Le cardinal Péter Erdö dévoile le visage de l’Eglise en Hongrie (II)

Entretien avec le nouveau président de la Conférence épiscopale hongroise

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ROME, Mardi 4 octobre 2005 (ZENIT.org) – A l’issue du mandat de président de Mgr Istvan Seregély, l’Assemblée ordinaire de la Conférence épiscopale hongroise s’est réunie du 6 au 8 septembre, et a élu son nouveau président, le cardinal Péter Erdö, archevêque d’Esztergom-Budapest, primat de Hongrie.

A quelques jours de son élection le cardinal Erdö a répondu pour Zenit aux questions de Viktoria Somogyi. Dans cet entretien, dont nous publions ci-dessous la deuxième partie, le cardinal décrit la situation actuelle de l’Eglise dans son pays et les différents défis auxquels elle est confrontée. Pour la première partie, cf. Zenit, 3 octobre.

Q : Dans un contexte européen de sécularisation où les choix « responsables et durables » semblent toujours plus difficiles, le chemin de la vocation est hérissé d’obstacles mais n’en est pas moins fécond et riche grâce à la présence de nouveaux charismes et communautés. Quelle est la situation en Hongrie ?

Card. Erdö : La Hongrie est certes également un pays où manquent les vocations. Ce manque n’est peut-être pas aussi dramatique que dans certains pays occidentaux mais il est assez important, notamment parce que ces cinquante dernières années les vocations religieuses n’étaient pas acceptées. Il n’était pas permis de vivre la vie religieuse.

Pour cette raison, des générations entières de prêtres et de religieux sont absentes ; même si le taux des séminaristes est plus élevé que dans les pays de langue allemande, le taux de prêtres par rapport aux fidèles est plus bas. Par exemple dans notre archidiocèse, nous avons un prêtre pour 6000 fidèles, ce qui est bien plus bas que la moyenne européenne. Les séminaires aussi ont atteint ces dernières années une certaine stabilité pour ce qui est du nombre d’étudiants. On a cherché dernièrement à réformer un peu le système de l’éducation pour renforcer la vocation de ces jeunes titubants qui entrent au séminaire sans avoir pris une décision définitive. Je dois dire en fait qu’il s’agit surtout du problème du fondement anthropologique de ce choix.

Q : Le relativisme conditionne tous les aspects de la vie personnelle, sociale et culturelle. Les conséquences négatives apparaissent clairement, en particulier dans la désagrégation de la « famille » qui, selon le Catéchisme de l’Eglise catholique est une « Eglise domestique », première cellule de la société. Selon votre expérience pastorale et juridique, comment l’Eglise peut-elle enrayer cette tendance ?

Card. Erdö : Notre humble expérience, qui vient du « profond communisme » des années 50 et 60, montre que, même si les grandes solutions institutionnelles peuvent à certains moments sembler spectaculaires et décisives, la vraie force réside dans les communautés plutôt modestes comme la communauté paroissiale, la communauté de plusieurs familles nombreuses qui s’entraident. Cette aide existentielle est certes également économique, mais surtout personnelle et directe, comme dans le cas de l’assistance personnelle aux jeunes mères qui ont de petits enfants et ne réussissent même pas à sortir de l’appartement dans lequel elles vivent. Cette « aide directe » est vraiment précieuse. L’Eglise aussi, malgré les difficultés et l’organisation compliquée due aux nombreux besoins de la société, a parfaitement compris que ce genre de « rapports directs » est plus fort parce qu’il va au-delà des circonstances publiques d’un Etat et d’une société, qui changent souvent. Ces modèles se transmettent psychologiquement aussi aux générations futures.

Je peux raconter mon expérience personnelle. Mes parents avaient une grande famille. Au début des années 50 nous étions six frères à la maison et autour de nous il y avait des familles amies : une dizaine de familles comme la nôtre, dans lesquelles tous étaient catholiques et qui s’aidaient les unes les autres. Très souvent les enfants de ces familles ont eu à leur tour de grandes familles avec de nombreux enfants et j’ai eu la joie de saluer les petits enfants de certaines de ces familles dans notre séminaire.

