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De retour en Pologne, il est envoyé à Niegowic comme vicaire paroissial, mais après une seule année, il est appelé à Cracovie pour être vicaire paroissial dans la paroisse de Saint-Florian et ouvrir une aumônerie pour les étudiants universitaires. En dépit des obstacles soulevés par le régime communiste, il fait preuve d'extraordinaires talents éducatifs et de créativité pastorale et culturelle: il sait en effet pénétrer l'inquiétude des cœurs des jeunes et entrer en profonde syntonie avec eux, les introduisant en même temps dans la vérité, la beauté, et l'engagement de la personne et de la croix et résurrection du Seigneur Jésus. C'est ainsi qu'il commence, à cette époque déjà, à exercer sur eux cette attraction merveilleuse qu'il exprimera, en tant que pape, à travers les Journées mondiales de la Jeunesse.

Après la mort du cardinal Sapieha, Mgr Eugeniusz Baziak voulut pourtant que Dom Karol se consacre à l'enseignement universitaire et lui accorda, à partir du 1er septembre 1951, deux années sabbatiques pour écrire sa thèse, intitulée « Mise en valeur de la possibilité de fonder une éthique catholique sur la base du système éthique de Max Scheler ». Cette étude, qui obtint l'approbation académique le 30 novembre 1953, permit au jeune prêtre de pénétrer la pensée phénoménologique, parvenant à la conclusion que la phénoménologie est un instrument important et précieux pour enquêter sur les dimensions de l'expérience humaine mais qu'elle a besoin d'être fondée sur la conception réaliste de l'être et de la connaissance, que Dom Karol avait approfondie dans ses études précédentes. C'est ainsi qu'est tracée la direction fondamentale de son projet philosophique personnel, qui entend lier l'objectivité et le réalisme de la pensée classique avec l'accent moderne placé sur la subjectivité et l'expérience, qui atteindra son point culminant dans le grand ouvrage « Personne et acte », publié en 1969, alors que Karol Wojtyla était déjà cardinal. Cette orientation de fond est bien visible d'ailleurs, également dans son enseignement de pontife: je ne rappellerai ici que les pages initiales de l'Encyclique « Dives in misericordia » avec le principe de la conjugaison « organique et profonde » entre théocentrisme et anthropocentrisme.

La suppression de la Faculté de théologie de l'Université jagellone, décrétée par le régime en 1954, fit que le nouveau professeur accomplit sa carrière académique non pas à Cracovie, comme prévu, mais à l'Université catholique de Lublin, à partir de l'automne 1954, obtenant dès novembre 1956 la chaire d'éthique à la Faculté de philosophie et poursuivant jusqu'en 1961 une activité académique régulière. Ce sont les années de ses voyages constants en train, entre Cracovie et Lublin: en effet, Karol Wojtyla, qui n'avait accepté que par obéissance les deux années sabbatiques qui lui avaient été demandées par Mgr Baziak, poursuivit une intense activité pastorale à Cracovie, en particulier auprès des jeunes, partageant avec eux également les périodes de vacances. Il continua en outre à composer des tragédies et des poésies.

C’est précisément lors de vacances avec des jeunes, le 4 juillet 1958, que dom Karol Wojtyla apprit du cardinal primat de Pologne, Stefan Wyszynski, qu'il avait été nommé par le pape Pie XII évêque auxiliaire de Cracovie, à l'âge de 38 ans seulement. Il fut consacré dans la cathédrale de Wawel le 28 septembre, en la fête de saint Vinceslas, patron de la cathédrale, par Mgr Eugeniusz Baziak. Dans son livre « Levez-vous! Allons! » Jean-Paul II lui-même décrit amplement ces événements et l'esprit avec lequel il les vécut. Dès le soir de son ordination, il se rendit en pèlerinage au sanctuaire de Czestochowa avec ses amis les plus proches, et le lendemain matin, il célébra la messe devant l'icône de la Vierge noire.

A la suite de la mort de Mgr Baziak, le 16 juillet 1962, Mgr Wojtyla fut élu par le Chapitre métropolitain vicaire capitulaire de l'archidiocèse de Cracovie. Un an et demi plus tard, le 13 janvier 1964, Paul VI le promut archevêque métropolitain et le 8 mars, il prit solennellement possession de l'archidiocèse. Au cours de ces années, Mgr Wojtyla prit une part intense à tout le Concile Vatican II, apportant une contribution d'une importance extraordinaire, en particulier à l'élaboration de la Constitution Gaudium et spes ainsi qu'à la Déclaration sur la liberté religieuse et également à la Constitution Lumen gentium et au Décret sur l'apostolat des laïcs.

