L’exemple de la France et de l’Allemagne pour la réconciliation dans les Grands Lacs

Discours d’ouverture de Mgr Ricard à Kinshasa

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CITE DU VATICAN, Jeudi 8 juillet 2004 (ZENIT.org) – L’exemple des initiatives comme celle de Robert Schuman en 1950 et de la réconciliation entre la France et l’Allemagne après la seconde guerre mondiale et celle d’autres régions d’Afrique peuvent servir pour la réconciliation dans la région des Grands Lacs d’Afrique, expliquait Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, à Kinshasa, mardi 6 juillet 2004, lors de la séance d’ouverture de la 8e assemblée plénière de l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale (ACEAC).

Mgr Ricard rappelle aussi les piliers de la paix tels qu’ils sont proposés par le bienheureux Jean XXIII dans son encyclique « Pacem in Terris » : vérité, liberté, justice, amour.
<br> Le site de la conférence épiscopale propose le texte complet de l’intervention de Mgr Ricard (www.cef.fr) et de son homélie le jour suivant.

Du 9 au 13 juillet, les membres de la délégation de l’épiscopat français se rendent au Rwanda et au Burundi en deux groupes distincts, après avoir été accueillis par la Conférence épiscopale nationale du Congo, à l’occasion de l’assemblée de l’ACEAC, qui s’est tenue à Kinshasa, du 5 au 7 juillet.

Éminences,
Monseigneur le Nonce apostolique,
Monsieur le Président de l’ACEAC,
Excellences, Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers Pères,
Chers amis,

Je vous remercie de tout cœur au nom de la Conférence des Evêques de France de nous avoir invités à partager les travaux de votre Assemblée Extraordinaire. Je suis heureux de vous saluer et de transmettre à travers vous aux Eglises que vous représentez les salutations fraternelles et la profonde communion des catholiques de France.

Comme évêques, vous nous permettez par ces rencontres, ces échanges et ces temps de célébration et de prière, de vivre avec une intensité plus forte la collégialité épiscopale, ce « souci de toutes les Eglises » dont parle l’Apôtre Paul.

Vos pays respectifs, la République Démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda ont traversé ces dernières années des épreuves terribles. Aujourd’hui, la situation dans cette région des Grands Lacs reste préoccupante. De France, nous avons suivi avec beaucoup d’admiration le souci que vous avez eu de guider vos peuples sur la route de la paix, de la réconciliation et du pardon, dans la vérité et la justice. Nous savons aussi avec quelle vigilance vous veillez au bon fonctionnement d’une vie démocratique sans laquelle une société aujourd’hui n’est pas pleinement respectueuse de l’homme et de ses droits. Nous sommes venus pour mieux connaître encore vos efforts, les soutenir et alerter les responsables de notre pays sur leurs responsabilités vis-à-vis de cette partie importante de l’Afrique.

Au cours de cette rencontre, nous sommes invités à partager convictions et expériences. Qu’il me soit permis maintenant d’amorcer quelques réflexions.

PROMOUVOIR UNE RECONCILIATION
Dans votre Message de l’Assemblée extraordinaire de 2002 vous avez ré-exprimé l’engagement qui est le vôtre. Vous disiez :  » Ce dont la sous-région des Grands Lacs a véritablement le plus besoin, c’est la promotion d’une culture de la paix et l’édification d’une société d’excellence, une société marquée par la vérité, la justice, l’équité, le pardon et l’amour. L’Eglise est décidée à y apporter toute sa part de contribution, conformément à sa mission. » (Message de l’ACEAC du 18 mai 2002, DC n°2274 p.687)

1- L’expérience européenne
Nous n’oublions pas que nous-mêmes, Européens, avons été marqués par des conflits séculaires qui ont entrainé deux guerres mondiales avec des millions de morts et une destruction sans précédent. La France et l’Allemagne y ont perdu leurs forces vives et la haine du peuple ennemi a marqué plus d’une famille. Mais il nous a été donné aussi d’expérimenter que nous ne sommes pas condamnés pour toujours au conflit, à la haine, au mal, à la mort. Il y a des artisans de paix qui contribuent à ouvrir des horizons nouveaux. En 1950, Robert SCHUMAN appelait à une réconciliation avec l’Allemagne. Dans une Déclaration restée célèbre, il soulignait les points suivants :
— La paix en Europe dépend de la capacité à surmonter des conflits hérités de plusieurs siècles et à trouver de nouvelles formes de coopération, à la suite de cette réconciliation.
— Le chemin vers la paix ne sera possible qu’au prix d’une coopération qui ne pourra jamais être forcée mais qui dépend de la participation volontaire de chacun de ceux qui y sont engagés.
— L’unité européenne ne sera pas acquise du jour au lendemain, mais elle sera le résultat d’un long processus historique.
— L’unité européenne se construira, non pas dans l’abstrait, mais à travers un nombre limité de mesures concrètes caractérisées, à la fois par la solidarité dans l’action et par le partage continu de la responsabilité.

Le pape Jean-Paul II dans son Exhortation Apostolique Ecclesia in Europa soulignait : « L’Europe qui nous est léguée par l’histoire a vu, surtout au siècle dernier, s’affirmer des idéologies totalitaires et des nationalismes exacerbés qui, faisant perdre l’espérance aux hommes et aux peuples du continent, ont nourri des conflits au sein des Nations et entre les Nations elles-mêmes, jusqu’à l’effroyable tragédie des deux guerres mondiales. Les luttes ethniques récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu’elle a besoin d’un engagement actif de tous et qu’elle ne peut être garantie qu’en ouvrant de nouvelles perspectives d’échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les nations. Face à cet état de fait, l’Europe, avec tous ses habitants, doit s’employer à construire la paix à l’intérieur de ses frontières et dans le monde entier. » (n° 112)

2 – l’expérience africaine
Vous avez été marqués, vous aussi, dans cette région des Grands Lacs par des guerres et des conflits extrêmement violents, conflits qui continuent à perdurer. Et pourtant comme épiscopats, vous ne vous êtes pas résigné à la spirale de la violence, au triomphe de l’injustice, à la haine homicide entre groupes humains, entre ethnies ou entre peuples. Inlassablement, vous avez appelé à la réconciliation, à la paix, dans la vérité et la justice. Vos récentes déclarations manifestent fortement la tenacité de votre engagement.

Le 21 mai 2004, le Cardinal Frédéric Etsou écrivait dans sa communication Conflits et réconciliation en afrique : « Les efforts de la réconciliation sont considérés comme une tâche primordiale des Eglises. »

Le 4 février dernier, dans leur Message Rwanda : souvenons-nous de ce qui s’est passé les évêques rwandais soulignaient : « Ainsi, au moment où partout dans le pays, et même à travers le monde entier, nous commémorons le X° anniversaire du génocide, nous évêques catholiques du Rwanda, voulons inviter tous les rwandais, mais plus particulièrement les catholiques, à se mobiliser pour la réconciliation. Ils le feront en portant une attention spéciale à une justice qui réconcilie, fondée sur la vérité ; une justice qui chasse la haine et la vengeance et détruit le divisionnisme qui a toujours été la source de tous nos malheurs. Il faut que nous sachions demander et accorder le pardon. C’est ainsi que nous pourrons arriver à une paix durable et guérir les cœurs blessés par ce que nous avons vécu. » (D. n° 2315 p.534)

Mais comment ne pas citer également la Lettre pastorale du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar de
novembre 2001 qui est, tout entière, une méditation sur les fondements et les modalités pratiques de la réconciliation. Le texte souligne que l’appel à la réconciliation ne saurait être seulement une incantation un peu désincarnée mais qu’elle doit s’accompagner de l’invitation à toute une pratique concrète. Cette conscientisation et cette éducation à la réconciliation doivent s’articuler autour des attitudes et des objectifs que résument les verbes suivants : s’accepter, se supporter, s’aider, se pardonner, communiquer.

Je dois vous avouer que voir ainsi réunis dans une même Association de Conférences les évêques du Burundi, de la République démocratique du Congo et du Rwanda me paraît être une parabole vivante de cette Réconciliation à laquelle vous invitez et un signe fort, de ce que l’Eglise-famille de Dieu peut apporter à l’humanité dans ce domaine.
Vous vous attelez tous à une véritable promotion de la paix. Mais quelles en sont les conditions ?

VEILLER AUX CONDITIONS ESSENTIELLES DE LA PAIX
Sur quoi doit veiller aujourd’hui un artisan de paix ? Le pacifique selon l’Evangile est celui qui est attentif aux quatre piliers de la paix. Je reprends là un passage du Message pour la Journée mondiale de la paix 2003 du pape Jean-Paul II, qui réfléchit sur l’actualité de l’Encyclique Pacem in Terris de Jean XXIII dont nous venons de fêter l’an dernier le 40° anniversaire.
Le pape dit : « Avec la clairvoyance qui le caractérisait, Jean XXIII identifia les conditions essentielles de la paix, à savoir les quatre exigences précises de l’esprit humain : la vérité, la justice, l’amour et la liberté. »

La Vérité
L’artisan de paix garde les yeux ouverts sur le réel. Il essaie de tenir compte le plus possible de tous les éléments dans son analyse de la situation. Il analyse les causes internes et externes des conflits, comme vous l’avez fait ici dans la Région des Grands Lacs. Il essaie d’en comprendre les origines. Je pense à l’intervention de Mgr L. Monsengwo, le 17 août 2003, intitulée Comprendre les origines d’un conflit. Vous savez bien qu’on ne peut guérir un malade si on se trompe dans le diagnostic de son mal. L’analyse de la situation et la dénonciation des structures de péché sont des conditions essentielles pour cheminer vers la paix. Mais nous ne pouvons pas séparer la dénonciation des obstacles à la paix du discernement des chemins concrets vers la paix. Le pacifique écoute l’autre et a le souci d’intégrer la part de vérité dont celui-ci est porteur. Certes, il est situé quelque part, a ses idées, ses options mais il refuse d’être complice d’idéologies mensongères ou de discours manipulateurs qui cacheraient une partie de la situation. Il sait qu’il y a un devoir de faire la vérité sur ce qui s’est passé. Seule une guérison de la mémoire peut contribuer à rendre une paix durable. Un responsable politique qui se veut artisan de paix doit être convaincu de la nécessité d’une politique fondée sur le respect de la dignité et des droits de la personne. On peut d’ailleurs se demander si des chefs de guerre qui arrivent au pouvoir avec une toute autre logique d’action sont les mieux préparés pour rétablir un état de droit et pour promouvoir une justice impartiale et équitable.

La Liberté
Saint Jean nous dit : « La vérité vous rendra libre. » Le pacifique doit être un homme libre, c’est-à-dire « libéré de » et « libre pour » Il doit être libéré de la volonté de tout ramener à lui, d’accumuler les avantages, l’argent, les postes, le pouvoir. Il doit également être libéré de l’emprise de la peur. Certes, le sentiment de peur est humain. Tous, nous le ressentons devant l’apparition d’un danger qui nous menace. Mais, autre est le sentiment momentané de peur, autre est l’attitude de celui qui se laisse emprisonner par sa peur, être esclave de sa peur…et je ne parle pas de celui qui cultive la peur chez les autres pour maintenir son pouvoir. Celui qui est pris ainsi ne raisonne plus. Il ne prend plus de distance, il fonctionne par impression, par sentiment, par fantasmes. L’autre est démonisé. Celui qui a peur est prêt à toutes les aventures. Et nous savons où cela peut mener dans certains conflits ethniques. C’est la peur plus encore que l’ignorance qui engendre ces mécanismes de défense que sont les préjugés, les procés d’intention, les caricatures de l’autre, les jugements dévalorisants, les discours xénophobes ou racistes.

Le pacifique maîtrise sa peur. Il écoute la parole du Christ qui lui dit : « N’ayez pas peur, ne vous inquiétez pas. » Il prend du recul. Il garde l’œil qui sait voir, l’oreille qui sait entendre. Il prend des distances par rapport à ses propres blessures, à ses émotions ou à sa violence intérieure. Il vit dans la confiance et veut appeler à la confiance. Libéré de la peur, il est libre pour aimer et pour entrer dans un travail de réconciliation.

La Justice
Dans son Message pour la Journée mondiale de la paix 2003, le pape Jean-Paul II avait dit : « Pas de paix sans justice et pas de justice sans pardon. » Vous-mêmes vous avez déclaré : « la vérité est la première condition d’une vraie réconciliation. La justice dans l’équité en est la seconde. » (Cité par le Cardinal F.Etsou : o.c p.8)

Le pacifique « fait la paix » Il sait que celle-ci n’est pas de l’ordre de la seule utopie mobilisatrice ou du sentiment généreux mais qu’elle passe par le respect d’un certain nombre de droits et de devoirs : droit pour chacun de vivre dans son pays en sécurité, droit au travail, au logement, à l’éducation, à la santé, droit d’être respecté dans sa dignité d’homme. Il ne saurait y avoir de paix sans respect et défense de ces droits. L’impunité, l’arbitraire et la corruption sont des ennemis de la paix. N’oublions pas d’ailleurs que ces droits de chacun sont pour un Etat et ses gouvernants comme autant de devoirs.

L’Amour
Mais si le pacifique peut être persécuté pour la justice, il sait aussi que la fidélité au Christ l’appelle à aller plus loin, à lutter contre la violence et la haine avec la force de l’amour et tout particulièrement de l’amour des ennemis. Aimer son ennemi ne veut pas dire se résigner devant lui mais aider celui-ci à se libérer de la peur, de la haine ou de la violence qui l’habite. Le pacifique contribue à détruire les murs entre les êtres, entre les peuples. Il accueille et propose le pardon. Il travaille à la réconciliation avec ce que cela demande de patience, de conviction, de persévérance et de souci de soigner les blessures qui rendent dans les cœurs une telle réconciliation difficile. Il sait qu’à certains jours il aura à payer lui-même le prix d’une telle réconciliation. Un tel pacifique rayonne. Il redonne autour de lui espoir, confiance, goût pour la paix. Par son souffle, il rend de nouveau incandescente la braise de la paix dans un foyer que l’on croyait recouvert de cendres.
Chers frères dans l’épiscopat, je suis sûr que vos efforts pour inviter à la réconciliation et éduquer à la paix seront féconds. Avec la grâce de Dieu, ils devraient susciter dans vos Eglises et dans vos peuples ces artisans de paix dont le monde a tant besoin. En effet, la paix n’a pas seulement besoin d’experts, elle a besoin des mains et du cœur de nous tous. Elle passe par les mille petits gestes de la vie quotidienne, par les mille initiatives très simples d’accueil, de rencontre, de dialogue, d’entraide et de solidarité dans notre vie de tous les jours. Si nous avons des contentieux ou des conflits, pourquoi ne pas s’asseoir tous ensemble autour de la même table ? Chaque jour, par notre manière de vivre avec les autres, nous optons pour ou contre la paix.

Merci, chers frères du Congo, du Burundi et du Rwanda que nous rencontrons ces jours-ci, vous qui nous avez révélé ce lent travail et cette passi
on pour la paix. Nous voulons être davantage proches de vous, solidaires de vous. Nous nous engageons à relayer vos messages, vos questions et vos appels, auprès de notre Eglise, de l’opinion publique française et de nos gouvernants. Nous prions et prierons pour vous. Que Marie, la servante de la paix, vous accompagne et vous aide ! Et que le Dieu de la Paix soit toujours avec vous !

X Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques de France

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ZENIT Staff

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