“Le Pape de Rome a reçu les invitations de plusieurs chefs d’Etat des anciennes républiques soviétiques: N. Nazarbaev, L. Koutchma, des présidents de l’Arménie, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Pourquoi vous ne l’avez toujours pas invité? Ne pensez-vous pas de rater une occasion historique: la possibilité de contribuer au rapprochement des deux Eglises? Pour la Russie c’est si important de pouvoir réunir l’Orient et l’Occident.
“Je suis entièrement d’accord avec vous. J’accepte tout ce que vous dites. Mais, malheureusement nous ne sommes ni la Géorgie, ni l’Azerbaïdjan, ni Kazakhstan. Je suis le chef de l’Etat russe. Dans mon pays, comme vous le savez, la religion principale est l’Eglise orthodoxe, le Patriarcat de Moscou. 90% des croyants sont orthodoxes. Tous nos citoyens ne sont pas croyants, mais parmi ces derniers les Orthodoxes sont majoritaires.
“Nous sommes témoins de la renaissance religieuse en générale et de l’Orthodoxie en particulier dans notre pays. Bien que ce processus se soit ralenti depuis quelque temps, il se poursuit tout de même. Je pense que c’est bénéfique. Vous savez certainement que nous avons adopté une loi sur les cultes. Il est contradictoire et suscite des débats dans notre pays et dans l’opinion publique internationale. L’important c’est que nous en ayons une. Elle concerne spécialement quatre principales religions: le christianisme orthodoxe russe, l’islam, le judaïsme et le bouddhisme. Toutes les autres confessions possèdent les mêmes droits dans la vie et dans la législation, mais les quatre religions énoncées demeurent principales. Cela signifie notamment qu’elles sont les plus importantes en Russie et liées à notre histoire et à notre culture. Les autres religions ne doivent aucunement être discriminées, car elles possèdent les mêmes droits. L’Eglise orthodoxe russe est cependant majoritaire et je ne peux pas ne pas le prendre en considération.
“Malheureusement on ne peut pas dire que les relations entre le Saint-Siège de Rome et l’Eglise orthodoxe russe soient idéales. Cela est lié à plusieurs facteurs. Le premier, le plus actuel, est que l’Eglise orthodoxe russe a été éprouvée par quelques pas durs de l’Eglise catholique en Ukraine, où certains fidèles ont été déracinés de leur Eglise mère. L’Eglise orthodoxe russe considère la politique extérieure du Saint-Siège quelque peu agressive et marquée par le prosélytisme. Elle lui reproche de vouloir pénétrer sur le territoire des autres confessions, en s’appuyant notamment sur ses moyens financiers.
“Il existe, bien entendu, d’autres problèmes, je n’en ai mentionné que les plus important. Néanmoins, je pense que vous avez tout à fait raison: il serait juste que les deux Eglises soeurs, comme elles s’appellent toutes les deux, parviennent à surpasser les difficultés et les malentendus et à trouver un langage commun. Vous avez également raison de dire que ce serait un pas très important pour la Russie dans le sens de l’intégration de la société occidentale.
“Je voudrais rappeler que le monde religieux occidental a également éprouvé quelques difficultés. Souvenons-nous de l’histoire des relations entre l’Eglise d’Angleterre et le Saint-Siège. La possibilité pour les catholiques d ‘être implantés sur les îles britanniques est finalement assez récente. La Russie ne fait que des premiers pas dans cette direction. Je souhaite que ces démarches soient plus rapides et efficaces. Je suis pourtant persuadé qu’elles doivent émaner des deux côtés.
“J’ai de bonnes relations avec le Pape. Je l’ai rencontré dans plusieurs endroits, y compris à Rome. Nous avons évoqué le sujet sensible des relations entre le Saint-Siège et l’Eglise orthodoxe russe. C’est un homme fort intelligent qui comprend parfaitement la situation actuelle. Je lui ai dit que j’étais prêt à l’inviter comme un chef d’Etat. Savez-vous ce qu’il m’a répondu? «Regardez par la fenêtre. Vous pouvez voir tout mon Etat par la fenêtre». J’ai souligné que je ne pouvais lui proposer une visite élargie sans l’accord de l’Eglise orthodoxe russe et qu’il nous faudrait faire des efforts communs pour normaliser ces relations. Il le comprend. Mais je répète: je souhaite vraiment que cela se produise. J’en ai parlé avec les responsables de l’Eglise orthodoxe russe. Ils sont convaincus qu’il existe un certain nombre de questions à résoudre. Bien entendu, je dois respecter la position de l’Eglise orthodoxe russe”.