L'Inde : un "monde en miniature", un exemple "d'unité dans la diversité"

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Entretien avec le président des évêques catholiques de l’Inde

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ROME, lundi 19 juillet 2004 (ZENIT.org) – Les élections qui viennent d’avoir lieu en Inde ne sont pas seulement « une grande victoire de la démocratie ». Elles ont également montré « l’unité dans la diversité », le rejet du fondamentalisme et un désir de paix et d’harmonie. C’est ce qu’a déclaré le président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), le cardinal Telesphore Placidus Toppo.

Les élections, qui ont eu lieu entre le 20 avril et le 10 mai ont été gagnées par le Parti du Congrès, conduit par Sonia Gandhi, et les partis de gauche proches de ce parti.

Le BJP « Bharatiya Janata Party », parti nationaliste hindou, qui avait jusqu’ici dirigé le gouvernement de l' »Alliance Nationale Démocratique » (NDA) en Inde a reconnu sa défaite et le premier ministre Atal Bihar Vajpayee a démissionné.

Veuve de l’ancien premier ministre Rajiv Gandhi, assassiné en 1991, belle-fille de Indira Gandhi, née en Italie, Sonia Gandhi, âgée de 57 ans, a annoncé peu après l’annonce de la victoire de son parti, qu’elle renonçait au pouvoir. C’est l’économiste Manmohan Singh qui a été élu premier ministre. Sonia Gandhi reste présidente de la formation politique.

Dans cet entretien publié jeudi dernier par le quotidien italien Avvenire le cardinal Toppo, archevêque de Ranchi, dans l’Etat de Bihar, analyse le résultat de ces élections.

Eminence, que représentent ces élections pour l’Inde ?

Cardinal Toppo : C’est une grande victoire de la démocratie. Le peuple a pleinement exercé son droit. Personne n’attendait ce changement: le gouvernement sortant était pratiquement sûr de gagner. En revanche les électeurs ont rejeté une politique trop proche du fondamentalisme pour élire un nouveau gouvernement. Et ceci en dépit du fait que Vajpayee se soit montré un bon leader.

Quels sont les principaux défis auxquels le gouvernement devra faire face maintenant ?

Cardinal Toppo : Dans un pays aussi grand, aussi peuplé, la pauvreté reste le principal défi. Il ne suffit pas de doter les villes des technologies les plus modernes. Beaucoup vivent encore dans les campagnes, dans les villages: eux aussi ont le droit de profiter des fruits du développement. Nous avons besoin d’un gouvernement qui promeuve la justice pour la grande majorité des Indiens qui vivent encore dans des conditions très pauvres. Sans justice nous n’aurons pas de paix, et sans paix nous n’aurons pas de développement authentique. C’est ce qu’espèrent ceux qui ont remis leur espoir dans le Parti du Congrès aujourd’hui. Même si nous savons tous que cela ne peut se faire en quelques jours. Il faut des années.

Comment les gens ont-ils réagi à l’annonce du renoncement de Sonia Gandhi à diriger le gouvernement ?

Cardinal Toppo : Elle est citoyenne indienne et elle était chef de l’opposition: il n’y avait par conséquent aucun obstacle technique à sa nomination comme premier ministre. Mais Sonia reste italienne. Conduire un gouvernement indien aurait par conséquent été difficile pour elle. Beaucoup auraient voulu qu’elle soit premier ministre malgré tout mais je crois que sa décision a été très sage. Aussi parce qu’elle reste comme une « reine mère », qui fera entendre sa voix dans les coulisses.

L’Inde tourne la page. Mais le fondamentalisme hindou reste un grave point d’interrogation pour le pays ?

