ROME, vendredi 8 juillet 2005 (ZENIT.org) – Voici le texte intégral de la conférence du cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la Culture, à Sarajevo, ce 8 juillet, lors de la rencontre internationale des Centres culturels catholiques de la Méditerranée et des Balkans, qui se tient à Sarajevo du 7 au 10 juillet, sur le thème du défi d’un nouveau dialogue culturel à l’ère de la mondialisation (cf. ZF050706).
La rencontre rassemble des représentants de 25 pays d’Europe, d’Afrique, et d’Asie, avec le soutien du centre culturel catholique de Bosnie Herzégovine.
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Cardinal,
Messieurs les ministres,
Excellences,
Chers amis,
1. C’est pour moi une grande joie d’introduire les travaux de ce nouveau Colloque des Centres culturels catholiques de la méditerranée, en cette cité-martyre de Sarajevo qui évoque tant pour chacune et chacun d’entre nous, victime des ravages dramatiques de la haine lorsque le dialogue a fait place à l’hostilité entre les hommes et les peuples. Dans notre société mondialisée, en ce début du troisième millénaire, les hommes et les femmes de notre temps sont appelés à intensifier les rencontres pour partager leur héritage et édifier une société plus juste et plus fraternelle. Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos mots de bienvenue et le témoignage que vous n’avez cessé de donner, dans la fidélité à l’Évangile, pour que l’amour et le pardon soient toujours les premiers et les derniers mots du dialogue. C’est pour moi une joie profonde de vous retrouver, chère Éminence, quelque trois mois après les évènements bouleversants que nous avons vécus ensemble à Rome, de la mort de notre regretté Pape Jean-Paul II à l’élection de notre bien-aimé Pape Benoît XVI. Votre accueil me donne de ressentir à nouveau la vive émotion du Conclave à jamais gravé dans nos esprits et nos cœurs, elle nous rapproche durablement dans une commune action de grâces au Seigneur.
Monsieur le Président de la République,
2. C’est une grande joie pour moi de vous dire, en notre nom à tous, l’honneur qui est le nôtre de vous accueillir au commencement de nos travaux. Avec prêtres, religieux et religieuses, laïcs engagés dans le dialogue foi et cultures, le Conseil Pontifical de la Culture a choisi Sarajevo pour réunir les responsables des Centres culturels catholiques du bassin méditerranéen et, avec eux, réfléchir sur Les défis d’un nouveau dialogue dans le contexte de la mondialisation. À l’occasion de sa venue mémorable en cette cité, le 12 avril 1997, le Pape Jean-Paul II déclarait aux hommes politiques de Bosnie-Herzégovine : « Sarajevo, ville au carrefour de tensions entre des cultures, des religions et des peuples différents, peut être considérée comme la ville-symbole de notre siècle… Dans une perspective historique, Sarajevo, et toute la Bosnie-Herzégovine, si elles réussissent à établir leurs structures institutionnelles dans la paix, peuvent devenir à la fin de ce siècle un exemple de convivialité dans la diversité pour de nombreuses nations qui font, elles aussi l’expérience de cette difficulté, en Europe et dans le monde ». Et il ajoutait : « La méthode dont on doit tenir le plus grand compte pour résoudre les problèmes qui surgissent tout au long de ce chemin difficile, est celle du dialogue inspiré par l’écoute de l’autre partie et le respect mutuel. »
Votre présence, Monsieur le Président, est pour nous hautement significative, et votre intérêt pour l’action des Centres culturels catholiques nous encourage. Ces Centres, vous le savez, veulent suivre cette méthode : ils sont des lieux de dialogue. Ils ont pour but essentiel de mettre en fécond rapport la foi chrétienne avec les cultures de notre temps, et ils entendent répondre aux défis des sociétés éclatées en offrant des espaces de rencontre et de colloque, de réflexion et de partage. Vous le savez, le Conseil Pontifical de la Culture accorde une grande importance au dialogue interculturel et interreligieux pour la rencontre des peuples. L’Église le fait à la suite du Christ venu enseigner aux hommes qu’ils sont fils d’un même Père et les aider à vivre en frères. Nous souhaitons tous, pour les sociétés du nouveau millénaire, un avenir de justice et de paix, et nous sommes convaincus de pouvoir l’édifier dès lors que les hommes et les femmes de tous les peuples et de toutes les religions sauront conjuguer les termes de culture et de dialogue, d’identité et d’ouverture, de connaissance et de respect, de foi et d’accueil.
