Dans son homélie pour la conclusion du congrès eucharistique italien sur le thème « Sans le dimanche, nous ne pouvons pas vivre », le pape Benoît XVI a rappelé certains aspects essentiels du dimanche et de l’Eucharistie dominicale.
L’histoire et la culture du peuple italien
Il disait tout d’abord: « Glorifie le Seigneur, Jérusalem, loue ton Dieu, ô Sion » (Refrain du psaume). L’invitation du psalmiste qui trouve un écho également dans la Séquence, exprime très bien le sens de cette célébration eucharistique : nous sommes rassemblés ici pour louer et bénir le Seigneur. C’est la raison qui a poussé l’Eglise italienne à se retrouver ici, à Bari, pour le Congrès eucharistique national. Moi aussi j’ai voulu m’unir aujourd’hui à vous tous pour célébrer avec un relief particulier la solennité du Corps et du Sang du Christ, et rendre ainsi hommage au Christ dans le Sacrement de son amour et en même temps renforcer les liens de communion qui me lient à l’Eglise en Italie et à ses pasteurs.
En saluant les personnalités présentes et les organisateurs, le pape a souligné: « Je salue également les autorités, qui par leur présence très appréciée soulignent combien les Congrès eucharistiques font partie de l’histoire et de la culture du peuple italien ».
Le privilège de participer à l’Eucharistie
« Chers amis venus à Bari de différentes régions d’Italie pour célébrer ce congrès eucharistique, nous devons redécouvrir la joie du dimanche chrétien, invitait le pape. Nous devons redécouvrir avec fierté le privilège de pouvoir participer à l’Eucharistie qui est le sacrement du monde nouveau. La résurrection du Christ est advenue le premier jour de la semaine, qui est pour les Juifs le jour de la création du monde. C’est justement pour cela que le dimanche était considéré comme le jour où a commencé le jour nouveau celui dans lequel, par la victoire du Christ sur la mort, a commencé la création nouvelle. En nous réunissant autour de la table eucharistique, la communauté se formait comme nouveau peuple de Dieu. Saint Ignace d’Antioche appelait les chrétiens « ceux qui sont arrivés à l’espérance nouvelle » et il les présentait comme des personnes « vivant selon le dimanche » (« iuxta dominicam viventes »). Dans cette perspective, l’évêque d’Antioche se demandait: « Comment pourrions nous vivre sans Lui, que les prophètes aussi ont attendu? (Lettre aux Magnésiens, 9,1-2). « Comment pourrions nous vivre sans Lui? » nous entendons ces paroles de saint Ignace résonner dans l’affirmation des martyres d’Abitène « Sine dominico non possumus ». C’est justement de là que jaillit notre prière: que les Chrétiens d’aujourd’hui aussi redeviennent conscients de l’importance décisive de la célébration dominicale et qu’ils sachent tirer de la participation à l’Eucharistie l’élan nécessaire à un nouvel engagement dans l’annonce au monde du Christ « notre paix » (Ep 2,14) ».
Les martyrs d’Abitène
« Ce congrès eucharistique qui se conclut aujourd’hui, rappelait le pape, entendait représenter le dimanche comme la « Pâque hebdomadaire », expression de l’identité de la communauté chrétienne et centre de sa vie et de sa mission. Le thème choisi « Sans le dimanche nous ne pouvons pas vivre », nous ramène à l’année 304, lorsque l’empereur Dioclétien interdit aux chrétiens, sous peine de mort, de posséder les Ecritures, de se réunir le dimanche pour célébrer l’Eucharistie et de construire des lieux pour leurs assemblées. A Abitène, petite localité de la Tunisie actuelle, 49 chrétiens furent surpris un dimanche tandis que, réunis dans la maison d’Octave Félix, ils célébraient l’Eucharistie en défiant les interdits impériaux. Arrêtés, ils furent conduits à Carthage, pour être interrogés par le Proconsul Anulinus. Entre autres, la réponse qu’Eméritus a donnée au proconsul qui lui demandait pourquoi ils avaient transgressé l’ordre de l’empereur, était significative. Il dit: « Sine dominico non possumus »: sans nous réunir en assemblée le dimanche, pour célébrer l’Eucharistie, nous ne pouvons pas vivre. Nous manquerions de forces pour affronter les difficultés quotidiennes et pour ne pas succomber. Après des tortures atroces, les 49 martyrs d’Abitène furent tués. Ils confirmèrent ainsi leur foi, par l’effusion du sang. Ils moururent mais en vainqueurs: nous faisons maintenant mémoire d’eux dans la gloire du Christ ressuscité ».
