CITE DU VATICAN, Mardi 4 septembre 2001 (ZENIT.org) – L´Osservatore Romano en langue française de ce mardi 4 septembre 2001 propose cette réflexion du cardinal Nguyen Van Thuan, président du Conseil pontifical Justice et Paix, à propos de la Conférence de l´ONU, à Durban (Afrique du Sud) « contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les autres formes d´intolérance ». Voici le texte intégral de l´exposé qui rappelle la position de l´Eglise, telle qu´elle est expliquée dans le récent document de son dicastère, intitulé « L´Eglise face au racisme, pour une société plus fraternelle ».
Réflexion du card. Van Thuan
« Du 31 août au 7 septembre se tient à Durban, en Afrique du Sud, sous les auspices des Nations unies, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les autres formes d´intolérance. Le Saint-Siège, conscient de l´importance du thème traité par cette Conférence, y est représenté par une importante délégation. A cette occasion a été distribuée aux participants la seconde édition du document intitulé « L´Eglise face au racisme, pour une société plus fraternelle ». Ce document a été publié une première fois par le Conseil pontifical « Justice et paix », à la demande du Saint-Père, en 1988. Toutefois, le Conseil tenant compte, d´une part, du contexte international en pleine évolution et, d´autre part, des principaux thèmes de la Conférence, a fait précéder la nouvelle édition de cette année d´une mise à jour introductive détaillée avec de nouvelles réflexions relatives à cette question.
Entre mondialisation et particularismes nouveaux
La mondialisation subit des accélérations continuelles: les pays, les économies, les cultures, les styles de vie se rapprochent, s´universalisent, se confondent. Le phénomène de l´interdépendance s´étend à tous les domaines: politique, économique, financier, social et culturel. Les découvertes scientifiques et le développement des techniques de communication ont considérablement « rétréci » la planète.
Parallèlement, et paradoxalement, les contrastes deviennent plus aigus, les violences ethniques augmentent, la recherche de l´identité de groupe, de l´ethnie ou de la nation s´exacerbe, accompagnée du refus de l´autre, de celui qui est différent, jusqu´à commettre parfois des actes de barbarie. Ainsi, la dernière décennie a été caractérisée par des guerres ethniques ou nationalistes, qui constituent des motifs de préoccupation croissante pour les années à venir.
Il s´agit d´un paradoxe bien connu, qui s´explique en partie par la peur de perdre sa propre identité dans un monde qui devient trop vite planétaire, au moment même où les inégalités s´accentuent. Mais c´est un paradoxe aux causes multiples. On sait que la chute du mur de Berlin a attisé des rancoeurs et des nationalismes qui couvaient depuis des années sous la cendre; et on sait également que trop souvent, les frontières héritées de la colonisation ne respectent pas l´histoire et l´identité des peuples, ou encore que la solidarité fait cruellement défaut dans les sociétés où le tissu social se désintègre.
Au cours des dernières décennies, face à ces crises, la situation, du point de vue du racisme, de la xénophobie et des formes d´intolérance qui y sont liées, ne s´est pas malheureusement pas améliorée, et s´est même sans doute aggravée, et cela au moment même où les mouvements de populations n´ont fait qu´augmenter et où le tissage des cultures et la multiethnicité sont devenus des phénomènes sociaux diffus. D´où l´importance de la prochaine Conférence mondiale sur le racisme, importance que le Saint-Siège désire souligner.