Monsieur le Président, Messieurs les Ministres,
3. Vous savez combien, avec notre regretté Pape Jean-Paul II, nous avons ressenti douloureusement le drame qui a divisé les populations de cette région de l’Europe. Nous avons partagé vos souffrances avec tant de peine pendant toute la période du récent conflit. Nous voyons votre engagement pour mettre en place les éléments nécessaires pour édifier une société réconciliée d’hommes et de femmes respectueux de leurs différences et désireux d’un authentique partage dans le vivre-ensemble. Vous savez combien, même aux heures les plus tragiques, les autorités de l’Église ont cherché à établir des ponts avec les responsables des autres communautés religieuses. Nous pouvons le redire haut et fort : le conflit n’était pas religieux ! Mais comme tristement trop souvent dans l’histoire des hommes, la religion a été honteusement prise en otage pour justifier des replis identitaires injustifiables et attiser la haine des autres pour servir les ambitions personnelles d’un petit nombre. Il nous faut le redire sans cesse : la religion est porteuse d’une haute idée de l’homme, elle sait que toute vie est sacrée, elle est un don de Dieu pour rassembler tous les hommes en une seule famille, dans l’amour et la paix.
Monsieur le Président, les Centres culturels catholiques se multiplient dans le monde comme d’humbles unités reliées entre elles pour former un vaste filet où les hommes sont rassemblés dans l’écoute mutuelle et l’accueil des autres et de leurs différences. Notre commune humanité exige de nous une authentique fraternité, et notre identité propre nous appelle au partage. Vous qui avez connu les heures tragiques de la division et de la haine, vous savez mieux que quiconque le nécessaire recours aux valeurs spirituelles : l’avenir d’un pays dévasté ne peut s’établir sur la seule reconstruction matérielle, il a besoin de prendre appui sur les fondements spirituels de la manière humaine de vivre ensemble. C’est notamment dans ce but que travaillent les Centres culturels catholiques, qui sont des « forums publics, lieux de rencontres et de réflexion, d’étude et d’informations, d’échange d’idées et d’approfondissement entre foi et cultures ». Ces centres « offrent aux catholiques, comme à toute personne intéressée par une rencontre culturelle, des occasions de contacts et d’échanges enrichissants sur le monde et l’histoire, la religion et l’art, la culture et la science. Enfin, ils aident à discerner les valeurs capables d’éclairer l’existence et de donner un sens à la vie » . Nous ne saurions nous résoudre à une société mondialisée uniforme et sans saveur. Nous appelons de nos vœux un monde riche de toute la palette des couleurs nécessaires à la réalisation d’une mosaïque belle et lumineuse, sans exclusion aucune, si ce n’est celle des ombres ténébreuses indignes de l’homme et de son humanité.
Puissent ces Centres se multiplier en Bosnie-Herzégovine, dans les Balkans et dans tout le Bassin méditerranéen, et contribuer à l’union des peuples pour rendre notre société mondialisée plus humaine, plus fraternelle et culturellement plus riche. Avec vous, Monsieur le Président, Messieurs les
Ministres, nous voulons regarder l’avenir avec confiance et détermination. Pour sa part, le Saint-Siège et l’Église tout entière, en profonde syntonie avec les responsables politiques des États engagés dans la construction d’un avenir meilleur, appellent de leurs vœux la coopération de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, dans le dialogue interculturel et le partage de leurs héritages, pour le bien des peuples. Avec le pape Benoît XVI, il m’est agréable, Monsieur le Président, de partager avec vous les mêmes convictions : c’est en termes de culture et de patrimoine qu’il nous faut envisager l’avenir, tant il est vrai qu’il n’y a de culture que de l’homme, et d’organisation sociale à l’intérieur des États qui ne vaille que pour le bien de tous les citoyens. En continuité d’une tradition bimillénaire, l’Église catholique pour sa part continue d’œuvrer pour une société plus juste et plus humaine, plus solidaire et plus unie, dans le plein respect des composantes diverses des peuples.
