ROME, Mardi 4 octobre 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de l’assemblée plénière annuelle du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE) qui a eu lieu au « Salesianum », à Rome, du 29 septembre au 2 octobre sur le thème : « Le Concile Vatican II et l’Europe. Quelles indications pour l’avenir ? », Zenit a rencontré Mgr Louis Pelatre, vicaire apostolique d’Istanbul, responsable des catholiques latins pour Istanbul et Ankara et le père Hans Vöking, responsable de la pastorale des migrants dans le CCEE.
Zenit : Vous êtes venus à Rome avec des questions pressantes, surtout peut-être vous, Mgr Pelatre, qui avez à cœur le cas de la Turquie. Qu’est-ce que vous voulez porter à l’attention de cette Assemblée plénière ?
Mgr Pelatre : Je ne pense pas que l’Assemblée plénière puisse se préoccuper de tout ce qui concerne l’Eglise de Turquie en particulier. De toute façon, les chrétiens en Turquie sont une très petite minorité et nous vivons aussi dans la convivence avec les autres confessions chrétiennes qui sont les orthodoxes, donc les Grecs, qui sont très peu d’ailleurs, les arméniens et les syriaques et puis aussi les protestants. Ensemble nous formons une minorité. Notre problème c’est justement le témoignage que l’Eglise, que les chrétiens doivent donner devant un peuple qui est musulman, mais aussi une société, la société turque qui est aussi laïque parce qu’il y a en Turquie deux tendances, une tendance plus traditionnelle qui est liée à l’empire ottoman, à l’islam, et une tendance très moderne qui se veut républicaine, laïque. Nous vivons dans ce monde très complexe et nous devons donner notre témoignage, notre service comme nous l’avons dit tout à l’heure. L’Eglise catholique ne vit pas seulement pour elle-même. Elle a aussi une mission pour la population qui l’entoure.
Zenit : Y a-t-il des progrès dans le dialogue avec les musulmans ? Où en est la liberté religieuse ? Peut-on faire un bilan depuis la fin du Concile Vatican II ?
Mgr Pelatre : Quand la quasi-totalité de la population appartient à une religion, c’est plutôt eux qui devraient dire ce qu’est la liberté religieuse. Qu’est-ce que nous sommes nous les chrétiens en Turquie pour dire comment la liberté religieuse s’exerce vis-à-vis de nous ? Il faut essayer de comprendre comment ça se passe pour l’ensemble de la population, qui se réclame de l’islam à 99%. Il se trouve que eux ne sont pas si contents que cela non plus. La laïcité turque s’exerce de telle façon que même l’islam, qui est la religion de la quasi-totalité n’a pas un statut officiel et n’est donc pas reconnue officiellement par l’Etat. Ça reste du domaine privé et malgré cela, l’Etat qui est laïc, administre la religion, ce qui veut dire d’ailleurs qu’il a une main mise, qu’il a un contrôle. Il n’y a pas de ministère des cultes en Turquie. Il y a ce que l’on appelle la présidence des affaires religieuses, qui dépend directement du premier ministre. C’est le gouvernement qui nomme le chef de l’islam en Turquie. Il y a une espèce de collusion entre l’Etat et la religion mais la population en général accepte cela. Pour elle ce n’est pas un grand problème parce que être un bon citoyen, être un bon musulman, tout cela va ensemble. Je vous dis cela parce que c’est la situation générale. Comment voulez-vous que nous chrétiens, ayons une place dans un système pareil. C’est un peu difficile.
Zenit : Au centre des débats il y a également le thème de l’immigration. Selon vous, l’immigration est-elle vraiment en train de créer une unité en Europe ?
P. Hans Vöking : L’immigration fait partie de la société européenne. Il y a toujours eu des mouvements migratoires dans la société européenne, du sud vers le nord, d’est vers l’ouest, vers l’Amérique et vers l’Australie. Mais depuis 40 ans il faut distinguer deux phénomènes : d’un côté, la migration du sud vers le nord, qui est liée au développement économique et qui est une migration intra-européenne. Elle a posé des problèmes mais à partir des années 70-80 il y a également eu une immigration d’hommes et de femmes venus d’autres cultures. La société européenne est marquée par l’interculturalisme, étant donné qu’il y a des hommes venus de cultures islamique, bouddhiste, hindouiste. La société européenne n’est plus composée comme il y a trente ans. Cela pose des problèmes politiques, sociaux, juridiques. Et pour l’Eglise cela pose aussi un problème. Comment travaille-t-elle avec la mobilité humaine ? Il ne faut pas seulement considérer les hommes et les femmes qui sont en mouvement à cause du travail, qui s’implantent et qui vont s’intégrer dans un Etat européen, et qui vont y rester. Il y a aussi une mobilité du travail qui est limitée à trois, quatre mois, d’ingénieurs, de techniciens qui voyagent à travers l’Europe. Cela pose aussi pas mal de problèmes pastoraux pour l’Eglise. Comment atteindre les catholiques en mouvement ou en déplacement en Europe. Et comment vivre avec des hommes et des femmes d’autres religions, d’autres cultures. Ceci est également une nouveauté. L’Europe est devenue multi-religieuse. Je ne dis pas multi-culturelle mais multi-religieuse. Cela pose des questions à l’Eglise catholique mais aussi aux Eglises protestantes et orthodoxes. Comment construire l’avenir ?