Les thèmes de la Conférence
Dans un contexte international de ce genre, le Comité préparatoire de la Conférence de Durban a décidé, en juin dernier, d´inscrire à l´ordre du jour provisoire de la Conférence les cinq grands points suivants. Il a proposé que soient d´abord examinées les sources, les causes, les formes et les manifestations contemporaines du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie, et des formes d´intolérances qui y sont liées; que soient ensuite prises en considération les victimes de ces maux. Dans son troisième point, l´ordre du jour renvoie aux mesures, en matière de prévention, d´éducation et de protection, qui visent à éliminer, au niveau national, régional et international, ces mêmes maux. Le quatrième point a pour objet les recours utiles, les moyens juridiques, la réparation et les mesures d´indemnisation. On peut, dès à présent, signaler que cette dernière question, celle des « mesures d´indemnisation », a été mise entre guillemets dans le texte du Comité préparatoire, car de nombreuses controverses subsistent: certains Etats désirent en effet que l´esclavage et la colonisation soient explicitement reconnus comme source primaire du racisme et donc que les anciennes puissances coloniales prennent en considération l´éventualité de devoir verser des indemnités de réparation, ce que ces dernières n´acceptent pas. Enfin, le cinquième et dernier point renvoie aux stratégies qui visent à instaurer l´égalité intégrale et effective, en particulier la coopération internationale et le renforcement des mécanismes de mise en oeuvre de la part de l´Organisation des Nations unies et d´autres mécanismes internationaux en matière de lutte contre le racisme.
La contribution de l´Eglise: pardon et réconciliation
Dans ce contexte et dans ce cadre, on peut se demander quelle est la contribution spécifique que l´Eglise catholique est appelée à offrir, non seulement à la prochaine Conférence de Durban, mais, de façon plus générale, à la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l´intolérance.
La première réponse obligée est que c´est du coeur de l´homme que naissent les meurtres, les méchancetés, l´envie, l´orgueil, la déraison (Mc 7, 21) et c´est donc à ce niveau que la contribution de l´Eglise catholique, avec ses appels constants à la conversion personnelle, est la plus importante et demeure irremplaçable. En effet, c´est avant tout au coeur de l´homme qu´il faut s´adresser, car c´est le coeur qu´il faut continuellement purifier afin que n´y règnent plus la peur, ni l´esprit de domination, mais l´ouverture à l´autre, la fraternité et la solidarité. D´où le rôle fondamental des religions et, en particulier, de la foi chrétienne, qui enseigne la dignité de chaque être humain et l´unité du genre humain. Et, si la guerre ou des situations graves devaient faire de l´autre un ennemi, le premier et le plus radical des commandements chrétiens est précisément celui de l´amour de l´ennemi et de répondre au mal par le bien.
Il n´est pas permis au chrétien d´avoir des intentions ou des attitudes racistes ou discriminatoires, même si malheureusement, cela n´est pas toujours le cas dans la pratique et ne l´a pas toujours été dans l´histoire. A cet égard, le Pape Jean-Paul II a voulu caractériser l´Année jubilaire 2000 par des demandes de pardon répétées au nom de l´Eglise, afin que la mémoire de l´Eglise soit purifiée de « toute forme de contre-témoignage et de scandale » qui ont eu lieu au cours du millénaire qui vient de s´achever (Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, n. 33). Dans certaines situations, il arrive en effet que le mal survive à celui qui l´a commis, à travers les conséquences des comportements et ces derniers peuvent devenir un lourd fardeau qui pèse sur la conscience et la mémoire des descendants. Une purification de la mémoire devient alors nécessaire: « Purifier la mémoire signifie éliminer de la conscience personnelle et collective toutes les formes de ressentiment ou de violen
ce que l´héritage du passé aurait laissées, sur la base d´un jugement historique et théologique rigoureux, qui serve de fondement à un comportement moral conséquent et renouvelé… en vue de la croissance de la réconciliation dans la vérité, dans la justice et dans la charité entre les êtres humains et en particulier entre l´Eglise et les diverses communautés religieuses, culturelles ou civiles avec lesquelles elle entretient un rapport » (Commission théologique internationale, Mémoire et réconciliation: l´Eglise et les fautes du passé, Librairie éditrice vaticane, 2000, p. 49).