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4. Je me dois maintenant de saluer chacun d’entre vous, chers Pères, religieux et religieuses, laïcs en provenance des pays du bassin méditerranéen. Vous œuvrez dans des Centres aux activités multiples et diverses pour transmettre la foi dans les cultures. Nous nous connaissons bien pour la plupart d’entre nous, et c’est avec joie que j’accueille ceux qui nous rejoignent pour la première fois. Nos journées d’étude et de réflexion nous donnent de mieux nous connaître et de partager nos expériences : elles diffèrent par les activités et les contextes culturels contrastés où nous sommes insérés.
Cette rencontre s’inscrit dans un cycle aujourd’hui bien établi : douze années se sont écoulées depuis le mois d’octobre 1993, quand le Conseil Pontifical de la Culture organisait la première rencontre des directeurs et des responsables des centres culturels catholiques à Chantilly, près de Paris. Depuis, nous nous sommes régulièrement retrouvés : à Munich en Bavière, Cadenabbia dans le nord de l’Italie, Barcelone deux fois, Rome et Bologne en Italie, Fatqa au Liban et Sumuleu-Ciuc en Roumanie, pour ce qui concerne l’Europe et le Bassin Méditerranéen, mais aussi Puebla de los Angeles au Mexique, Valparaíso au Chili, João Pessoa ou encore à São Paolo au Brésil et Salta en Argentine, pour l’Amérique, et Nagasaki au Japon en attendant Goa en Inde, pour l’Asie, et à Lusaka en Zambie, pour l’Afrique.
Réfléchir aux défis de la mondialisation.
5. Le thème de nos travaux, Les défis d’un nouveau dialogue dans le contexte de la mondialisation, est une invitation à prendre en compte les transformations de nos sociétés soumises, souvent indépendamment de leur volonté, aux puissants flux suscités par le vaste phénomène de la mondialisation, et à leurs incidences culturelles. Nos réflexions sur le véritable impact de la mondialisation sur nos sociétés, et les réponses aux défis posés à l’homme et la culture, sont pour l’Église d’une grande importance. Sans une action concertée, nous risquerions de nous retrouver sur des plages dévastées à constater impuissants les dégâts d’un authentique tsunami culturel laissant derrière lui ruines et déchets sur une terre hostile, et nous serions condamnés à la nostalgie du passé, incapables de trouver un abri pour nous retrouver dans ce qui fait notre identité et notre raison d’être. Nous sommes ici pour mettre en lumière certains pièges de la mondialisation qui mettent en péril la culture, mais nous nous devons aussi d’en discerner les possibilités pour démultiplier notre action, l’enrichir et la fortifier. Dans cette nouvelle société qui nous paraît souvent étrange, sinon étrangère, il nous faut rechercher les voies et les moyens d’une authentique rencontre des hommes, dans le dialogue, l’accueil et le respect. Chacun de nous le fait selon sa grâce, parfois avec la sensation d’accomplir une œuvre de faible envergure. Mais c’est aussi un des buts de nos rencontres : prendre conscience que nous ne sommes pas seuls, que notre action s’accompagne de celle d’une multitude d’autres centres où des chrétiens tentent, par la via culturalis, d’insérer la sève de l’Évangile au cœur des cultures pour que ses fruits se multiplient en ce commencement du troisième millénaire.
TRANSMETTRE LA FOI.
6. Nos centres culturels sont catholiques. C’est notre identité, nous ne saurions la mettre en veilleuse. Nos activités s’inscrivent dans le mouvement de la nouvelle évangélisation. Il s’agit pour nous de transmettre la foi dans les cultures, cette foi indivisible qui, de saint Paul à Charles de Foucauld, est la raison d’être de l’activité missionnaire des baptisés. Avec l’Église, nous entendons répondre au commandement du Seigneur : « Allez dans le monde entier, de tous les peuples, faites des disciples ». La foi chrétienne est source d’un humanisme apte à transformer les cultures des hommes pour les rendre plus humaines. Et quand nous ne pouvons explicitement dire notre foi dans des contextes culturels hostiles, nous pouvons toujours présenter cette vision de l’homme, de la société, de la science, de la politique, de l’art, de l’économie qui plonge ses racines dans l’Évangile et que nous dénommons l’humanisme chrétien. Il est universel, et c’est notre vocation de le proposer dans une attitude de dialogue et de raison aux hommes et aux femmes de bonne volonté qui acceptent de venir en nos centres. Mais ne l’oublions jamais : la proposition de cet humanisme devrait toujours pouvoir conduire au Christ, parce que lui-même en est la mesure, il en est la source et la fin. C’est toujours de la rencontre personnelle avec le Christ que nous partons, pour conduire à lui, avec sa grâce.
