La Fondation Wallenberg et "Nostra Aetate": quarante ans de dialogue judéo-chrétien

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Entretien avec Baruch Tenembaum, fondateur

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CITE DU VATICAN, Jeudi 8 juillet 2004 (ZENIT.org) – Le 40e anniversaire de la déclaration conciliaire « Nostra Aetate », signée par Paul VI le 28 octobre 1965, sera l’occasion de célébrations spéciales à Jérusalem.

Baruch Tenembaum, juif, né en Argentine, et à l’origine de la Fondation Wallenberg et du Comité Angelo Roncalli, évoque pour Zenit l’état actuel des relations entre juifs et chrétiens, au moment où il est en visite en Israël.

La Fondation Raoul Wallenberg veut garder la mémoire de ce diplomate suédois en poste en Hongrie, né en 1912 et vraisemblablement mort le 17 juillet 1947, dans la prison soviétique de Lefortovo. Il était arrivé en Hongrie en 1944 à l’instigation du War Refugee Board américain. Il sauva la vie de dizaines de milliers de juifs persécutés par la haine nazie.

Le Comité Angelo Roncalli reconnaît l’action de diplomates qui, à l’instar du nonce apostolique en Turquie, le futur Jean XXIII, ont risqué leur vie pour sauver la vie de juifs pendant la seconde guerre mondiale.

Zenit : Monsieur Tenembaum, votre visite en Israël suscite de nombreuses initiatives…

Baruj Tenembaum: En effet. Nous sommes en train de travailler intensément pour poursuivre l’organisation des événements commémoratifs du 40e anniversaire de la proclamation de « Nostra Aetate » et le 42e anniversaire de la naissance de mouvements de dialogue interreligieux, ainsi que le 70e anniversaire de la mort du plus grand poète de langue hébraïque, Najman Bialik, que j’ai eu l’occasion et le privilège de traduire au cours de mes années d’études comme séminariste (juif) ainsi que d’autres « grands » de la poésie juive comme Uri Zvi Grinberg. Il ne faut pas seulement se souvenir de ceux qui ont sauvé les corps mais aussi de ceux qui tous les jours nous rachètent l’âme.

Zenit : Par un geste inhabituel, le cardinal Walter Kasper, président de la Commission pontificale pour les Relations religieuses avec le judaïsme, consacrera le samedi 10 juillet à la fondation Wallenberg lors de son voyage en Argentine, en dépit de la densité de son programme. Pourquoi?

Baruj Tenembaum: Le matin du samedi 10 juillet, on inaugurera la salle du jardin d’enfants «Monseigneur Angelo Roncalli». La cérémonie sera présidée par le cardinal Walter Kasper. L’événement aura lieu au Centre communautaire Raoul Wallenberg, siège du mouvement des Travailleurs chômeurs de La Matanza (MTDLM), dans un quartier très pauvre de la province de Buenos Aires. On donnera du matériel scolaire et des vêtements. Dans le complexe scolaire, qui porte le nom de Raoul Wallenberg, il existe depuis le 14 mai 2004, un jardin d’enfants et d’autres entreprises de production comme une boulangerie, un atelier de sérigraphie, une imprimerie, un atelier de couture et une école professionnelle.

Ce même samedi 10 juillet, au soir, après le Shabbat, la fondation internationale Raoul Wallenberg et le comité Angelo Roncalli remettront au cardinal Kasper la distinction «Memorial Mural Award», pour le dévouement de toute une vie aux causes de l’entente et de la réconciliation entre juifs et catholiques. La présentation aura lieu au siège du séminaire rabbinique latino-américain. Un événement interconfessionnel mémorable, sans aucun doute. Le prix est une copie miniature de la peinture murale installée en avril 1997 dans la cathédrale de Buenos Aires par celui qui était alors le primat d’Argentine, le cardinal Antonio Quarracino, et qui rappelle les victimes de l’holocauste, et les personnes assassinées lors des attentats contre l’ambassade d’Israël et l’AMIA. Une copie grandeur nature de la peinture sera placée cette année dans l’église «Vaterunser» (« Notre Père ») de Berlin. L’événement est organisé par la fondation Wallenberg et l’Eglise évangélique d’Allemagne.
A cette occasion, la fondation Wallenberg annoncera l’attribution (???) de la bourse d’études «Angelo Roncalli» à un séminariste juif pour son engagement académique, son esprit de solidarité, et ses valeurs humaines placées au services de la réconciliation judéo-catholique. Un autre geste interconfessionnel dont nous sommes fiers.

