La globalisation : menace ou opportunité

Entretien avec Jesús Villagrasa, professeur de philosophie

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ROME, mardi 1er mai 2001 (ZENIT.org) – On se souviendra du Sommet des Amériques, qui s´est terminé il y a une semaine à Québec, entre autres à cause des protestations dans lesquelles les sociologues voient le premier grand mouvement de contestation du XXIe siècle. Un ensemble de sensibilités et d´idéologies réunies grâce à un ennemi commun : la globalisation.

La globalisation est un phénomène qui interpelle directement les chrétiens et auquel le pape Jean-Paul II offre sa propre contribution. Le Saint Père y a consacré un discours le 9 avril dernier (cf. Zenit 10 avril 2001).

Pour mieux comprendre les implications de ce phénomène, Zenit a interrogé le père Jesús Villagrasa, enseignant de philosophie à l´Athénée Pontifical Regina Apostolorum, à Rome, qui vient de publier un livre sur le thème de la globalisation [«¿Un mundo mejor? Pautas para vivir en la aldea global» (Logos Press, Roma, 2000)]. Un ouvrage qui résume la réflexion de Jean-Paul II sur la globalisation, à la lumière de la doctrine sociale de l´Eglise.

Zenit : La globalisation est-elle un danger, une menace ou une opportunité ?

Jesús Villagrasa : C´est un fait, une donnée. Un phénomène apparemment irrésistible et irréversible, qui va prendre de plus en plus d´importance. Il ne s´agit pas de quelque chose de fatal car la globalisation est le fruit de choix libres: comme toutes les choses humaines, la globalisation signifie des promesses et des opportunités, mais aussi de sérieux dangers. Le pape l´a qualifiée il y a quelques mois de « grand signe de notre temps ». L´Eglise est en train de lire ce signe attentivement, et avec sa Doctrine Sociale, elle offre des principes de réflexion, des critères de jugements et des lignes d´action. La globalisation est avant tout un défi moral, car des éléments importants pour le destin de l´homme sont en jeu. Il est important de profiter des opportunités et d´éviter les inconvénients.

Zenit : Le pape parle d´aspects positifs et négatifs de la globalisation. Quels sont-ils selon vous ?

Jesús Villagrasa: La globalisation est un phénomène si complexe qu´il faut au moins distinguer trois dimensions: la dimension technique et économique, la dimension socio-politique et la dimension culturelle. Un peu dans le désordre, voici quelques éléments qui peuvent sembler positifs: l´augmentation de la production et de l´efficacité, l´intensification des relations entre les pays et les cultures, le renforcement du processus d´unité entre les peuples, les nouvelles possibilités permettant de déployer la solidarité avec les membres moins favorisés de la famille humaine. Les risques en revanche, sont: la domination de l´économie sur toutes les autres valeurs humaines ce qui produit des cultures sans âme; la logique mercantiliste qui agrandit l´abîme entre les riches et les pauvres; les grandes puissances qui tendent à créer des monopoles, annulent les souverainetés nationales, uniformisent les modèles culturels, etc.

Zenit: Ceux qui s´opposent à la globalisation la voient comme une fatalité contrôlée par quelques groupes de pouvoir. N´y a-t-il pas un moyen de rompre ce système « pervers »?

Jesús Villagrasa: La globalisation n´est pas « intrinsèquement perverse ». Il n´est pas juste de lui attribuer tous les maux actuels. Il ne s´agit pas non plus d´un processus fatal. Les processus historiques et culturels dépendent, dans une certaine mesure, de la liberté des hommes. Et il y a aussi la providence de Dieu. Je doute fort que la globalisation soit un processus « contrôlé ». Il y a sans aucun doute de grands groupes de pouvoir dont l´action est cachée mais forte et tyrannique. La globalisation ne doit pas nécessairement conduire à de nouvelles oligarchies. Cela pourrait sembler simpliste mais je crois que c´est l´évangélisation qui peut casser les « systèmes pervers »: l´engagement évangélique des chrétiens dans l´économie, la politique, l´élaboration des lois, l´éducation, les moyens de communication, etc. Il n´y a pas de recettes mais les principes de la Doctrine Sociale de l´Eglise prennent une importance extraordinaire dans le nouveau contexte de la globalisation.

Zenit: Peut-on proposer cette lecture théologique de la réalité?

