CITÉ DU VATICAN, mercredi 28 février (ZENIT.org) – Juan Luis Cipriani Thorne, archevêque de Lima, au Pérou, a été créé cardinal par Jean-Paul II le 21 février dernier. C´est le premier cardinal de l´Opus Dei. Le cardinal Cipriani a accepté de répondre aux questions de Zenit et de partager avec nous quelques uns des moments les plus importants de sa vie : ses études, son engagement dans l´équipe nationale de basket ball, son appel au sacerdoce, son attitude face à la présidence de Alberto Fujimori qui s´est achevée par une crise de corruption sans précédent au Pérou.
Zenit : Comment est née votre vocation ?
Card. Cipriani : Je crois que tout commence dans la famille. Je suis issu d´une famille de onze enfants. Mon père était médecin, ma mère femme au foyer. Je me souviens d´une quantité de détails de notre vie quotidienne. Le soir par exemple, au moment d´aller dormir, ma mère passait dans la chambre de chacun pour nous aider à remercier Jésus et à offrir notre journée. Mon père était chirurgien spécialisé en ophtalmologie. Son métier lui avait appris à se soucier des autres et il avait un grand désir de leur venir en aide.
J´ai fait mes études au collège des Soeurs du Coeur Immaculé de Marie, des soeurs américaines. Je me souviens encore que lorsque nous arrivions à l´école en avance, il y avait une soeur qui était assise sur un banc et qui nous appelait pour parler avec nous de choses et d´autres. Il y a cinquante ans de cela. J´ai oublié beaucoup de choses mais je me souviens parfaitement de cette religieuse. Pourquoi ? Je ne sais pas. À cause de sa bonté, du don d´elle-même aux autres ? Elle a laissé une empreinte.
Je suis ensuite entré au Collège Sainte Marie où j´ai eu deux grands amis. Le premier était entraîneur de basket, le père Heil, qui a 82 ans aujourd´hui, et le deuxième, entraîneur de football, le frère Mark, qui vit encore lui aussi. J´ai toujours aimé le sport, et eux aussi ont laissé une empreinte.
Zenit : C´est à cette époque qu´est née votre grande passion pour le basket ?
Cardinal Cipriani : Ces deux entraîneurs m´ont donné un sérieux esprit sportif. Ils m´ont appris à lutter, à être optimiste, à m´entraîner. Puis je suis entré à l´Université Nationale d´Ingénierie et j´ai commencé à me consacrer au basket.
[Le cardinal Cipriani joua dans l´équipe nationale péruvienne de basket qui gagna le championnat de Barranquilla (Colombie) en 1961. Il fut membre de cette équipe pendant sept ans, jusqu´à la fin des années 70 et gagna d´importants trophées en Amérique du Sud].
Zenit : Avez-vous découvert votre vocation sur un terrain de basket ?
Cardinal Cipriani : Tout cela forme peu à peu l´âme. Je ne sais pas. Dieu seul le sait. Lorsque j´ai eu 18 ans, un prêtre de l´Opus Dei me demanda un jour si j´avais pensé à la possibilité de suivre le Christ. Je lui ai dit que oui mais je dois avouer que je n´y avais pas trop pensé. Chez moi, on respirait une atmosphère catholique. Quand il m´a posé cette question, je me suis rendu compte pour la première fois de ce que cela signifiait. Je reconnais que j´ai reçu la grâce de ne pas avoir peur chaque fois que le Seigneur m´a demandé de faire un pas supplémentaire.
Lorsque Dieu a voulu, il est passé, et il a frappé à la porte. Je me demande toujours pourquoi je suis entré à l´Opus Dei. Je ne sais pas. L´appel était clair mais qu´est-ce qui m´a fait y penser? Je ne me suis pas mis à calculer. Comment suis-je devenu prêtre? Je ne le sais pas non plus. Et évêque? Et maintenant, cardinal? Je pourrais trouver des réponses mais en réalité, il n´y en a pas. Ce n´est pas un ensemble de calculs : qu´est-ce que je gagne? Qu´est-ce que je perds? Ce sera comment?… Je n´ai jamais calculé.
Zenit : Qu´est-ce que vous devez maintenant au sport?
