Entre banalisation et dramatisation, les enjeux bioéthiques récents (1ère partie)

Par le P. Alain Mattheeuws, sj

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ROME, Vendredi 10 juin 2005 (ZENIT.org) – Le P. Alain Mattheeuws, jésuite, biologiste de formation, est l’auteur de nombreux livres sur le mariage et la bioéthique. Il est actuellement professeur de théologie morale et sacramentaire à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles. Nous reprenons cette interview – dont nous publions ici la première partie – accordée par le P. Mattheeuws à Bruxelles à Olivia Raw, du « World Youth Alliance ».

O. Raw : Mères porteuses, euthanasie, enfants-médicaments, recherche sur les cellules souches… L’actualité en matière de bioéthique est assez agitée. Qu’en pensez-vous ?

P. A. Mattheeuws : Que la recherche scientifique se développe à bon rythme ne me surprend pas car chaque science a son dynamisme. La biologie n’est pas une science morte. Elle suit depuis quelques années des chemins tellement neufs qu’avec un appui socio-économique important dans de nombreux pays occidentaux, elle s’engage « toutes voiles dehors » sur ce qui l’intéresse, est nouveau, prometteur et permet peut-être des découvertes. C’est la logique normale d’une science qui se développe. Ce qui est surprenant, c’est l’objet : cette fascination pour l’origine et la fin de la vie de l’homme. On devrait psychanalyser ce désir des chercheurs, dirait Monette Vacquin ! Par ailleurs, ce qui devrait davantage nous étonner et nous alerter, c’est d’abord le désir de maîtriser à tout prix toute chose, reflet d’une affirmation d’autonomie absolue de certains scientifiques ou manières de « se poser » de certaines sciences et de ceux qui en vivent, et ensuite l’incapacité juridique des Etats et des comités multiples de « cerner » les limites et de définir le bien commun de l’Humanité, enfin le refus d’entendre et d’intégrer les interpellations de type psychanalytique, philosophique et religieux. Les réflexions de type ecclésial et la doctrine catholique sont ignorées, rejetées ou passées sous silence.

O. Raw : L’Eglise serait-elle en retard ou a-t-elle des positions archaïques ?

P. A. Mattheeuws : C’est l’objection classique, un peu « bateau » pour disqualifier une tradition réflexive qui a pourtant ses critères de noblesse et d’efficacité. N’est-ce pas à cause du « phénomène chrétien » que les universités ont été conçues et se sont établies dans l’horizon occidental. Comme le soulignait le Père Jean-Louis Bruguès, évêque d’Angers, ancien membre du Comité national d’Ethique en France, l’Eglise représente au niveau occidental l’une des traditions les plus anciennes de « sagesse » : au sens d’une raison au service de l’homme, de tout homme. Il y a des combats dans lesquels l’Eglise se veut partenaire, non pas d’abord au nom d’une Révélation divine particulière, mais par respect pour la dignité de l’être humain. Paul VI avait repris cette tradition et ce service de l’Eglise en disant qu’elle est « experte en humanité » : depuis son souci pour les mourants et les pauvres partout dans le monde (pensons à l’Afrique et à l’Asie) jusqu’aux débats bioéthiques les plus délicats : statut de l’embryon, questions de congélation d’embryons, clonage. Le chemin de l’Eglise, c’est l’homme dans toute sa grandeur et sa beauté. Les exigences éthiques de l’Eglise sont toujours fondées en raison : sans être toujours d’accord, un homme de bonne volonté peut essayer de comprendre avec son intelligence ce que l’Eglise dit pour qualifier et refuser l’avortement directement provoqué ainsi que l’acharnement thérapeutique ou l’euthanasie.

O. Raw : Ce n’est pas l’image que l’Eglise a dans les médias, même catholiques, surtout quand on parle des positions du Magistère.

P. A. Mattheeuws : C’est tout le problème de l’image. Par définition, elle renvoie immédiatement à l’affectivité du sujet regardé et de ceux qui regardent : il y a peu de recul, peu de temps laissé à la « réflexion », On est impacté par l’image, on « ressent », on réagit sous le coup de l’image. C’est le plus souvent émotif. Si les questions et les enjeux ne se jouent qu’à ce niveau, « bonjour les dégâts ». On peut avoir le meilleur et le pire ! On dépend beaucoup de ceux qui construisent l’image, de la technique qui la produit, de ceux qui regardent et qui parfois veulent se voir dans l’image comme dans un miroir. Les enjeux de la vie et de la mort des autres ou de nous-mêmes ne sont pas des images : nous touchons à la « res », au réel, au corporel (à l’homme dans sa chair), au spirituel concret.

