Maître de Messkirch (1540), La moquerie du Christ (image du sécularisme ?)

Maître de Messkirch (1540), La moquerie du Christ (image du sécularisme ?)

Gaudium et spes, l’Église en dialogue avec le monde

Quel message Vatican II a-t-il à livrer au monde de ce temps ? (5e partie)

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Martelée par les suites des révolutions des deux siècles passés, l’Église adresse un enseignement de plus en plus détaché des intérêts temporels. Le combat qu’elle mène pour le peuple chrétien est d’ordre spirituel. Elle doit résister tant aux hostilités extérieures qu’aux tentatives d’infiltration séculariste en son intérieur. Ainsi centrée sur l’essentiel, l’Église prend fermement position vis-à-vis de l’athéisme. 

Un écho de Mater et Magistra 

Pour étayer le nº21 de Gaudium et spes, les Pères se réfèrent aussi à Jean XXIII et à son encyclique Mater et Magistra (1961). En voici un extrait : 

« Le vrai Dieu, fondement de l’ordre moral. La confiance réciproque entre les peuples et les États ne peut naître et se renforcer que dans la reconnaissance et le respect de l’ordre moral. Mais l’ordre moral ne peut s’édifier que sur Dieu ; séparé de Dieu, il se désintègre. Car l’homme n’est pas seulement un organisme matériel ; il est aussi un esprit doué de pensée et de liberté. Il exige donc un ordre moral et religieux qui, plus que toute autre valeur matérielle, influe sur les orientations et les solutions à donner aux problèmes de la vie individuelle et sociale, à l’intérieur des communautés nationales et dans leurs rapports mutuels. On a affirmé que, à l’époque des triomphes de la science et de la technique, les hommes pouvaient construire leur civilisation sans avoir besoin de Dieu. La vérité est au contraire que les progrès eux-mêmes de la science et de la technique posent des problèmes humains de dimensions mondiales qui ne peuvent trouver leur solution qu’à la lumière d’une foi sincère et vive en Dieu, principe et fin de l’homme et du monde ». 

Et pour terminer son évocation des propos des papes qui se sont exprimés sur les effets de l’athéisme sur la société, le Concile se réfère à Ecclesiam suam, première encyclique de Paul VI du 6 août 1964. Elle fut publiée un an après son élection au Souverain Pontificat, Dès le début, Paul VI définit le but de son message : « montrer de mieux en mieux à tout le monde combien, d’une part, il importe au salut de la société humaine et combien, d’autre part, il tient à cœur à l’Église, qu’il y ait, entre l’une et l’autre, rencontre, connaissance et amour réciproques. » Et de corroborer au nº50 

« Nous avons besoin de cette conviction bien arrêtée pour parer à un autre danger capable de surgir du désir même de réforme, non pas précisément chez les pasteurs, tenus en éveil par le sens des responsabilités, mais dans l’opinion de bon nombre de fidèles. Au jugement de ces derniers, la réforme de l’Église devrait consister surtout à régler ses sentiments et sa conduite sur ceux du monde. Si puissante est aujourd’hui la séduction de la vie profane ! À bien des gens, le conformisme apparaît comme inévitable et même sage. Aisément, quiconque n’est pas solidement enraciné dans la foi et dans l’observation de la loi de l’Église, croit le moment venu de s’adapter à la conception profane de l’existence comme à la meilleure et à celle qu’un chrétien peut et doit faire sienne. Ce phénomène d’assimilation se manifeste dans le monde de la philosophie : que ne peut la mode, même en ce domaine de la pensée, qui devrait être autonome et libre, réservant un accueil avide et docile à la seule vérité et à l’autorité de maîtres éprouvés ! » 

Et le nº51 développe : 

« Le naturalisme menace de faire évanouir l’idée première du christianisme ; le relativisme, qui trouve à tout une justification et met tout sur le même pied, sape la valeur absolue des principes chrétiens ; l’habitude d’éliminer de la vie courante toute espèce d’effort et de désagrément porte à condamner comme choses inutiles autant qu’ennuyeuses la discipline et l’ascèse chrétiennes. Parfois même le souci apostolique de rejoindre des milieux profanes ou de se faire accepter par la mentalité moderne, spécialement celle de la jeunesse, se traduit par l’abandon des exigences propres à l’idéal chrétien et du style de vie qui précisément devrait donner son sens et son efficacité à cette recherche empressée de contact et d’influence éducatrice ». 

Les mirages de « l’aggiornamento »

C’est ainsi que Paul VI interprète « l’aggiornamento » voulu par son prédécesseur : « Redisons encore cet avis pour notre profit à tous : l’Église trouvera une jeunesse renouvelée, bien moins par un changement dans l’appareil extérieur de ses lois que grâce à une attitude prise à l’intime des âmes, attitude d’obéissance au Christ et du même coup de respect des lois que l’Église s’impose à elle-même afin de suivre les traces du Christ. » (nº53) 

Enfin le pape a clairement défini ce qu’il entendait par dialogue avec le monde : Il recommande la clarté, la douceur, le climat de confiance, la prudence pédagogique. C’est pourquoi le Concile se refusera à prononcer des anathèmes, qui à cette époque n’auraient servi à rien. Toutefois, le Saint-Père n’oublie pas l’intérêt de la vérité : 

« Mais le danger demeure. L’art de l’apôtre est plein de risques. La préoccupation d’approcher nos frères ne doit pas se traduire par une atténuation de la vérité. Notre dialogue ne peut être une faiblesse vis-à-vis des engagements de notre foi. L’apostolat ne peut transiger et se transformer en compromis ambigu au sujet des principes de pensée et d’action qui doivent distinguer notre profession chrétienne. L’irénisme et le syncrétisme sont, au fond, des formes de scepticisme envers la force et le contenu de la Parole de Dieu que nous voulons prêcher. … Et seul celui qui vit en plénitude la vocation chrétienne peut être immunisé contre la contagion des erreurs avec lesquelles il entre en contact ». 