L'expérience du Concile a été décisive pour l'épiscopat de Cracovie et pour le pontificat romain successif de Karol Wojtyla, complétant de façon harmonieuse toute sa formation et son expérience précédente: en effet, il conserva gravée pour toujours en lui la conviction que le Concile Vatican II fut l'« événement clé de notre époque » (Discours au clergé romain, 14 février 1991, cf. L’Osservatore Romano en langue française, n. 8 du 26 février 1991).

Précisément pour mettre en pratique le Concile et en faire revivre l'expérience à tout l'archidiocèse, Mgr Karol Wojtyla, créé entre-temps cardinal par Paul VI au cours du Consistoire du 26 juin 1967, inaugura le synode de Cracovie le 8 mai 1972, au terme d'une année d'intenses préparatifs: ce synode connut une participation vaste et intense. Il dura sept ans et fut conclu par Jean-Paul II, désormais devenu pape, le 8 juin 1979, à l'occasion du IXe centenaire de saint Stanislas. Stanislaw est également le nom de son très fidèle secrétaire, Mgr Dziwisz, si cher à nous tous, qui a partagé sa vie pendant 39 ans et qui lui succède à présent sur le siège de Cracovie, après le cardinal Franciszek Macharski, lui aussi ami de toujours et collaborateur précieux de Jean-Paul II.

S'il m'est permis de faire une synthèse des vingt ans au cours desquels Karol Wojtyla a été évêque de Cracovie, je dirais que, sur la base d'une confiance totale dans la Divine Miséricorde, dont il s'était toujours plus pénétré, en particulier après avoir connu l'expérience mystique de Sœur Faustina Kowalska, qu'il proclama par la suite bienheureuse le 18 avril 1993 et sainte le 30 avril 2000, il sut faire une synthèse de sa force intellectuelle et de son génie artistique à travers cet amour passionné pour le Christ, pour l'Eglise et pour les hommes, que l'Esprit Saint avait instillé en lui. Ainsi, il a su être un pasteur capable de comprendre, de guider et de faire grandir son clergé et son peuple, même dans des situations de très graves difficultés. Il a su non seulement résister à la pression du régime, mais en miner les fondements, sur le plan spirituel mais aussi humain et culturel, selon ces grandes intuitions qu'il a ensuite rassemblées dans l'Encyclique « Centesimus annus ». Il a été l'évêque qui a et qui doit avoir du courage, comme lui-même l'a écrit dans le dernier chapitre de son Livre « Levez-vous! Allons! », et, dans le même temps, il a été l'homme et le témoin de l'amour et du pardon, qui vainc le mal par le bien, selon les paroles de l'Apôtre Paul (Rm 12, 21), reprises dans son dernier Message pour la Journée mondiale de la Paix.

Le 16 octobre 1978, selon le dessein de la Providence de Dieu, Karol Wojtyla fut élu évêque de Rome et pasteur universel de l'Eglise. Les vingt-six ans et demi de son pontificat sont restés gravés dans la mémoire et dans le cœur de chacun de nous et n'ont pas besoin d'être rappelés ici. Nous nous rappelons tous, en effet, de sa puissante invitation lors du début solennel de son ministère, le 22 octobre 1978: « N'ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez grandes les portes au Christ! » (cf. L’Osservatore Romano, n. 43 du 24 octobre 1978). Une invitation à laquelle il a été le premier à demeurer toujours fidèle.

Nous nous souvenons de ses innombrables voyages apostoliques pour apporter l'annonce du C hrist, notre unique Sauveur, dans tous les coins de la terre. Ses visites aux paroisses de Rome, l'affection et le soin constant avec lesquels il a guidé ce diocèse, à travers le synode, la mission dans la ville, le grand Jubilé qui a concerné le monde entier. Nous nous souvenons de l'extraordinaire initiative pastorale des Journées mondiales de la Jeunesse, qui ont ouvert une nouvelle et grande voie à la rencontre des jeunes avec le Christ.

Et comment pouvons-nous oublier cet amour et cette sollicitude pour l'humanité toujours menacée, qui l'ont conduit à mener une action inlassable pour éviter les guerres et rétablir la paix, pour assurer aux peuples les plus pauvres, aux derniers de la terre, une espérance de vie et de développement, pour défendre la dignité intangible de toute existence humaine, de sa conception à sa mort naturelle, pour préserver et promouvoir la famille et l'authentique amour humain ?