Q : La Hongrie est caractérisée par une présence pluriconfessionnelle historique qui peut lui valoir d’être considérée comme un kaléidoscope de la nouvelle Europe. Quels sont les résultats de cette expérience séculaire dans la coexistence et le dialogue œcuménique et interreligieux ?

Card. Erdö : Avant tout, la Hongrie est un petit pays, très ouvert à toutes les influences venant de l’étranger. Le pays est très exposé au jeu des pouvoirs du monde et du continent ; ne nous faisons donc pas d’illusions : nous n’allons pas faire de pas décisifs, pour tout le monde, dans ce domaine non plus. Notre expérience est donc une expérience limitée à nos circonstances mais qui peuvent exprimer aussi des valeurs généralement importantes. La tolérance, et surtout l’empathie avec les autres confessions a une grande valeur. « La réconciliation historique » doit être au cœur de toute chose car le passé nous a laissé des blessures profondes. On doit parler de cela sans rancoeur et sans préjugés, en essayant de raconter à nouveau notre histoire commune de manière « réconciliée », en faisant une autocritique mais en restant dans la vérité et la fidélité à la vérité historique afin de pouvoir trouver une base pour un discours commun dans une collaboration féconde dans la société actuelle. Mais la Hongrie est un lieu qui se prête assurément beaucoup au dialogue, aussi bien avec les orthodoxes qu’avec les protestants, même si ceux-ci sont moins nombreux, et aussi avec les juifs.

Q : Selon le principe de subsidiarité, mentionné fréquemment dans le magistère social de l’Eglise, les institutions centrales et les corps intermédiaires doivent collaborer activement en ayant pour but le bien commun. Quels sont, à cet égard, les rapports actuels entre l’Etat et l’Eglise en Hongrie ?

Card. Erdö : Premièrement, tous les modèles ont une valeur lorsque dans la société il existe un minimum de politesse. Lorsqu’un Etat est un Etat de droit, il faut naturellement observer les lois. Ce modèle est un modèle qui a montré ses mérites dans le monde occidental et nous combattons pour ce droit de type occidental, pour le fonctionnement de cette nouvelle démocratie. En réalité, dans tous les pays de notre région, il existe de graves problèmes car nous avons dû adopter en très peu de temps des formes institutionnelles, indépendamment de notre réalité sociale. Les formes juridiques et institutionnelles ne sont donc pas des produits organiques de notre réalité sociale mais des « cadeaux » de l’Occident que nous avons acceptés avec joie car nous apprécions les valeurs générales qui sont derrière ces formes démocratiques. Un temps de souffrance plutôt long est bien sûr nécessaire afin que ces formes puissent refléter une réalité vraiment respectueuse de la personne, de la justice, etc.

Par conséquent, subsidiarité oui, mais pas seulement une subsidiarité de pures formes institutionnelles mais une « subsidiarité organique » dans la réalité de la société, ce qui est un travail beaucoup plus long, comme dans le cas du changement dans les rapports de propriété. Le communisme avait exproprié tous les biens de la société et par conséquent, une nouvelle classe est née après le communisme. Mais comment ? Ceci n’est pas clair du tout pour la majorité de la société, au point que certains en sont arrivés à mettre en question ou en doute la légitimité de toutes les grandes propriétés privées nées ces dernières années. Cela est donc aussi un poids moral. Nous devons nous efforcer de comprendre comment la société peut tro
uver son équilibre, aussi bien moral qu’institutionnel. Les institutions démocratiques occidentales peuvent peut-être nous aider dans cette évolution. Mais il est plus important encore que nous ayons la générosité chrétienne et la confiance dans la providence et dans la miséricorde divine.

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ZENIT Staff

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