La demande de pardon concerne en premier lieu la vie des chrétiens qui font partie de l´Eglise; toutefois, « il est légitime d´espérer que les responsables politiques et les peuples, en particulier ceux qui sont touchés par des conflits dramatiques, alimentés par la haine et par le souvenir de blessures souvent anciennes, se laissent guider par l´esprit de pardon et de réconciliation témoigné par l´Eglise et s´efforcent de résoudre les contrastes à travers un dialogue loyal et ouvert » (Jean-Paul II, Discours aux participants au Symposium sur l´Inquisition, 31 octobre 1998, Insegnamenti de Jean-Paul II, vol. XXI, 2 [1998], p. 900; cf. ORLF n. 45 du 10 novembre 1998).
La question de la réparation
Acte d´amour gratuit, le pardon a ses exigences: il est nécessaire de reconnaître le mal fait, et, dans la mesure du possible, d´y remédier. La première exigence est donc le respect de la vérité. Le mensonge, l´absence de loyauté, la corruption, la manipulation idéologique ou politique rendent en effet impossible l´établissement de relations sociales pacifiques. D´où l´importance de procédures qui permettent d´établir la vérité, des procédures nécessaires, mais délicates, car la recherche de la vérité risque de se transformer en soif de vengeance. A l´exigence de la vérité s´en ajoute une seconde: celle de la justice. Etant donné que « le pardon n´élimine ni ne diminue l´exigence de la réparation, qui est le propre de la justice, mais cherche à réintégrer les personnes et les groupes dans la société, ou bien les Etats dans le concert des Nations » (Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 1997, n. 5; cf. ORLF n. 51 du 17 décembre 1997).
Le Saint-Siège est tout à fait conscient de l´importance et, en même temps, de la délicatesse des problèmes liés à l´ »exigence de réparation », en particulier lorsqu´il se traduit en demandes d´indemnisation. Le débat qui a récemment divisé certains Etats-membres des Nations unies au moment de l´adoption de l´ordre du jour provisoire de la Conférence de Durban en constitue un témoignage supplémentaire. Ce n´est pas à l´Eglise qu´il revient de proposer une solution technique à un problème aussi complexe. Toutefois, le Saint-Siège exprime sa conviction selon laquelle il faut toujours plus se tourner vers le passé avec une mémoire purifiée afin d´affronter avec sérénité l´avenir.
L´éducation aux droits de l´homme
Parmi les « bonnes pratiques » à promouvoir, insérées dans le programme de la prochaine Conférence de Durban, se trouve également l´engagement de l´éducation aux droits de l´homme, en particulier à travers les moyens de communication et l´oeuvre des religions.
Le Saint-Siège est conscient que les racines du racisme, de la discrimination et de l´intolérance se trouvent dans le préjugé et dans l´ignorance, fruits, avant tout, du péché, mais également d´une éducation erronée et insuffisante. D´où le rôle fondamental de l´éducation. A cet égard, l´Eglise catholique rappelle son rôle actif « à la base », d´une très grande portée, pour éduquer et instruire les jeunes de toutes les confessions religieuses et de tous les continents, et cela, depuis des siècles. Fidèle aux valeurs qui sont les siennes, l´Eglise dispense une éducation au service de l´homme et de tout l´homme. Cette action fondamentale, qui sert la cause des droits de l´homme, est bien connue.
En ce qui concerne le rôle irremplaçable des religions, et, en particulier, de la foi chrétienne, en matière d´éducation au respect des droits de l´homme, rappelons rapidement qu´un enseignement correct de la religion permet d´éloigner les « fausses idoles » que sont le nationalisme et le racisme. Le Pape Jean-Paul II affirmait devant l´Assemblée interreligieuse de 1999: « La mission qui nous attend consiste donc à promouvoir une culture du dialogue. Individuellement et ensemble, nous devons montrer que la croyance religieuse inspire la paix, encourage la solidarité, promeut la justice et défend la liberté » (Cité du Vatican, 25-28 octobre 1999; cf. ORLF n. 44 du 2 novembre 1999).