Nous ne pouvons pas non plus oublier la clairvoyance et le courage avec lesquels il a contribué à abattre le mur qui divisait l'Europe, puis à rappeler à l'Europe elle-même ses racines chrétiennes. La générosité avec laquelle il s'est dépensé pour l'unité des chrétiens, qu'il ressentait comme une volonté précise et incontournable de Dieu. Son engagement afin que les religions soient porteuses de paix entre les peuples. La sincérité désarmante avec laquelle il a demandé pardon pour les péchés des fils de l'Eglise et dans le même temps, la force et la ténacité avec lesquelles il a défendu et proclamé le lien indissoluble de l'Eglise avec le Christ et l'intégrité de la doctrine catholique.

Ses 14 Encycliques, le Catéchisme de l'Eglise catholique et tous ses autres documents et discours sont un éminent témoignage de cette doctrine, de sa vérité et de son importance. De sa sollicitude pour la collégialité de l'épiscopat, pour l'unité et la vie de l'Eglise, témoignent les 15 Assemblées du Synode des évêques qu'il a convoquées, ainsi que la promulgation des Codes de Droit canonique et des Eglises orientales.

A la racine de cette inlassable action apostolique figurent clairement l'intensité et la profondeur de la prière de Jean-Paul II, dont un grand nombre d'entre nous sont les témoins directs, l'union intime avec Dieu qui l'a accompagné dès l'enfance jusqu'au terme de son existence terrestre. Je ne rappellerai ici que les paroles qu'il a prononcées au début de son pontificat, le 29 octobre 1978, au sanctuaire de la Mentorella: « La prière est [..] la première tâche et presque la première annonce du pape, de même qu'elle est la première condition de son service dans l'Eglise et dans le monde » (cf. L’Osservatore Romano n. 45 du 7 novembre 1978).

Mais il existe une autre dimension, également décisive, de la relation qui a uni Karol Wojtyla au Christ Sauveur et à l'humanité rachetée par Lui. C'est la relation du sang. Dans le bref poème « Stanislaw », composé quelques jours avant le conclave qui devait l'élire pape, il a écrit: « Si la parole n'a pas converti, ce sera le sang qui convertira ». Son sang, Jean-Paul II l'a réellement versé Place Saint-Pierre, le 13 mai 1981, puis à nouveau, il a offert non pas son sang, mais sa vie tout entière, au cours des longues années de sa maladie. A la fin, sa souffrance et sa mort, sa bénédiction, désormais muette, de la fenêtre, au terme de la messe de Pâques, ont été pour l'humanité tout entière un témoignage extraordinairement efficace de Jésus Christ mort et ressuscité, de la signification chrétienne de la souffrance et de la mort, et de la force de salut qui peut trouver une demeure en elle, et, en ultime analyse, du véritable visage de l'homme racheté par le Christ. C'est pourquoi les jours de ses funérailles sont devenus pour Rome et pour le monde, des jours d'extraordinaire unité, de réconciliation, d'ouverture de l'âme à Dieu.

Celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger centra son homélie, lors de la messe d'obsèques du vendredi 8 avril Place Saint-Pierre, sur la parole « Suis-moi », que le Christ ressuscité avait adressée à Pierre lorsqu'il le chargea de paître son troupeau (cf. Jn 21, 15-23), identifiant dans le fait de se placer à la suite du Christ la synthèse de l'existence de Karol Wojtyla, Jean-Paul II, concluant ensuite: « Nous pouvons être sûrs que notre pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, qu'il nous voit et qu'il nous bénit ». Oui, c'est également notre certitude et c'est pourquoi nous demandons au Seigneur, de tout notre cœur, que la cause de béatification et de canonisation qui débute ce soir puisse parvenir très tôt à son couronnement. Les nombreux témoignages qui continuent de nous parvenir en ce qui concerne la sainteté de la vie du défunt pontife et des grâces obtenues à travers lui, confirment notre prière.

Je conclus en exprimant, en tant qu'Italien, mon remerciement immense et particulier à Jean-Paul II pour l'amour et la sollicitude qu'il a eus non seulement pour Rome, mais pour toute sa « seconde patrie », l'Italie, et en remerciant du plus profond de mon cœur l'Eglise-sœur de Cracovie et toute la bien-aimée nation polonaise, dont Karol Wojtyla a reçu la vie, la foi et son admirable richesse chrétienne et humaine, pour être ainsi donné à Rome et au monde entier.