Dans son homélie à l’ouverture du Conclave, le futur pape Benoît XVI, alors Doyen du Collège des Cardinaux, nous mettait en garde, avec saint Paul dans sa Lettre aux Éphésiens, contre « les vents de doctrine » contraires à la foi : « Combien de vents de doctrine avons-nous connus ces dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de penser… La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens est souvent agitée par ces vagues jetées d’un extrême à l’autre : du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme ; du collectivisme à l’individualisme radical ; de l’athéisme à un vague mysticisme religieux ; de l’agnosticisme au syncrétisme etc. Tous les jours naissent de nouvelles sectes et prend forme ce qu’avait dit saint Paul « sur l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur ». Avoir une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, vient souvent étiqueté comme fondamentalisme. Alors que le relativisme, c’est à dire se laisser « emporter à tout vent de la doctrine », apparaît la seule attitude à la hauteur du temps présent. Peu à peu se construit une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui laisse comme ultime mesure que son propre ego et ses désirs. » Nous ne pouvons pas ignorer ces récifs de la cultura adveniente, comme disent nos amis latino-américains : il s’agit dans nos dialogues et à travers les activités de nos Centres, de déblayer les chemins souvent ensablés, et parfois obstrués de la foi en suivant la via veritatis tout autant que la via caritatis.
FORMER LE JUGEMENT, OUVRIR LES HORIZONS.
7. Vous le savez : l’intérêt et le soutien apportés par le Conseil Pontifical de la Culture aux Centres culturels catholiques procèdent d’une conviction : la pénétration de la foi dans les cultures de notre temps ne peut s’accomplir de manière approfondie que de façon diversifiée. La société du début du IIIème millénaire dispose de moyens techniques et intellectuels très puissants, mais apparaît comme impuissante à susciter des visionnaires, des hommes et des femmes capables de resituer le fl
ot des connaissances dans leurs contextes, et de distinguer l’information du savoir, la curiosité de l’essentiel, l’éphémère de l’inaltérable. Je recevais à Rome, voici quelques jours, le Commissaire de l’Éducation et de la Culture de la Commission Européenne de l’Union Européenne. Et je lui disais ma conviction d’un nécessaire retour à l’idée fondatrice de ce formidable projet européen, la culture, si bien comprise par les « pères » fondateurs : Robert Schuman, Alfred de Gasperi et Konrad Adenauer. Sa réponse laconique était aussi subtile que tragique : « Je ne vois pas de fils de Schuman en France »… Jean-Paul II et, aujourd’hui, son digne successeur Benoît XVI sont la voix singulière de l’Église, la seule à dire l’évidence : sans âme, sans les valeurs transcendantes partagées dans leurs cultures, les nations européennes ne sauraient s’unir dans un projet commun et donner ainsi à l’Europe de répondre à sa vocation dans le monde. Si la culture est l’âme d’un peuple, quelle sera cette âme de l’Europe ? Si le continent est constitué par un ensemble de cultures, seul le dialogue ouvert des cultures lui donnera de retrouver ses racines communes… Elles ne sont autres que celles de l’Évangile, enracinées dans la Bible, partagées avec tous les fils d’Abraham, en dialogue constructif avec les héritiers de la philosophie des lumières, dont récemment encore le Cardinal Joseph Ratzinger rappelait la signification et les limites dans son intervention du 1er avril dernier à Subiaco, à la veille de son entrée en Conclave .
