CITE DU VATICAN, Dimanche 5 octobre 2003 (ZENIT.org) – Mgr Gabriel Zubeir Wako, archevêque de Khartoum (Soudan), est le premier cardinal de l’Eglise du Soudan, et il a demandé, à la nouvelle que Jean-Paul II le choisissait comme cardinal, que l’on prie pour son pays et pour tous les chrétiens, ce dimanche 5 octobre, à l’occasion de la canonisation de Daniel Comboni. Le Soudan est en effet marqué depuis 20 ans par de guerre civile d’origine ethnique et religieuse qui a fait plus de deux millions de morts dans le Sud du pays.
Voici le témoignage et l’appel lancé par Mgr Wako devant l’assemblée des évêques de France, en novembre 199, à Lourdes, et publié par le site de la conférence des évêques de France www.cef.fr.
« Eminences,
« Excellences,
« Révérends Pères,
“ La Grâce de notre Seigneur Jésus, l’Amour de Dieu, et la Communion du Saint-Esprit soient avec vous tous. ”
« Tout d’abord, je voudrais remercier le Seigneur de m’avoir amené sain et sauf en cet endroit. J’espère que cette rencontre bénéficiera à nous tous ici présents.
Je souhaite aussi remercier la conférence des Evêques de France de m’avoir invité ici. En fait une invitation similaire nous avait été adressée auparavant. Si je ne l’avais pas acceptée, c’est que notre Réunion Plénière du Conseil Pastoral se tient au même moment dans l’Archidiocèse de Khartoum. Cette année, mon clergé a pensé que je devais venir ici, et me voici.
« C’est véritablement un grand honneur pour moi qu’on m’ait demandé de m’adresser à une assemblée aussi “ auguste ” et de parler de l’Eglise du Soudan et particulièrement de l’Archidiocèse de Khartoum.
« L’Archidiocèse de Khartoum a acquis une place spéciale dans l’Eglise du Soudan. Il abrite plus de deux millions et demi de personnes déplacées qui se sont réfugiées là à cause de la guerre, de la faim et du manque de services essentiels concernant l’éducation et les soins médicaux dans le Sud, l’Ouest et l’Est du Soudan. Nous estimons que parmi les presque 5 millions de chrétiens au Soudan, (dont 3 millions et demi sont catholiques) un million de catholiques habitent maintenant l’archidiocèse de Khartoum.
« En dépit de ce grand nombre, nous, les chrétiens du Soudan pensons que nous avons été oubliés par le reste du monde chrétien, et que du moins, notre problème n’a pas été bien compris par le reste du monde extérieur. Toutefois, il s’agit d’un groupe de chrétiens qui en est venu à reconnaître et à accepter sa souffrance et le déplacement de son peuple, comme une mission, un acte de la Providence. La situation actuelle a éparpillé les chrétiens presque absolument partout au Soudan, mais leur présence est sentie plus intensément à Khartoum et dans ses banlieues. C’est une présence dans la souffrance; Les chrétiens subissent le harcèlement continuel des forces de sécurité, une humiliation constante, et sont fréquemment le bouc émissaire en temps de crise.
« L’Eglise du Soudan n’est ni anti-islam, ni anti-gouvernement. C’est une Eglise qui s’est établie dans un pays divisé et déchiré par la guerre, pour témoigner du Christ, Lui qui demeure toujours un signe de contradiction. C’est une Eglise qui témoigne constamment en faveur de l’unité parmi le peuple soudanais, en faveur de la solidarité, en faveur de l’amour chrétien et de la réconciliation. Notre recherche c’est la paix pour notre peuple, la justice et l’égalité pour tous, le respect de la dignité donnée par Dieu à tous les êtres humains et les droits qui en dérivent. Comme la majorité des chrétiens soudanais sont d’origine africaine, venus surtout du Sud et de l’Ouest du pays, leur cri pour le respect prend souvent la forme de la défense de leurs propres cultures, de leurs différents langages et manières de vivre, la défense de leur religion et de leur territoire qui est maintenant devenu un champ de bataille. Malheureusement, qui prône publiquement ces vertus sont facilement classé rebelle, simplement parce que c’est manifestement le gouvernement lui-même que l’on doit montrer du doigt en accusant des manquements; et que ceux qui montrent du doigt appartiennent d’habitude aux tribus qui ont eu recours à la lutte armée contre l’oppression, et le déni énergique des droits élémentaires.