Il n’est pas facile de vivre en chrétien aujourd’hui
Le pape Benoît XVI commentait ainsi le récit du martyre des chrétiens d’Abitène: « C’est une expérience à laquelle nous devons réfléchir nous aussi, chrétiens du XXIe s. Pour nous non plus, ce n’est pas facile de vivre en chrétiens. D’un point de vue spirituel, le monde dans lequel nous nous trouvons, marqué si souvent par une consommation effrénée, par l’indifférence religieuse, par une sécularisation fermée à la transcendance, peut sembler être un désert non pas moins dur que le (désert) « grand et épouvantable » (Dt 8,15) dont parle la première lecture tirée du Deutéronome. Au peuple juif en difficulté, Dieu vient en aide par le don de la manne, pour lui faire comprendre que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur » (Dt 8,3). Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus nous a expliqué à quel pain, Dieu, par le don de la manne, voulait préparer le peuple de la Nouvelle Alliance. En faisant allusion à l’Eucharistie, il a dit: « Ce pain est le pain descendu du ciel non comme celui que vos pères ont mangé et ils sont morts. Qui mange de ce pain vivra à jamais » (Jn 6,58). Le Fils de Dieu, fait chair, pouvait devenir pain et être ainsi nourriture pour son peuple en chemin vers la terre promise du Ciel ».
L’énergie nécessaire pour le chemin à parcourir
Le pape actualisait ce commentaire en ajoutant à propos du précepte dominical: « Nous avons besoin de ce pain pour affronter les fatigues et les lassitudes du voyage. Le dimanche, Jour du Seigneur, est l’occasion propice pour puiser la force en lui, qui est le Seigneur de la vie. Le précepte de la fête n’est donc pas simplement un devoir imposé de l’extérieur. Participer à la célébration dominicale et se nourrir du Pain eucharistique est un besoin pour le chrétien qui peut ainsi trouver l’énergie nécessaire pour le chemin à parcourir. Un chemin qui n’est d’ailleurs pas arbitraire: la route que Dieu indique par sa Loi va dans la direction inscrite dans l’essence même de l’homme. La suivre signifie pour l’homme se réaliser lui-même; la perdre revient à s’égarer soi-même ».
On préfère un Dieu « lointain »
Mais le pape insistait aussi sur la « présence » véritable (et pas seulement symbolique) du Christ dans l’Eucharistie en disant: « Le Seigneur ne nous laisse pas seuls sur ce chemin. Il est avec nous; plus encore, il désire partager notre sort jusqu’à s’immerger en nous. Dans le colloque que rapporte l’Evangile, il dit: « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 56). Comment ne pas nous réjouir d’une telle promesse? Nous avons entendu à cette première annonce que les gens, au lieu de se réjouir, ont commencé à discuter et à protester: « Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger? (Jn 6, 52). En vérité, cette attitude s’est répétée souvent au cours de l’histoire. On dirait qu’au fond les gens ne veulent pas avoir Dieu si proche, si à portée de main, si participant de leur histoire. Les gens le veulent grand, et en définitive, plutôt loin d’eux. On soulève alors des questions voulant démonter qu’une telle chose est finalement impossible. Mais les paroles que le Christ a prononcées justement en cette circonstance demeurent dans leur clarté vigoureuse: « En vér
ité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’Homme, et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53). Face au murmure de protestation, Jésus aurait pu se replier sur des paroles rassurantes: « mes amis, aurait-il pu dire, ne vous inquiétez pas! J’ai parlé de chair, mais il s’agit seulement d’un symbole. Ce que j’entends est seulement une communion profonde de sentiments ». Mais Jésus n’a pas eu recours à de tels adoucissements. Il a maintenu fermement son affirmation, même face à la défection de nombreux de ses disciples (cf. Jn 6, 52). Au contraire, il s’est montré disposé à accepter jusqu’à la défection de ses apôtres mêmes pour ne rien changer du caractère concret de son discours: « Peut-être voulez-vous vous aussi vous en aller? » (Jn 6, 67), a-t-il demandé. Mais grâce à Dieu, Pierre a donné une réponse que nous faisons nôtre nous aussi, aujourd’hui, en pleine conscience: « Seigneur à qui irions nous? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68) ». La foule assemblée à Bari répondait à cette affirmation du pape par des acclamations et des applaudissements nourris.
Les résistances de saint Augustin, sous l’influence de Platon
Le pape poursuivait son commentaire serré de ce « discours du pain de vie » de l’évangile selon saint Jean en s’appuyant sur saint Augustin: « Dans l’Eucharistie, le Christ est réellement présent parmi nous. Ce n’est pas une présence statique. C’est une présence dynamique qui nous saisit pour nous faire siens, pour nous assimiler à Lui. Augustin l’avait bien compris lui qui, venant d’une formation platonicienne, avait eu beaucoup de mal à accepter la dimension « incarnée » du christianisme. Il réagissait tout particulièrement face à la perspective du « repas eucharistique » qui lui semblait indigne de Dieu: dans les repas communs en effet, l’homme semble le plus fort, dans la mesure où c’est lui qui assimile la nourriture en en faisant un élément de sa réalité corporelle. Ce n’est que dans un second temps qu’Augustin comprit que les choses allaient exactement dans le sens inverse : le centre, c’est le Christ, qui nous attire à lui pour faire de nous une seule chose avec lui (cf. Confessions, VII,10,16). De cette façon, il nous introduit dans la communauté des frères ».