Les Centres culturels catholiques ont pour ambition de servir l’homme d’aujourd’hui dans sa vie quotidienne, et de lui donner d’ouvrir son intelligence à la splendeur de la vérité, une vérité exigeante, certes, parce qu’elle échappe aux frontières de l’immédiat. Nous voulons, dans un dialogue fraternel, offrir les critères du discernement, et nous savons pouvoir le faire parce que le Christ nous communique une sagesse : il est lui-même notre sagesse. Nous avons accès au trésor de l’Église, il s’est enrichi au cours des siècles par les écrits d’une multitude d’hommes et de femmes qui ont médité la Parole de Dieu et ont cherché à l’insérer dans la culture de leur temps comme on insère le levain dans la pâte. Les Centres culturels catholiques ne sont pas des générations spontanées sans héritage ni partage : ils s’insèrent dans le vaste mystère du corps mystique de l’Église, corps vivant dont les membres sont unis et se nourrissent à la même table eucharistique. Deux millénaires d’histoire de l’évangélisation sont notre commun héritage. Si, comme j’aime à le répéter, la mémoire est l’espérance du futur, sachons ancrer nos centres dans cet héritage qui fait notre fierté et a depuis deux millénaires largement œuvré pour rendre le monde plus fraternel et solidaire, en un mot plus humain pour tous ses habitants dans la conviction que chacune et chacun a une valeur incommensurable, parce que « à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
LES CHANGEMENTS CULTURELS DE LA MEDITERRANEE.
8. L’historien Gonzague de Reymond parle de l’Homo Mediterraneus pour caractériser une manière d’être homme, partagée par des peuples qui se côtoient tout au long de cette mer. Beaucoup d’entre vous vivent dans des contextes culturels qui sont encore relativement préservés de l’éclatement d’une société mondialisée. Si les identités culturelles demeurent suffisamment évidentes pour être lisibles, il n’en reste pas moins important d’être attentifs et de porter un regard critique sur le vaste mouvement de mondialisation auquel nous assistons avec, parfois, un tragique sentiment d’impuissance. Je le disais à l’instant avec l’exemple de la crise traversée par ce que certains appellent la nouvelle Europe : si l’avenir des peuples ne se pose pas en termes de culture, d’avenir il n’y en aura point, et nous répéterons les erreurs de l’ancienne Union Soviétique. Nous serions alors condamnés à pleurer sur les ruines de pays aux populations sans avenir.
Nous ne méconnaissons pas pour autant la dimension positive de l’immense progrès des sciences et des techniques : les changements rapides que nous vivons à un rythme accéléré laissent entrevoir de nouveaux espoirs. Des dynamiques inédites poussent vers un rapprochement des différents mondes, et en ce qui nous concerne, des deux rives de la méditerranée et des différentes nations européennes. Nous souhaitons que traverse la mer et les frontières une « onde d’humanité » où le mal est rendu plus difficile parce qu’immédiatement connu et le bien plus solide parce que renforcé par la contribution d’un plus grand nombre de bonnes volontés. En effet, l’immigration du sud vers le nord et de l’est vers l’ouest provoque un changement rapide du visage de l’Europe. Il s’agit d’un phénomène aux proportions gigantesques, qui offre de grandes possibilités en matière de dialogue interculturel. Et s’il apparaît parfois comme détenteur d’un dangereux potentiel de déstabilisation, il nous appartient d’œuvrer pour que les intérêts partisans soient étouffés dans l’œuf, et que la religion ne soit pas détournée de ses fins comme instrument de revendications qui n’ont rien à voir avec l’humble relation d’amour du croyant et de son Dieu, du croyant et de son frère. Voici sans nul doute l’un des défis majeurs pour nous tous au commencement du troisième millénaire. Et nous devons aider nos frères des autres religions à en prendre conscience. C’est sans nul doute l’un des défis les plus importants du dialogue interculturel et interreligieux.
Ces conflits géopolitiques, je le disais au début de mon propos, sont perçus et présentés, parfois et bien à tort, comme un conflit de civilisations et, plus grave encore, de religions, si bien que nombre de nos contemporains attribuent la faute de ces tensions au dogmatisme des religions monothéistes. Les Centres culturels catholiques peuvent faire beaucoup par leurs propositions et leurs débats largement ouverts pour tordre le cou à ces interprétations erronées et dangereuses. Le Cardinal Ratzinger le disait clairement dans sa dernière intervention publique, sur L’Europe dans la crise des cultures, la veille de la mort de Jean-Paul II, que j’ai publiée dans le dernier numéro de la Revue du Conseil Pontifical de la Culture : « La véritable opposition qui caractérise le monde d’aujourd’hui n’est pas entre diverses cultures religieuses, mais entre la radicale émancipation de l’homme, de Dieu, des racines de la vie, d’une part, et les grandes cultures religieuses de l’autre » . Nous savons tous les prises de position sans équivoque du pape Jean-Paul II contre la guerre et contre le terrorisme, et ses déclarations d’une netteté sans pareille stigmatisant le recours à la religion pour les justifier, comme un blasphème contre Dieu et une insulte à l’homme. C’est notre conviction : la haine, le fanatisme religieux et le terrorisme profanent le nom de Dieu et défigurent l’image authentique de l’homme.