« Beaucoup d’entre vous ont appris qu’il y avait un genre de persécution religieuse contre les chrétiens au Soudan. Les organes officiels du gouvernement soudanais nient vigoureusement l’existence d’une forme quelconque de persécution ou de discrimination. Pour soutenir ces négations énergiques des exemples de tolérance, d’égalité et de coexistence pacifique sont cités :
– Des chrétiens sont admis à des postes gouvernementaux élevés: le second vice-président est catholique et nombre de ministres, de ministres d’Etat et d’officiels de haut rang sont chrétiens; il y a même un évêque épiscopalien qui est ministre d’Etat au ministère des Affaires Etrangères.
– Les chrétiens sont totalement libres de pratiquer leur foi, ils vont à l’Eglise le dimanche sans problème ce jour-là; ils sont même autorisés à n’arriver à leur travail qu’à 10 heures pour pouvoir assister à leurs offices du dimanche.
– La constitution reconnaît que le Soudan est un pays qui a plusieurs cultures, plusieurs langues, plusieurs religions, plusieurs ethnies; l’égalité est garantie pour tous sur la base de la citoyenneté; les droits élémentaires de l’homme sont respectés et protégés…etc…
– Les chrétiens sont dispensés des lois islamiques. (en fait dans le Sud seulement et ceci est parfois théorique)
– Un système fédéral garantit la participation de tous les citoyens au gouvernement du pays.
« Cependant notre système fédéral est un système fédéral très centralisé.. Nous entendons dire beaucoup de ces choses mais la réalité est différente. Les chrétiens n’ont pas eu l’autorisation de construire d’église depuis les années 60. L’église de la sucrerie de Kennana a vu sa construction suspendue pendant 6 ans bien que les constructions aient commencé avec tous les permis nécessaires. Les terrains ne peuvent être enregistrés au nom de l’Eglise. En fait la plupart des centres paroissiaux que les chrétiens utilisent dans l’Archidiocèse sont enregistrés en mon nom. Depuis 1995, il y a eu destruction systématique des écoles et des centres de prière chrétiens sous prétexte soit qu’ils se trouvaient être là où les urbanistes voulaient construire des routes soit qu’ils avaient été bâtis illégalement sur un terrain non planifié. Curieusement, toutes les nouvelles routes passent par nos Centres. (au moins 25 ont été démolis de cette manière). Les églises n’ont jamais reçu de compensation pour les structures démolies; on ne leur a pas donné non plus de terrain en remplacement. Récemment l’action du gouvernement a convergé sur le personnel de l’Eglise. Les Pères Hilary Boma et Lino Sébit sont maintenant depuis un an en prison. Le Père Gilles, un Canadien, a été expulsé en Juillet cette année. On ne donne maintenant de permis de séjour aux missionnaires que pour 6 mois. Nous attendions l’expulsion de huit missionnaires, hommes et femmes; heureusement le Nonce et d’autres sont intervenus et le problème fut résolu. La raison donnée pour leur expulsion était qu’ils étaient entrés dans le pays avec un visa de “ visiteurs ” bien que la demande de visa indiquât clairement qu’ils entraient pour travailler. Depuis le mois de mai, nous nous battons pour garder nos écoles qui éduquent 42 826 élèves, pour la plupart enfants de déplacés. Le Gouverneur de Khartoum voulait que ces écoles soient fermées et les enfants envoyés à des écol
es gouvernementales. Malgré la dernière déclaration du gouverneur selon laquelle il n’avait jamais eu l’intention de prendre ces écoles, nous sommes toujours harcelés par de fréquentes inspections qui ne sont pas annoncées et qui sont faites parfois par des hommes de la sécurité armés ou par des soldats. Les cibles principales maintenant sont le personnel, les écoles, le droit de propriété des terrains. Un autre facteur très inquiétant est l’utilisation continuelle de police armée, d’hommes de la sécurité et de soldats pour harceler l’Eglise. Je fus arrêté par un contingent d’au moins 15 hommes armés qui entrèrent dans ma maison en grimpant sur la clôture; le Père Hilary fut arrêté par environ 10 hommes armés; le père Gilles fut expulsé, accompagné par des hommes armés; le club catholique fut confisqué par deux camions pleins d’hommes armés; la même méthode d’intimidation est utilisée maintenant envers nos écoles. Il y a six jours neuf personnes armées de Forces de la Sécurité sont venues au Secrétariat général de notre Conférence épiscopale, à 9 heures du soir. Ils ont enfoncé la porte d’entrée et ont été directement au bureau de la communication. Ces gens de la Sécurité ont pris l’ordinateur et le “ Serveur ” que nous avions reçu de Rome et qui devait nous servir à relier tous les diocèses du Soudan par courrier électronique.