Les discriminations positives
La Conférence de Durban se propose également de promouvoir, en tant que « bonne pratique », ce que l´on qualifie de « discrimination positive ». La Convention internationale sur l´élimination de toute forme de discrimination raciale du 21 décembre 1965, que le Saint-Siège a ratifiée, prévoit en effet la possibilité d´adopter des mesures spéciales « dans le seul but d´assurer de façon adéquate le progrès de certains groupes raciaux ou ethniques ou d´individus ayant besoin de la protection qui peut leur être nécessaire pour leur garantir la jouissance des droits de l´homme… dans des conditions d´égalité » (art. 1 4). Sur cette base de l´ »action positive », certains pays ont adopté des législations qui accordent une protection spéciale, en particulier, aux peuples autochtones ou aux minorités. Le choix de ce type de politique reste toutefois controversé. Il existe le risque réel que ces mesures cristallisent la différence plutôt que de favoriser la cohésion sociale, qu´en matière d´emploi ou de vie politique, les personnes soient recrutées ou élues en fonction de leur groupe ethnique et non en fonction de leurs compétences, et enfin, que la liberté de choix soit ainsi conditionnée. Il est incontestable que le poids des précédents à caractère historique, social, culturel, exigent parfois de la part des Etats des actions positives. Les peuples autochtones, en particulier, souffrent encore beaucoup à cause des discriminations. Or, l´Eglise catholique, toujours très attentive à la défense de la réalité de l´homme concret, dans un lieu et son histoire, revendique un respect effectif des droits de l´homme. Ces politiques trouvent donc leur légitimité à partir du moment où la prudente réserve de l´article 1 4 de la Convention de 1965 est respectée. Celui-ci prévoit en effet que les mesures de discriminations positives soient temporaires, qu´elles ne doivent pas avoir comme effet le maintien de droits distincts pour des groupes différents, et qu´elles ne doivent pas être maintenues en vigueur une fois que les objectifs fixés ont été atteints.
Formes inédites de racisme
Notons, enfin, que, depuis 1988, deux grandes fractures se sont creusées au niveau mondial, celle, toujours plus dramatique, de la pauvreté et de la discrimination sociale, et celle, plus nouvelle et moins souvent dénoncée, qui concerne l´être humain à naître, soumis à des expérimentations et objet de la technique (à travers les techniques de procréation artificielle, l´utilisation d´ »embryons surnuméraires », le clonage dit thérapeutique, etc.). Le risque d´une forme inédite de racisme est bien réel, car le développement de ces techniques pourrait conduire à la création d´une « sous-catégorie d´êtres humains », destinés essentiellement au bien-être d´un petit nombre. Une nouvelle et terrible forme d´esclavage. Or, de puissants intérêts commerciaux voudraient exploiter cette tentation eugénique latente. Ainsi, les gouvernements et la communauté scientifique internationale ont l´obligation de veiller attentivement.
Conclusion
En septembre 1995, le Pape Jean-Paul II, en visitan
t l´Afrique du Sud, a affirmé: « La solidarité est avant tout, la réponse nécessaire pour surmonter l´échec moral total constitué par les préjugés raciaux et par les rivalités ethniques ». Une solidarité à développer entre les Etats, mais également au sein de toutes les sociétés où, incontestablement, la déshumanisation et la désintégration du tissu social conduisent à l´exacerbation des opinions et des comportements racistes et xénophobes, au rejet du plus faible, qu´il soit étranger, invalide ou sans-abri. Une solidarité qui trouve son fondement dans l´unité de la famille humaine, car tous les hommes, crées à l´image et à la ressemblance de Dieu, ont la même origine et sont appelés au même destin. C´est sur cette base que la contribution des religions demeure irremplaçable, une contribution qui doit être celle de chaque croyant qui, adhérant librement à sa foi, la vit quotidiennement. Tout cela, dans la conscience que la liberté de conscience et de religion reste le présupposé, le principe et le fondement de toute autre liberté, humaine et civile, individuelle et communautaire.
François-Xavier Card. NGUYEN VAN THUAN
Président du Conseil pontifical « Justice et Paix »
© L´Osservatore Romano