LE SECULARISME, LA NON-CROYANCE ET L’INDIFFERENCE RELIGIEUSE.
9. Ajoutons aussi que d’une autre manière, le phénomène croissant du sécularisme sur la rive nord de la méditerranée, contribue à alimenter de fortes tensions et à provoquer de profonds changements sociaux. La marginalisation des religions dans la vie publique, l’implosion du modèle traditionnel de la famille, fondement millénaire du modèle de vie du Bassin méditerranéen, la société de consommation et l’omniprésence de la technologie dans la vie privée sont en train de provoquer, à une vitesse sidérante, ce que certains pensent être un nouveau modèle de société et de culture, qui pourrait même faire disparaître les modèles millénaires des cultures méditerranéennes. Le phénomène de la non-croyance n’est pas étranger à vos pays
: nombre d’émigrés perdent la pratique de leur religion quand ils séjournent en France, en Belgique ou ailleurs, et deviennent comme indifférents à la sphère du spirituel. Il me semble de la plus haute importance de réfléchir sur ce vaste phénomène de la non-croyance et de l’indifférence religieuse, comme le Conseil Pontifical de la Culture l’a fait avec ses membres et ses consulteurs à l’occasion de sa dernière Assemblée plénière, en mars 2004.
Ce sont là, chers amis, de très graves questions : les nouvelles migrations en cours et le sécularisme galopant, contribueront-ils à un rapprochement des deux rives de la méditerranée, ou ne deviendront-ils pas un facteur aggravant de tensions et de divisions ?
LES TRAVAUX.
10. Je vais dans un instant donner la parole à Monseigneur Coda qui nous entretiendra sur Les fondements théologiques du dialogue. Le Pape Benoît XVI, dans son premier message, au lendemain de son élection, a fortement affirmé son engagement à poursuivre le dialogue de l’Église avec le monde de notre temps : « Je n’épargnerai pas mes efforts ni mon dévouement pour poursuivre le dialogue prometteur entamé par mes vénérés Prédécesseurs avec les différentes civilisations, afin que de la compréhension réciproque naissent les conditions d’un avenir meilleur pour tous ». Cet engagement, c’est bien sûr le nôtre, à sa suite.
Ce dialogue, pour vous, – nous le verrons cet après-midi – est dialogue culturel et dialogue interreligieux. Il se situe dans des contextes de forte immigration ou, à l’inverse, d’exode dramatique – je pense aux chrétiens du Moyen-Orient. Il est souvent confronté à la tentation de la non-croyance et au vaste phénomène de la sécularisation. Il rencontre parfois les séquelles du communisme léniniste athée, ou d’autres idéologies totalitaires.
Nous le verrons demain, nos Centres veulent être une réponse efficace par la multiplicité de leurs manières d’être présents et d’agir. Nous écouterons la présentation du Vademecum des Centres culturels catholiques, conçu pour aider à leur compréhension et faciliter leur multiplication. Enfin, nous nous réunirons en Table ronde pour échanger sur nos actions, notre aptitude à transmettre la foi, le service rendu à l’Église et aux populations.
Il me reste à nous souhaiter une rencontre fructueuse, fraternelle et enrichissante. En renouvelant à chacun et à chacune ma gratitude pour avoir répondu à l’invitation du Conseil Pontifical de la Culture, je veux conclure en remerciant très vivement le Directeur du Centre HKD Napredak et le Recteur du Grand Séminaire pour votre précieuse collaboration, votre accueil généreux, et votre disponibilité de tout instant pour le plein succès de cette Rencontre.
Bon travail. Que le Seigneur nous bénisse !