Zenit : Quel rapport y a-t-il entre les programmes de la fondation Wallenberg visant à rendre hommage aux « sauveurs » de l’humanité et ceux qui promeuvent le dialogue interconfessionnel ?

Baruj Tenembaum: Ces deux instances ont pour dénominateur commun la phrase célèbre: « Et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce n’est pas pour rien que cette phrase a inspiré Hillel et ensuite Jésus. Les sauveurs sont la lumière, la personnification du concept du messie, compris comme l’occasion que chacun de nous a de faire le bien, de réaliser quelque chose pour son semblable. L’espérance est le concept qui unit également les juifs et les catholiques. L’amour, la solidarité et le courage mis au service du prochain sont comme l’eau qui descend de la montagne pour féconder et qui permet que la semence prospère. Cette allégorie fait allusion à la nécessité que nous descendions tous au niveau des gens ordinaires et que nous ne restions pas dans les hauteurs avec ceux qui regardent le monde d’en haut.

Il y a aussi une interprétation très cynique de « tu aimeras ton prochain comme toi-même » qui prétend comprendre la phrase comme aimer son prochain toujours et lorsqu’il est comme toi-même. La seule interprétation acceptable est celle où l’être du « toi-même » se réfère au genre humain. Ce n’est pas un hasard si ce mouvement est né dans la république d’Argentine, un pays où il n’y a pas eu de luttes ethniques comme sous d’autres latitudes de la planète. Nous célébrons le fait que, 42 ans après la naissance de cette initiative, guidée entre autres par Mgr Ernesto Segura, évêque auxiliaire de Buenos Aires, le rabbin Guillermo Schlesinger et Jorge Luis Borges, d’autres organisations de différentes confessions portent aujourd’hui cet étendard.

Zenit : Parmi les « sauveurs », il y a des figures notables comme celle de Raoul Wallenberg et beaucoup d’autres qui ont risqué leur vie pour sauver des persécutés de différentes origines culturelles et confessionnelles…

Baruj Tenembaum: C’est vrai. Il n’y a pas de meilleurs exemples pour servir de guide à l’action que ceux qui ont été donnés par ces personnes. Comme vous avez raison de le souligner, parmi les milliers de héros il faut évoquer Mgr Angelo Roncalli, devenu ensuite le pape Jean XXIII, et un autre italien, le chef de la police de Fiume durant la seconde guerre mondiale, Giovanni Palatucci, qui sera bientôt béatifié par le Souverain pontife. Ils sont, en rigueur de termes, l’autre face de l’indifférence, une attitude très dangereuse, qui permet la réalisation du mal.
Il est beaucoup plus commode, mais aussi extrêmement risqué de pratiquer l’indifférence et de s’abstenir d’assumer un engagement. Sur ces grands sujets, de grands penseurs ont écrit des aphorismes mémorables.

Edmund Burke écrivait: « Tout ce qui est nécessaire pour que la méchanceté prospère, c’est que l’homme bon ne fasse rien ».
Einstein a dit: « Le monde est un endroit dangereux. Non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui ne font rien pour l’empêcher ».
George Bernard Shaw signale entre autres: « L’indifférence est l’essence de l’humanité ».
Rappelons aussi ce que disait le pasteur Martin Niemöller, devenu plus tard populaire grâce à Bertolt Brecht: « D’abord ils sont venus pour les communistes, mais comme je n’étais pas communiste, je n’ai pas élevé la voix. Puis ils vinrent pour les socialistes, et les syndicalistes, mais comme je n’étais ni l’un ni l’autre, je n’ai pas davantage élevé la voix. Et lorsqu’ils sont venus pour moi, il ne restait plus per
sonne pour élever la voix et me défendre ».

Zenit : Il ne faut pas oublier non plus Aristides de Sousa Mendes, ce chrétien qui a évité l’extermination de mille persécutés en émettant des visas en sa qualité de consul du Portugal à Bordeaux, et dans le sud de la France, en 1940…

Baruj Tenembaum: Effectivement, Sousa Mendes a été célébré par notre fondation le 17 juin dernier avec l’organisation de plus de 800 hommages dans une trentaine de pays. Sousa Mendes a été un pionnier et il est le paradygme de celui qui sacrifie tout, pour se ranger aux côtés du plus faible. Il a défié la dictature portugaise qui lui ordonnait de ne rien faire et c’est pour cela qu’il est mort dans un terrible pauvreté, condamné et malade.

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ZENIT Staff

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