Jesús Villagrasa: Je n´en vois pas de meilleure. En soi, le phénomène de la globalisation a beaucoup d´avenir car il est en accord avec la nature humaine: les hommes aspirent à la communion et à la communication avec les autres. De part leur origine et leur destin, les hommes sont appelés à former une seule famille, comme « fils d´Eve » et comme « fils du Père qui est aux cieux ». Mais Dieu met entre les mains de l´homme son destin et son avenir. C´est nous qui, avec son aide, sommes les constructeurs de cette « famille humaine » et de la « communauté de nations ». Une chose bien difficile car le péché et ses séquelles sont là. Dans la construction de la Tour de Babel les hommes aspiraient à l´unité « globale » et ça s´est mal passé. On pourrait actuellement comparer le phénomène de la globalisation à l´histoire de la Tour de Babel: les hommes font abstraction de Dieu et les divisions entre eux s´agrandissent. Mais Dieu peut faire ce que les hommes ne peuvent pas faire sans lui: réunir l´humanité dans une famille. L´Eglise, sacrement d´unité du genre humain, est née le jour de la Pentecôte. C´est une famille qui parle toutes les langues. Les architectes du nouvel ordre global, même les non croyants, feraient bien d´écouter son magistère. Nous avons besoin d´une globalisation qui soit une nouvelle Pentecôte et non une nouvelle Tour de Babel.

Zenit: Le pape dénonce le danger de « l´uniformisation ». Un danger que vous définissez comme un « impérialisme culturel ». Comment peut-on éviter cette menace?

Jesús Villagrasa: Dans son exhortation « l´Eglise en Amérique », le Saint Père mettait en garde contre l´imposition de nouvelles échelles de valeurs, souvent arbitraires et matérialistes, face auxquelles il est très difficile de continuer à adhérer aux valeurs de l´Evangile, et qui détruisent les valeurs des cultures locales, en faveur d´une homogénéisation mal comprise. On n´évite pas ce genre de situation en isolant les cultures ou en développant le « folklore ». Les cultures ont besoin d´une « vie interne » et non de douanes ou de remparts. L´Eglise, avec l´annonce de l´Evangile et son universalité catholique, vivifie de l´intérieur les cultures et favorise une globalisation culturelle qui respecte les différences. Le défi pour l´Eglise est à la foi ancien et nouveau: l´inculturation, la transformation des valeurs culturelles authentiques à travers leur intégration dans le christianisme et l´enracinement du christianisme dans les différentes cultures. La globalisation met les religions et les cultures, qui sont des réalités vivantes, en contact les unes avec les autres. En dehors de certains régimes répressifs on les trouve « ensemble et révoltées », chacune avec sa prétention de validité. Les mots magiques de « tolérance et dialogue » ne résolvent rien; les problèmes restent entiers. La tolérance a ses limites: déterminer ce qui est intolérable. La tolérance comme « idéologie », pas comme vertu, est dangereuse car elle est relativiste et c´est une semence de totalitarisme. Le dialogue entre les cultures doit aussi, pour être authentique, répondre à des critères particuliers et se fondé sur la « grammaire » de l´esprit qui est la loi morale universelle écrite dans le cœur de l´homme. Ici encore, le magistère de l´Eglise nous fournit des orientations inestimables.

Zenit: Ne croyez-vous pas qu´au fond les contestataires de Seattle avaient raison?

Jesús Villagrasa: Il y a de tout parmi eux. On a senti une certaine unité au Forum Social Mondial qui a eu lieu à Porto Alegre à la fin du mois de janvier dernier. La déclaration faite par les mou
vements sociaux conserve le ton idéologique de l´ancienne gauche. Mais le Forum Social des Parlementaires critique durement certains aspects du système de marché actuel et soutient des campagnes très louables comme celles qui visent à abolir la dette des pays pauvres, à favoriser leurs exportations, et à dénoncer l´attitude des multinationales des pays riches qui se moquent de l´impact de leurs décisions sur les pays pauvres: dans un contexte de globalisation, les multinationales doivent prendre la responsabilité des conséquences globales de leurs décisions. Ce serait une erreur regrettable d´identifier ces revendications et ces exigences avec les prétentions utopiques d´activistes violents ou « ignorants ». De toute façon je crois que personne n´a exprimé des exigences aussi radicales que Jean-Paul II. Il ne critique pas à outrance la globalisation. Son magistère est lumineux parce qu´il est évangélique, réaliste et exigent, orienté vers des propositions constructives, raisonnables et concrètes; ce n´est pas un critique « global » car il sait voir une quantité d´opportunité latentes dans ce phénomène complexe et ambigu.

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ZENIT Staff

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