L’autre problème dont on parle très peu dans l’Eglise catholique lorsqu’on parle de l’immigration, c’est le phénomène démographique de la société européenne. Les Européens sont en chute énorme et s’ils veulent garder un certain niveau social et économique, ils doivent de nouveau faire venir des hommes et des femmes pour travailler ici en Europe. Cela marquera un changement radical dans notre société dans les 50 ans à venir.
Zenit : Y a-t-il des points nouveaux dans l’agenda de la commission dont vous vous occupez ? Je pense par exemple au terrorisme. Cet aspect est-il mentionné dans la pastorale de l’Eglise ?
P. Hans Vöking : Bien sûr. Cela est lié à l’immigration des musulmans en Europe et au fait aussi que les musulmans regardent la grande communauté musulmane au niveau du monde. Dès qu’il y a un mouvement quelque part, en Iran, en Egypte ou en Afghanistan, cela implique aussi les musulmans qui vivent en Europe. Il y a des jeunes musulmans, ou de tradition musulmane, ou des familles musulmanes qui sont déracinés, à la recherche d’une orientation pour leur vie et pour la communauté. Ils sont souvent très accessibles par les activistes des islamistes et prêts aussi à consacrer leur vie pour le « salut » de tous les musulmans, pour la communauté musulmane. L’Eglise est concernée par le facteur extrémiste qui vient des musulmans ou de certains groupes musulmans.
Zenit : Quel est l’aspect de l’Eucharistie que vous souhaiteriez porter à l’attention du synode des évêques à partir du point de vue de votre pays, ou du pays duquel vous vous occupez. La Turquie par exemple.
Mgr Pelatre : L’Eucharistie est évidemment une réalité spécifiquement chrétienne. Je vous l’ai dit. Comme je vis dans un pays qui n’est pas chrétien, je ne vois pas comment je peux faire passer les valeurs de l’Eucharistie à ceux qui ne sont pas chrétiens. C’est notre grand problème. Nous sommes des petites communautés. Nous nous réunissons. Il est vrai que fréquemment les musulmans s’intéressent à nous et viennent dans nos Eglises. Bien sûr ils ne peuvent pas saisir et comprendre ce que nous faisons quand nous célébrons l’Eucharistie. Nous sommes tellement persuadés que c’est le centre de notre foi. Tout trouve son unité dans cette célébration. Certains disent : c’est bien aussi qu’on partage avec les autres. Je réponds
: on ne peut pas tout partager. Ce n’est pas possible. Il arrive même que nous recevions des autorités. C’est très curieux de dire : Venez prier avec nous, mais non, ça vous ne pouvez pas. Mais au niveau des communautés chrétiennes ce n’est pas la même chose. Avec nos frères orthodoxes par exemple, c’est l’un des points sur lesquels nous nous sentons profondément unis. Et là au contraire nous souffrons de ne pas pouvoir partager. Nous ne voyons pas ce qui empêcherait finalement que nous partagions la même Eucharistie, mais il y a encore des problèmes. Il y a une souffrance actuellement encore, entre confessions chrétiennes, de ne pas partager l’Eucharistie. Pour ce qui est de nous les catholiques, nous avons essayé comme tout le monde d’entrer cette année dans ce mouvement. Une fois par mois il y avait une adoration dans une église, soutenue par les jeunes également, avec de nouveaux chants. Une manière de vivre le sacrement eucharistique de façon très vivante, très adaptée à la vie d’aujourd’hui.
Zenit : L’Eucharistie peut-elle unir les migrants ?
P. Hans Vöking : Après le Concile l’Eglise a dit : il faut suivre les migrants, il faut construire certaines structures pour accueillir les migrants, célébrer l’Eucharistie dans la langue maternelle des catholiques. Cela a marché. Mais maintenant les migrants catholiques d’Italie, d’Espagne, de Croatie qui vivent actuellement en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse, etc. en sont déjà à la troisième ou quatrième génération. La première génération va encore à la mission pour célébrer l’Eucharistie mais les jeunes sont dans le système scolaire du pays. Ils préfèrent faire la préparation à la première communion avec leur classe. Ce n’est plus dans la mission, c’est dans la paroisse. Les pasteurs comprennent. Mais ce n’est pas facile à gérer, ni pour le curé, ni pour celui qui est responsable de la pastorale. Dans la plupart des pays il a quand même des initiatives que l’on célèbre avec les migrants, des journées interculturelles avec les migrants et pour les catholiques, des célébrations communes de l’Eucharistie. En Allemagne par exemple, il y a la procession de la Fête-Dieu, et toutes les missions sont invitées, elles sont bien visibles avec leurs costumes traditionnels.