Cardinal Cipriani : Je crois tout d´abord que le sport m´a donné une grande facilité pour entrer en contact avec les personnes. Je n´ai aucune difficulté à communiquer avec des personnes de n´importe quel âge, de n´importe quelle condition sociale, des personnes se trouvant dans n´importe quelle situation. Le sport fait tomber les barrières. Et cela m´a beaucoup aidé dans mon sacerdoce.
Deuxièmement, dans le sport, on travail en équipe. Ce n´est pas un qui gagne, c´est toute l´équipe. Et moi j´ai surtout fait du basket. Il faut aussi s´organiser. Chacun doit donner le meilleur de lui-même. Le leader, ce n´est pas celui qui présente un projet. C´est celui qui crée des conditions permettant à chacun de donner le meilleur de lui-même. Ce n´est pas celui qui porte le drapeau. Cela aussi est très important dans le sacerdoce et dans l´épiscopat.
Troisièmement, comme dans le sport, il est important de savoir se battre. La vie, pour un homme qui veut être honnête, aujourd´hui dans l´Église, est un authentique combat. On ne peut pas dire que l´Église est aujourd´hui synonyme de succès. Bien au contraire. Le pape le dit clairement : il n´est pas licite de rechercher la popularité, alors que la doctrine de l´Église est impopulaire. Cette lutte, qui appartient au sport, appartient aussi aujourd´hui à la vie de tous les jours. Le Seigneur veut que dans ce monde, l´Église et ses pasteurs ne perdent jamais la lumière de l´espérance.
Zenit : Parlons maintenant, si vous le voulez bien, du Pérou, qui vient de vivre l´une des crises institutionnelles les plus graves de son histoire. Le monde a vu, à travers des images retransmises par la télévision, comment l´homme de confiance du président Alberto Fujimori, le chef du Service de l´Intelligence Nationale (SIN), Vladimiro Montesinos, corrompait un membre du congrès, avec de l´argent liquide. D´autres vidéos ont révélé que ce cas n´était que la pointe de l´iceberg. Le président Fujimori a quitté le pays. Il s´est rendu au Japon d´où il a présenté sa démission. Pouvez-vous nous parler un peu de toute cette affaire?
Cardinal Cipriani : Je n´aime pas beaucoup parler de moi mais il y a trois ans, le quotidien « El comercio » m´a posé une question concernant Vladimir Montesinos. J´ai répondu que j´étais « fier » de ne pas le connaître. Fier, car j´ai senti tout de suite que c´était un homme peu clair. Je crois que la cause de tout, et je l´ai signalé le 28 juillet lorsque le président Alberto Fujimori reprenait le pouvoir, c´est « un immense pouvoir tutélaire obscur et asphyxiant ».
Je crois que lorsqu´on perd le respect pour la dignité des personnes et des institutions, comme on l´a vu maintenant, les infractions à la justice deviennent de plus en plus fréquentes. Mais ne culpabilisons pas un Monsieur Montesinos, ou Fujimori, ou tel ou tel juge. Il faut aller au fondement de la vie, de la morale, le respect de la personne, l´amour de la vérité.
Zenit : Certains vous ont accusé d´être du côté du président Fujimori…
Cardinal Cipriani : Maintenant que Fujimori est tombé, on a voulu faire une espèce de caricature, comme si je faisais partie du système. J´ai côtoyé le président car j´étais archevêque de Ayacucho, le berceau du terrorisme du Sentier Lumineux jusqu´en 1999. Lorsque la population a vraiment voulu en finir avec le terrorisme, je me suis trouvé au coeur du problème. Cela m´a amené à rencontré fréquemment le président pour voir comment arriver à la paix.
Mais il suffit de jeter un coup d´oeil aux archives pour se rendre compte que je n´ai jamais signé de chèque en blanc. J´essayais de faire ce que fait l´Église dans les autres pays : j´essayais de garder des relations cordiales. Mais j´ai été parmi ceux qui ont le plus durement critiqué le président dans certains domaines, comme par exemple sa campagne contre la famille qui prévoyait des plans massifs de stérilisation et de contrôle démographique. Je fus aussi l´un de ceux qui
critiqua le plus durement sa décision de travailler avec M. Montesinos. Lorsque l´on fait une telle caricature, c´est que l´on veut ternir l´image de Mgr Cipriani.
