Cette nouvelle étape permet de comprendre l’essor de Lourdes dans le catholicisme français à la fin du XIXe siècle.
Lourdes et l’Assomption
Dans ce contexte plus que centenaire de la cité mariale de Lourdes, le pèlerinage national, fixé autour de la date symbolique du 15 août, a joué un rôle moteur et démultiplicateur. Précédé par le premier mouvement des pèlerinages paroissiaux, surtout pyrénéens, et diocésains, le pèlerinage national, création de l’Assomption, a bénéficié de deux atouts majeurs pour son développement : organisé de Paris avec l’aide d’une Association qui établit partout des antennes régionales, grâce au concours bénévole de centaines de zélatrices et de prêtres séculiers très actifs, utilisant adroitement l’infrastructure ferroviaire qui relie progressivement les contrées les plus éloignées au bourg central, il s’est superposé très vite aux premiers dont l’aire géographie est nettement plus délimité.
Au fil des années, l’organisation du pèlerinage national à Lourdes prend le caractère d’une activité publique spécifiquement assomptionnistes qui va grandement jouer pour la notabilité de cette jeune Congrégation, encore largement inconnue. Le P. Picard n’hésite pas en effet à mobiliser, en plus des religieux disponibles, toutes les forces de la jeunesse de l’Institut, étudiants et novices, chargés de l’encadrement, de l’organisation matérielle, de l’animation des chants et des cérémonies. Il fait appel aussi aux familles de l’Assomption, les Oblates de Paris, les Petits Sœurs de l’Assomption qui se dévouent pour les soins auprès des malades, leur transfert dans les trains et les gares, pouvant elles-mêmes compter sur l’appui de leurs fraternités et de l’hospitalité.
Il n’est pas étonnant que ce soit à Lourdes, dans ce contexte du pèlerinage national, que naisse l’appel de la Congrégation pour la mission lointaine au Chili (1890), de la part de l’archevêque de Santiago, Mgr Casanova, pèlerin témoin du zèle apostolique des religieux. En Amérique du Sud, les Assomptionnistes ne seront pas autrement désignés que comme ‘les Pères de Lourdes’. Ils y reproduisent à l’envie sanctuaires et œuvres sur le modèle de Notre-Dame de Lourdes.
Un deuxième facteur, spécifiquement assomptionnistes, peut permettre de comprendre l’essor de Lourdes dans le catholicisme français dans le dernier quart du XIXe siècle. Grâce aux publications de la Bonne Presse, Le Pèlerin, transformé en un véritable magazine illustré depuis 1877 par le P. Vincent de Paul Bailly, lequel annonce le programme, publie la chronique du pèlerinage, mais aussi des récits vivants de pèlerins, tient en haleine son public croissant, avide de merveilleux, de controverses et de guérisons miraculeuses. Le Pèlerin n’est d’ailleurs que le premier maillon d’information d’une longue chaîne de publications qui progressivement voient le jour à Paris au sein d’une véritable centrale de presse catholique, dite la Bonne Presse. L’Association N.-D.S. inscrit dans son programme des pèlerinages locaux, chers à une clientèle régionale : en plus de ceux déjà nommés, Sainte Anne d’Auray, Poitiers, Sainte Beaume. L’Assomption a joué à partir de Lourdes une de ses cartes maîtresses en matière de stratégie et de synergie congrégationnelles. Ses activités jusque-là étaient plus juxtaposées que véritablement unifiées, un peu confinées, à l’étroit dans l’air restreint de l’éducation ou de l’enseignement. Lourdes comme l’apostolat de presse, vitrines de sa cohésion apostolique, est bien à l’image de son esprit de famille, ultramontain et démonstratif qui recherche toujours l’aval de Rome et l’oreille du pape, de sa piété, eucharistique et mariale, qui demeure un champ libre dans l’expression vivante d’une religion ou le magistère ecclésiastique règne sans partage, de son souci d’emprise ou d’incarnation dans une réalité sociale large.
Par Lourdes comme par la presse, cet esprit se diffuse sur la voie publique, déborde les frontières des diocèses ou l’autorité épiscopale, souvent sourcilleuse, peut contenir, voire étrangler, le dynamisme d’un Instituts apostolique. En ce sens, la promotion au premier plan de la figure du P. Picard qui prend le pas à Lourdes sur celle du fondateur, le P. d’Alzon, est symptomatique de leur positionnement relatif dans l’orbite ecclésiastique. Tandis que le second, le P. d’Alzon, encore vicaire général à Nîmes, recommande à son disciple parisien, le P. Picard, des attitudes plus déférentes à l’égard de l’autorité épiscopale qui s’offusque des initiatives de ce dernier leur paraissant empiéter sur leur domaine, le second s’affranchit plus volontiers d’une tutelle ecclésiastique qui ne peut excéder les limites de leur territoire. Lourdes, manifestation de foi et de charité, est un véritable banc d’envoi pour l’Assomption qui peut ouvrir, dès les années 1880, aux catholiques français, leur propre horizon, confiné en 1870 aux malheurs de la patrie, pour orienter les regards en direction des grands centres historiques du christianisme, Rome et l’Orient dont Jérusalem.