« Le gouvernement se plaint que parmi toutes les Eglises, l’Eglise catholique est la plus têtue et la moins coopérante. Par coopération, il veut dire que l’Eglise catholique devrait soutenir les actions politiques du gouvernement dont certaines, selon nous, sont inacceptables; qu’elle devrait s’arrêter d’envoyer des rapports négatifs sur le gouvernement-(en fait nos moyens de communication sont trop pauvres pour justifier une telle accusation, spécialement quand c’est nous-mêmes qui apprenons l’existence de ces rapports par les médias internationaux); et que nous ne devrions rien dire contre les actions politiques du gouvernement dans nos lettres pastorales.
« Nous devons apprécier les efforts que le gouvernement a fait pour commencer une forme de dialogue avec les Eglises et avec l’Eglise catholique en particulier. Un Comité pour le dialogue inter-religieux fut établi au début des années 90. L’Eglise ne pouvait pas travailler avec ce comité, d’abord parce qu’il refusait de s’occuper des points de tension, et ensuite parce qu’il ne remplissait pas l’attente de l’Eglise qui souhaitait un vrai dialogue interreligieux enterre les leaders musulmans et chrétiens. Un autre effort fut fait à la suite du refus par les évêques catholiques que l’Eglise catholique soit enregistrée comme Organisation Non-Gouvernementale Bénévole. L’initiative de ces rencontres fut bientôt abandonnée pour de piètres excuses. Aujourd’hui un autre effort est fait. Malheureusement nous ne partageons pas les mêmes idées sur ce qu’est un dialogue.
« La tension entre le système politique et les chrétiens n’est pas un phénomène nouveau. Le présent gouvernement est devenu toutefois plus explicite dans la mesure où il veut que le Soudan devienne à 100% arabe et musulman. Depuis l’indépendance, la direction a toujours été l’arabisation et l’islamisation. Même les courtes périodes de démocratie étaient lourdement chargées d’arabisme et d’islam. Cependant ce furent les régimes militaires qui poussèrent à fond ce programme: Le général Abboud demandait ” un Soudan, une langue(l’arabe), une religion, (l’islam) .Le Maréchal Nimeiri imposa la charia islamique à tout le pays. Le présent régime a fait de l’islam son programme principal et l’applique systématiquement à tous les aspects de la structure de l’Etat, politique, judiciaire, exécutif, législatif, économique et social. Le problème, toutefois n’est pas seulement la religion mais aussi le système de gouvernement qui supprime les droits élémentaires de l’homme et utilise des méthodes répressives, incluant l’emprisonnement au secret, les exécutions sommaires, la torture en détention, l’emprisonnement sans jugement; et aussi le système de sécurité d’intimidation, organisé pour agir en dehors des lois; la mauvaise information des médias avec comme conséquence la suppression de la liberté d’expression et d’opinion ( bien qu’il y ait des signes d’amélioration dans ce domaine parfois démentis par la suppression de journaux et l’arrestation de journalistes au franc-parler. Ce ne sont pas seulement les chrétiens et les non-Arabes qui souffrent de ceci, mais tout le peuple de ceux qui ne pensent pas et n’agissent pas de la manière que le gouvernement voudrait qu’ils fassent, et ceci inclut des groupes musulmans.
« Nous ne devons pas confondre les problèmes politiques crées par les gouvernements avec l’attitude des musulmans ordinaires. Au Soudan les musulmans vivent et travaillent côte à côte avec les chrétiens. On peut dire avec quelque vérité que la tolérance et le respect mutuel font partie de la culture soudanaise dans son ensemble. Les relations de bon voisinage sont caractéristiques dans la plupart de nos tribus. Laissés à eux-mêmes sans coercition politique, les Soudanais ne donneraient aucune raison à quiconque de les accuser de se persécuter mutuellement.
« Cependant, dans l’Archidiocèse, l’Eglise se bat pour continuer sa mission.