Zenit : Un nombre important de cardinaux d´Amérique Latine ont été créés au cours de ce consistoire. Croyez-vous que quelque chose soit en train de changer dans l´Église? L´Amérique Latine aura-t-elle un nouveau rôle à jouer?
Cardinal Cipriani : Je crois qu´il faudrait plutôt se demander : qu´est-ce que Dieu attend de cette époque? Je ne sais pas si les missionnaires européens du XVI siècle étaient conscients de ce qu´ils faisaient lorsqu´ils ont fait la première évangélisation de l´Amérique, qui fut une merveille, avec des fruits abondants à tous les niveaux. De même, je ne sais pas jusqu´à quel point l´Amérique est consciente des changements qui sont en train de s´opérer, qui font d´elle le continent de l´espérance. Je crois que la force de l´Amérique ne doit pas venir d´un niveau culturel ou politique ou économique. Je crois que l´Amérique a une foi plus immédiate, plus authentique, qui a peut-être besoin de formation doctrinale mais qui est plus spontanée, plus gratuite.
Je crois que le consistoire ne fait que représenter un peu mieux la réalité numérique et historique. Et donc, avec un grand respect pour l´Europe – où il semble que l´Église ait été comme attaquée par cette sécularisation – je crois qu´en Amérique Latine, où il y a moins de moyens économiques et moins de culture, la sécularisation a eu moins d´armes pour attaquer la religiosité populaire. Mais je crois qu´il ne faut pas accorder trop d´importance à cela. Le consistoire ne fait que refléter une réalité.
Je peux parler de la situation chez moi à Lima. L´an dernier, 26 jeunes sont entrés au séminaire majeur. La moyenne d´âge est de 22 ou 23 ans. Cette année, 32 ou 33 devraient entrer. À ce rythme, nous allons devoir envoyer des prêtres en Europe.
Zenit : Comme premier cardinal de l´Opus Dei et primat du Pérou, comment voyez-vous l´avenir du christianisme dans les prochaines années?
Cardinal Cipriani : Tout d´abord, je crois que pour un pasteur dans l´Église, l´âme ce sont les vocations. Je crois que le Seigneur nous demande d´avancer au large et de lancer les filets, comme l´a dit le pape dans la « Novo Millennio Ineunte ». C´est, il me semble, un appel fort qui n´a pas besoin d´analyse. Ce qui manque, c´est plutôt la prière et la confiance en Dieu pour chercher des vocations au sacerdoce parmi les jeunes.
Je suis certes le premier cardinal de l´Opus Dei mais je ne crois pas avoir été appelé parce que je suis de l´Opus Dei, mais plutôt parce que je suis archevêque de Lima et primat du Pérou, un siège cardinalice depuis cinquante ans. Mais je voudrais rappeler l´appel universel à la sainteté du Concile Vatican II.
La grande majorité des catholiques, 99%, sont des gens de la rue. Je crois que le XXI siècle pourrait être un peu cette révolution des laïcs, mais pas une révolution « contre » quelque chose. L´Église sera toujours sacramentelle et hiérarchique. Et les sacrements seront toujours des sacrements tels que l´Église l´a enseigné. Mais je crois qu´aujourd´hui l´Église dépend des journalistes, des hommes politiques, des artistes, des gens de la rue, simples, pauvres, riches, noirs, blancs, jaunes, etc. Dans un monde en proie à des changements aussi radicaux, il me semble absolument impensable de ne pas être conscient de la nécessité d´être saints au coeur du monde. Mgr Josemaría Escrivá est un pionnier de cette spiritualité. On ne peut sûrement pas prétendre que cette vocation soit exclusive. L´important est que nous sentions tous que nous sommes venus dans le monde avec une mission : aimer Dieu par dessus toutes choses, rechercher le bonheur éternel, mais à travers le travail, le sport, la famille, la culture, les amis, les jeunes, les personnes âgées. Ceci peut être, et c´est déjà le cas, une authentique révolution.