Cardinal Toppo : Il y a quelques années nous avions dit que le fondamentalisme était l’un des ces problèmes qui réapparaissent de temps en temps puis passent. C’est précisément ce que ces élections générales semblent démontrer. Il faudra certes être sur ses gardes. Mais j’ai l’impression qu’une nouvelle étape a commencé pour l’Inde. Souvenons-nous que notre pays est très grand et que les épisodes qui se sont produits (parfois accompagnés de violence et d’assassinats) n’ont jamais enflammé l’Inde tout entière. La situation ici n’est pas comme celle de l’Irak ou, plus près de nous, comme celle du Sri Lanka. Depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, en plus de cinquante ans nous sommes restés ensemble et nous avons aussi fait un bon bout de chemin. Avec toutes nos langues et nos cultures nous sommes un monde en miniature, un exemple de possible unité dans la diversité. Les fondamentalistes ont tenté de nier tout cela. Mais les élections ont montré que les gens veulent la paix et l’harmonie pour que l’Inde puisse grandir comme une grande nation. Ils sont convaincus de cela, surtout les jeunes, qui représentent actuellement la majorité de la population.

Vous êtes le premier chrétien indien issu de la minorité ethnique des membres des tribus à avoir été nommé cardinal…

Cardinal Toppo : Ce fut une grande surprise: je n’avais jamais pensé que cela pouvait se produire. Je le vois davantage comme une tâche au service de l’Eglise universelle que comme un honneur. Et je vois là aussi une reconnaissance du chemin que l’Eglise a parcouru en Asie, en Inde et en particulier parmi nous, qui appartenons aux tribus. En 120-150 ans, l’Eglise nous a aidés à découvrir notre dignité par une oeuvre de promotion humaine et de libération des superstitions et des craintes qui avaient si souvent conditionné la vie de nos ancêtres. J’ai donc accepté cette nomination avec humilité et je tente de travailler aux côtés du pape pour le bien de l’Eglise en Asie et dans le monde. Sans avoir un « plan » à moi mais en cherchant à reconnaître le projet de Dieu sur mon peuple et sur le monde entier.

Que représente encore aujourd’hui pour l’Inde le système des castes ?

Cardinal Toppo : Le système a été aboli par loi juste après l’indépendance. Mais les castes n’ont pas disparu: elles font encore partie de la vie des gens. Il faudra du temps : seul le développement d’une nouvelle mentalité pourra vraiment enrayer ce système. Les influences culturelles de la mondialisation de plus en plus présentes en Inde également, peuvent aider. Mais en faisant très attention : l’individualisme de la nouvelle culture d’aujourd’hui n’est-il pas en réalité un autre type de caste ? Un système qui exalte le concept de groupe est-il vraiment différent d’un système de personnes qui ne s’intéressent qu’à elles-mêmes ? Je suis convaincu que le seul moyen d’enrayer véritablement le système des castes est d’annoncer le commandement de Jésus: aime ton prochain comme toi-même. C’est l’expérience que nous avons faite, nous, dans les tribus: en découvrant l’Evangile nous avons découvert que nous étions libres.

Les chrétiens en Inde sont une petite minorité. Les catholiques représentent à peine 1,6% de la population. Mais ils ont un rôle primordial dans le système scolaire. Quels fruits a porté cet engagement ?

Cardinal Toppo : Je suis moi-même un de ces fruits. Mes parents ne savaient ni lire ni écrire. Et comme moi, beaucoup de garçons et de filles. L’engagement éducatif a permis de former des prêtres, mais aussi des médecins, des avocats, des techniciens, en grande majorité non catholiques. C’est la grande contribution qu’il a donné à l’Inde. Tous viennent étudier dans nos écoles, tous sont accueillis dans nos hôpitaux. Nous servons toute personne, quelle que soit sa caste ou sa religion.

A Calcutta une certaine Mère Teresa le faisait aussi…

Cardinal Toppo : Quand elle était en vie tout le monde la considérait déjà comme une sainte. Je crois que dans son œuvre on découvre le vrai sens du dialogue interreligieux : on dialogue avec la vie, en servant ensemble les plus pauvres parmi les pauvres de toutes les communautés. Mère Teresa fut un don de Dieu au monde et à l’Inde en particulier, un modèle d’unité dans la diversité. Et elle continue d’inspirer des million
s de personnes.

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ZENIT Staff

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