O. Raw : Et l’image de l’Eglise ?

P. A. Mattheeuws : « Amour et vérité se rencontrent et s’embrassent », nous dit un psaume : toute image ne coïncide vraiment avec la réalité qu’à cette condition ; sinon elle ne rend pas compte de la réalité, elle reste virtuelle ou fausse le réel. Il nous faut travailler à ce que l’image de l’Eglise puisse être vue dans sa totalité. L’annonce d’une loi éthique, d’une exigence morale devrait toujours être en surimpression d’un acte de miséricorde et d’amour. Se rappeler le commandement « Tu ne tueras pas » et voir des milliers d’enfants sauvés par les sœurs de Mère Teresa. L’Eglise est pour la vie, elle est du côté des petits et des pauvres. Elle parle d’une vie qui appartient à Dieu et qui est un don.

O. Raw : On objecte que l’Eglise voudrait exercer un pouvoir sur le monde ?

P. A. Mattheeuws : Les chrétiens sont des hommes et des femmes toujours situés dans une société et une culture. N’ont-ils pas droit à la parole comme les autres ? N’ont-ils pas une conscience et un désir d’aimer au mieux comme les autres ? Nous ne sommes plus en régime de chrétienté. Cette culpabilisation (ou ce mal-être, cette « mauvaise conscience ») au sujet du pouvoir est fantasme d’un autre monde. La question n’est pas celle de savoir si l’Eglise veut imposer son pouvoir ou sa morale. La question est de savoir si l’Eglise sera respectée dans ses membres et dans la « bonne nouvelle » dont librement elle veut témoigner et parler. Le Concile avait parlé de la liberté religieuse. Jean-Paul II a axé de nombreux enseignements sur cette vérité : son combat spirituel était toujours d’ affirmer l’importance de la liberté religieuse. Le plus souvent aujourd’hui, l’Eglise parle et n’est pas entendue. Parfois, elle est réduite au silence. Ou bien sa parole est perçue comme un « non », un rappel des interdits.

En fait, c’est un « cri », le plus souvent d’impuissance, devant le mal que les hommes se font les uns aux autres : une supplication. C’est un cri qui ne peut pas être celui d’une désespérance, qui ne doit pas être interprété comme celui d’une Cassandre grecque : c’est un « cri vers Dieu et les hommes de bonne volonté ». Il s’agit d’une parole prophétique pour dire qu’il est encore possible d’aimer, de faire le bien, de respecter la vie, d’être heureux sur la terre. Le cri de l’Eglise vise aussi le bonheur de tous et pas seulement celui des chrétiens ou d’un « caste » d’hommes : les intellectuels, les riches, les politiques, les scientifiques, etc… Quand le Magistère crie par exemple « plus jamais la guerre », c’est une supplication : jamais une menace. « Où sont les armées du Pape ? » sinon parmi les myriades d’anges et de saints du ciel. De même dans les questions de bioéthique…

O. Raw : Mais on est impuissant face aux avancées scientifiques : ne pensez-vous pas que, de toute façon, ce qui doit être découvert le sera ?

P. A. Mattheeuws : Les travaux scientifiques ne se font pas par hasard. Il n’y a rien de fatal dans les découvertes humaines et dans les projets d’expérimentation et de recherche : nous ne sommes pa
s des fourmis ou des robots. Dans l’expérimentation et dans la recherche, la liberté des hommes intervient toujours. Ce n’est pas une « activité inéluctable ». Comme toute activité humaine, la recherche est un acte de liberté dirigée vers un domaine, au service de quelqu’un. Actuellement une avancée scientifique relève de l’ordre de l’option d’un groupe de chercheurs. Elle est programmée, c’est-à-dire voulue institutionnellement et soutenue politiquement et financièrement. Ces choix-là dessinent un visage pour nos sociétés. Ils peuvent nous déterminer. Prenons un exemple : la recherche sur l’embryon humain est fascinante et nous livre des problèmes complexes. On peut penser que pour l’urgence de la planète, les recherches de médicaments pour lutter contre le paludisme seraient plus utiles. La faim dans le monde est une question plus brûlante que l’amère souffrance de la stérilité. Le sort de millions d’enfants est plus lié à nos choix que nous ne le pensons.

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ZENIT Staff

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