L’évangélisation et la formation continue des chrétiens sont parmi nos priorités. Toute l’année nous avons de 4 à 5 000 catéchumènes en formation avec un nombre correspondant de baptisés chaque année à Pâques. Nous basons nos activités pastorales sur de petites communautés chrétiennes; ces chrétiens se trouvant en fait dans une société en majorité musulmane, c’est aussi une manière efficace de fortifier et d’approfondir la foi aussi bien que de créer un esprit d’unité et de solidarité parmi les chrétiens. Ces dernières années, beaucoup de laïcs sont devenus véritablement impliqués dans la vie de l’Eglise. Un des domaines prometteurs de cet engagement a été la création des comités Justice et Paix qui sont devenus très efficaces en créant parmi les croyants une prise de conscience des droits de l’homme et de sa dignité ainsi que la promotion de la résistance non-violente à des systèmes et des traitements injustes.
« Quelques chiffres:
« Nous avons au Soudan
– 219 prêtres soudanais ( dont 22 ordonnés cette année), et 149 missionnaires.
– 33 religieux frères soudanais et 44 missionnaires
– 97 religieuses soudanaises et 212 religieuses missionnaires
– 251 grands séminaristes ( pour les 6 années de formation).
« Voici donc quelques statistiques pour le seul Archidiocèse de Khartoum qui a une superficie de près de un million de km2 c’est-à-dire à peu près deux fois la France :
– pour une population de 18 millions d’habitants, nous avons :
. 907 000 catholiques dont la majorité sont des gens originaires du Sud Soudan ;
. 32 prêtres diocésains, 22 prêtres d’autres diocèses et 70 missionnaires ;
. 4 diacres permanents, 28 religieux frères dont 17 soudanais,
. 26 religieuses soudanaises et 126 religieuses missionnaires ;
. 250 catéchistes à plein temps et près de 300 catéchistes volontaires ;
. en formation : 70 au moyen séminaire, 30 en philosophie et 38 en théologie ;
. 110 écoles primaires pour enfants déplacés avec 52700 enfants et 7 écoles secondaires avec plus de 3700 enfants. En plus de l’enseignement, nous leur assurons un repas par jour et les soins médicaux.
– En 1998, nous avons eu : 8 100 baptêmes dont 4 400 baptêmes d’adultes.
« Les besoins urgents de l’Eglise du Soudan :
1) – Action pour la paix :
Mettre en place et travailler très fortement à l’échelon national et diocésain avec des commissions Justice et Paix.
Pour cela nous avons besoin de
personnel qualifié travaillant à plein temps.
Ce personnel travaillera pour la paix à tous les niveaux.
2) – Action pour la promotion sociale et humaine dans tous les domaines et tout spécialement :
– l’éducation : en effet, il est à noter que les Soudanais du Sud n’ont leur espérance que dans l’éducation donnée par l’Eglise ;
– la santé et la nourriture ;
– la promotion des femmes : les femmes sont les groupes qui ont le plus souffert durant cette guerre. En plus de supporter tous les durs travaux occasionnés par la guerre, elles doivent s’occuper de très nombreux orphelins présents dans les différentes paroisses ;
– la mise en place de structure et du personnel nécessaire pour la réalisation de ces programmes.
« Nous lançons un très vibrant appel à tous les Evêques de France et tous ceux ici présents :
– de prier pour nous, de demander à vos fidèles de prier pour mon pays et pour les Soudanais et d’offrir des sacrifices pour eux ;
– de parler en notre nom pour que soit instaurée une paix basée sur le dialogue et le respect des droits de l’homme au Soudan.
« Je suis un peu confus de vous rappeler que nous en avons en charge 2,5 millions de personnes déplacées dont la majorité est sans toit avec très peu de nourriture, sans travail, ni éducation et soins médicaux.
« En terminant, je voudrais vous dire que le 1er octobre 2000, la bienheureuse Joséphine BAKHITA, ancienne esclave du Soudan, sera canonisée par le Pape Jean-Paul II.
Nous pensons que le Pape veut faire un symbole en la canonisant une ancienne esclave le jour de la Fête de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus, Patronne des Missions.
« D’avance je vous remercie pour tout ce que vous ferez pour notre cher Soudan et que Dieu vous bénisse tous.
« Je vous remercie ».
Lourdes le 6 novembre 1999.