les Causes des Saints, 1983, pp. 7-111.
(6) C’est cequ’écrivait Mgr Antonelli, Secrétaire du dicastère: Archives de la Congr., V AR, 107/966, in G. Stano, Il rito della Beatificazione da Alessandro VII ai nostri giorni, in Miscellenea per il quarto Centenario della Congreg
azione delle Cause dei Santi (1588-1988), Città del Vaticano, 1988, p. 401.

© L’Osservatore Romano en langue française (Edition du 4 octobre)

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel