« Sur cette terre un peu de Paradis », entretien avec le card. Poupard (2)

Culture et Nouvelle évangélisation

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CITE DU VATICAN, Mardi 6 juillet 2004 (ZENIT.org) – Si nous prenons au sérieux l’invitation du pape Jean-Paul II de célébrer l’année eucharistique, ce sera « sur cette terre un peu de Paradis », affirme le cardinal Poupard dans la seconde partie de cet entretien accordé à Zenit à l’occasion du double jubilé sacerdotal et épiscopal du « Ministre de la Culture » de Jean-Paul II (cf. Zenit, 4 juillet, pour la première partie de l’entretien). Le cardinal Poupard déplore « l’inertie » et « l’indifférence de l’immense majorité des centaines de millions de chrétiens européens, d’Est en Ouest » dans le débat sur les racines chrétiennes de l’Europe. Et dans le cadre de la nouvelle évangélisation, le cardinal français fait remarquer que « le rachitisme spirituel est la grande maladie de nombreux chrétiens ».

Zenit : Eminence, en Europe, la question de la reconnaissance, y compris dans la Constitution de l’Union européenne, des racines chrétiennes du continent tenait à cœur au pape Jean-Paul II, mais les fidèles n’ont pas toujours perçu l’enjeu… Vous avez vécu de près la médiation capitale de Jean XXIII entre Kennedy et Khrouchtchev : aujourd’hui, la chute du rideau de fer et, le 1er mai dernier, l’entrée de pays de l’ancien bloc soviétique dans l’Union, changent-elles les données du débat ?

Card. Poupard : L’enjeu, pour le dire d’un mot, c’est que l’aphasie peut entraîner l’amnésie, si l’on n’y prend garde. Beaucoup de fidèles n’ont pas compris l’enjeu, par manque de connaissance souvent, mais par manque d’intérêt surtout. Et comme l’histoire récente de l’Europe le montre tragiquement, les croyants manquent à leur devoir de s’engager dans les débats de la Cité pour y porter les valeurs de l’Évangile. Et comme la nature a horreur du vide, d’autres le remplissent. Dans le cas présent, c’est un petit lobby laïciste puissant qui l’a emporté grâce à l’inertie et l’indifférence de l’immense majorité des centaines de millions de chrétiens européens, d’Est en Ouest. Vous avez observé comme moi ce scandale, l’abstention inouïe au vote pour désigner les membres du nouveau Parlement Européen, jusqu’à 90%, en certains pays de l’ancien bloc communiste.

Zenit : Les droits de l’homme risquent de devenir en ce début de troisième millénaire, non plus une référence mondiale commune, mais une pomme de discorde dans la mesure où la Déclaration universelle serait perçue comme un « produit » de l’Occident, dans des cultures marquées par l’Islam par exemple. Or l’Eglise et le Saint-Père attachent une grande importance à la promotion des droits de l’homme. Un fossé nouveau se creuse-t-il ?

Card. Poupard : Ceux qui n’ont pas eu le courage de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe conduisent notre société dans une grave impasse : les droits de l’homme reposent sur une conception de l’homme puisée dans la Bible : l’homme, tout homme, respecté parce que créé à l’image et ressemblance de Dieu.

Zenit : En 2003, vous avez prêché le carême sous les voûtes de Notre-Dame de Paris et votre prédication a eu un grand écho. Vous aviez choisi de parler des saints. Pourquoi ?

Card. Poupard : Le Saint-Père a demandé aux chrétiens, dans Novo millennio ineunte (6 janvier 2001, ndlr), de développer une culture de la Sainteté. Ce qui me paraît capital. Il n’y a rien de plus urgent ! Et c’est pourquoi j’ai choisi six témoins, aussi différents qu’il est possible, de la politique avec Robert Schuman à la charité avec Mère Teresa, de l’intellectuel avec Maurice Blondel à la petite africaine analphabète Bakhita, du jeune laïc Pier Giorgio Frassati au bon pape Jean XXIII.

Zenit : Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte-Face a été proclamée par Jean-Paul II Docteur de l’Eglise : est-ce une façon d’encourager à ne pas étudier, comme elle, parce que, finalement, la science divine est communiquée directement au cœur de l’homme contemplatif et que cela seul suffit ?

Card. Poupard : N’en croyez rien ! La petite Thérèse n’a cessé d’étudier la Bible, et sa petite voie d’enfance, elle l’a puisée dans sa méditation quotidienne de l’Évangile et de mon saint Patron Paul. La foi est reçue dans l’intelligence, et la grâce ne supprime pas la nature. Les vertus acquises offrent un « terrain d’atterrissage » aux vertus infuses. Dieu n’aime pas les paresseux. Il ne faut pas oublier que Thérèse a grandi dans une culture chrétienne, dans un foyer chrétien peu ordinaire : ses parents sont des modèles de sainteté. Nous n’avons pas la même chance aujourd’hui : il nous faut purifier notre imaginaire et notre mémoire souvent infestés par la culture ambiante, et rectifier certains plis de l’intelligence causés malgré nous par la culture dominante : il nous faut les évangéliser par un authentique travail, et pas uniquement intellectuel, mais comme l’a fait Thérèse, irrigué par la prière.

Zenit : Devant l’urgence d’évangéliser, certains jeunes sont tentés de se jeter dans une vie apostolique intense, sans prendre le temps des études et de l’université, si bien qu’on risque de voir se creuser aussi dans les jeunes générations le fossé que Paul VI avait discerné entre Culture et Evangile ? Les « communautés nouvelles » et les Mouvements auraient-ils un rôle à jouer ?

Card. Poupard : Le renouveau ne se fait jamais en dehors de la tradition. Nous avons une intelligence à convertir. J’insiste toujours sur l’importance de la formation de l’intelligence et du cœur pour la mission. La mission qui se fonde sur l’affectif est souvent feu de paille. Les JMJ n’auraient que peu d’effet si elles n’étaient « continuées » par un engagement sous diverses formes. Encore une fois, il s’agit de nourrir notre vie chrétienne. Le rachitisme spirituel est la grande maladie de nombreux chrétiens. C’est pourquoi les Communautés nouvelles et les Mouvements ont toute leur place dans la nouvelle évangélisation. J’aime à répéter : nous avons à évangéliser tout ensemble la raison et le sentiment, l’intelligence et le cœur. Dis-moi ce que tu désires, et je te dirai qui tu es ! Nous répétons tous les jours le Notre Père : Que ton règne vienne ! Est-ce que vraiment nous le désirons ? Si oui, alors, nous mettons toutes les ressources de la culture, et c’est bien nécessaire, les études, de l’école à l’université, la beauté aussi, de l’affiche à la chanson, pour annoncer la bonne nouvelle de l’amour de Jésus Sauveur.

Zenit : Votre livre passionnant « Au Coeur du Vatican. De Jean XXIII à Jean-Paul II » (1) vient d’être salué par le Prix Lafue qui vous a été remis dans le cadre prestigieux des cultures du monde, au siège de l’Unesco à Paris. Du coeur du Vatican au coeur des cultures : l’Eglise se penche sur les cultures du monde avec bienveillance, mais ce qui se passe dans un si petit « État » intéresse-t-il les cultures du monde ?

Card. Poupard : Vous l’avez constaté comme moi : tous les Chefs d’État se rendent en visite officielle dans ce « petit Etat »… La personnalité du Pape n’explique pas tout. L’Évangile est une lumière pour notre temps, et le monde ressent inconsciemment le besoin de venir à cette source qui est donnée à travers le ministère de Pierre. Pourquoi est-ce que je suis tout le temps sollicité de donner des interviews : presse, radio, TV, livres…

Zenit : Jean-Paul II a repris en 1979 la tradition de la procession eucharistique des papes de Saint-Jean du Latran à Sainte-Marie Majeure, pour la fête du Saint-Sacrement. À cette occasion, le 10 juin dernier, le pape a annoncé, d’octobre 2004 à octobre 2005, une « année de l’Eucharistie »: qu’est-ce que ce
la signifie, dans nos cultures où « procession eucharistique », « salut du Saint-Sacrement », « ostensoire », ont quelque chose, pour certains, d’exotique ? Qu’est-ce que le Saint-Père propose ? Comment se préparer à y répondre ? Quels bienfaits en attendre pour notre monde ?

Card. Poupard : Vous savez. Ce que vous dites s’applique à la culture médiatique dominante, dans l’indifférence ou la complaisance de beaucoup de chrétiens.

Mais la procession eucharistique n’a rien d’exotique… Je suis allé récemment à Lourdes consacrer le nouvel autel de la Grotte de Massabielle et j’ai présidé la Grande procession eucharistique du pèlerinage montfortain. Des milliers de personnes avec une grande ferveur.

Tous les jours, dans mon petit oratoire, après avoir célébré la sainte messe, j’expose le Saint-Sacrement, et les religieuses Carmélitaines apostoliques qui tiennent mon appartement se relaient avec joie pour l’adoration eucharistique.

La vie de foi a besoin de se nourrir du cœur de la foi qu’est la sainte Eucharistie. L’initiative du Saint-Père est providentielle pour réveiller trop de chrétiens devenus indifférents et qui se laissent influencer, bien à tort, par les stéréotypes mensongers répandus avec complaisance trop souvent dans les médias. Comment croire au mystère de Jésus dans l’Eucharistie, sans l’adorer, en privé, comme en public ? L’initiative du Saint-Père, si elle est suivie comme je le souhaite est de nature à surmonter le fossé discerné par Paul VI et que vous avez rappelé, entre culture et Évangile.

La vie de foi s’incarne dans la religiosité populaire. Aujourd’hui, j’observe un vrai renouveau de cette religion populaire, vécue de façons très diverses aujourd’hui. Et les jeunes sont les premiers à le demander : pèlerinages à pied, à cheval, à bicyclette, en bateau…

Pour y répondre, il faut prendre l’appel du St Père au sérieux, retrouver le caractère central de ce mystère de foi dans notre vie chrétienne et la vie de l’Église.
Dans notre culture de l’hypertrophie du moi et du matérialisme hédoniste, ce sera un grand bienfait que de nous décentrer de notre égoïsme, pour adorer, en toute gratuité, et ouvrir tout grand notre horizon aux dimensions de Dieu fait homme en Jésus-Christ. Et ce sera sur cette terre un peu de Paradis.

(1) Editions Perrin-Mame, Paris.

Propos recueillis par Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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