Après avoir fait l’éloge de la prédication, Paul VI, comme ses prédécesseurs, se montre très dur avec l’athéisme et la civilisation que celui-ci engendre : 

« 103. Nous savons … il se trouve beaucoup d’hommes, beaucoup trop, malheureusement, qui ne professent aucune religion, et même nous le savons, sous des formes très diverses, un grand nombre se déclare athées. Et nous le savons encore : quelques-uns font profession ouverte d’impiété et s’en font les protagonistes comme d’un programme d’éducation humaine et de conduite politique, dans la persuasion ingénue, mais fatale, de libérer l’homme d’idées fausses et dépassées touchant la vie et le monde, pour y substituer, disent-ils, une conception scientifique, conforme aux exigences du progrès moderne. 

104. Ce phénomène est le plus grave de notre époque. Notre ferme conviction est que la théorie sur laquelle s’établit la négation de Dieu comporte une erreur fondamentale, qu’elle ne répond pas aux requêtes dernières et irréfutables de l’esprit, qu’elle prive l’ordre rationnel du monde de ses bases authentiques et fécondes, qu’elle introduit dans la vie humaine, non pas une formule de solution, mais un dogme aveugle qui la dégrade et la rend triste et qu’elle ruine à la racine tout système social qui prétend reposer sur elle … Nous résisterons avec cet espoir invincible : l’homme moderne saura encore découvrir dans la conception religieuse à lui offerte par le catholicisme, sa propre vocation à une civilisation qui ne meurt pas, mais qui avance sans cesse vers la perfection naturelle et surnaturelle de l’esprit humain, que la grâce de Dieu rend capable de la possession honnête et pacifique des biens temporels, tout en l’ouvrant à l’espérance des biens éternels. » 

Face à l’exclusion de la religion de la sphère publique

Les Pères du concile Vatican Il, tout comme les textes du Magistère qui ont précédé et encadré leurs réflexions, n’ont pas accepté l’exclusion de la religion de la sphère publique et tout particulièrement la situation absurde créée par la loi de 1905. Toujours au nº21, la Constitution déclarera même : « Lorsque manquent le support divin et l’espérance de la vie éternelle, la dignité de l’homme subit une très grave blessure, comme on le voit souvent aujourd’hui, et l’énigme de la vie et de la mort, de la faute et de la souffrance reste sans solution : ainsi, trop souvent, les hommes s’abîment dans le désespoir ». 

C’est la raison pour laquelle le Concile déclare la guerre à l’athéisme et à la société qu’il engendre. Il se situe dans la suite du Magistère qui a qui a répondu à la Révolution française, mais avec une méthode différente. Souvent, les textes que j’ai cités remontent explicitement à Léon XIII, très opposé à la séparation de l’Église et de l’État. Et de fait, il avait su agir efficacement pour éviter cette séparation, car il avait bien compris que, même parmi les politiques français les plus anticléricaux, on ne souhaitait pas en arriver jusque-là. 

Trahison ou ralliement ?

J’insiste sur cette question qui a rencontré et rencontre toujours des oppositions, parce qu’elle fait partie d’un schéma simpliste : « la trahison ». L’encyclique Au milieu des sollicitudes (1892) de Léon XIII, qualifiée à tort du nom de « ralliement », serait le prélude de successives trahisons de l’Église qui culmineraient dans Vatican Il. Ce que nous avons vu de Vatican Il montre qu’il n’y a aucune trahison. Le pape n’approuve ni ne réprouve les institutions républicaines. Depuis 1889, le Saint-Siège a pris acte du fait qu’elles existent et que la grande majorité des Français les approuvent. Il ne fait que conseiller aux catholiques de s’y trouver présents. Enfin la République de 1892 était dirigée par des politiques compétentes, s’appuyant sur une vie parlementaire de haut niveau. 

Et il faudra attendre le scandale de l’affaire Dreyfus en 1898 et l’embrigadement sot, dans le camp antidreyfusard et antisémite, d’une grande partie du catholicisme pour la reprise d’un anticléricalisme virulent ! L’Église catholique, au travers de ses principaux dirigeants, ne firent pas que mettre en doute l’innocence de Dreyfus, ils s’attaquèrent aussi au régime républicain qui permettait cela. C’est ce qui permit aux élections de 1902 d’obtenir une majorité de gauche, républicaine et très anticléricale, mais heureusement avec des nuances. On le vit très nettement après 1918. L’Église de cette époque ne se considéra pas comme mise sous le boisseau. Elle pensa toujours qu’elle devait s’adresser à tous les hommes comme en témoigne la fin de notre nº21. Ce numéro apparaît de fait polémique vis-à-vis des Lumières, et de Rousseau en particulier : En effet, « … l’Église sait parfaitement que son message est en accord avec le fond secret du cœur humain quand elle défend la dignité de la vocation de l’homme, et rend ainsi l’espoir à ceux qui n’osent plus croire à la grandeur de leur destin. Ce message, loin de diminuer l’homme, sert à son progrès en répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut combler le cœur humain ». 

En quelques mots sont réfutées toutes les calomnies adressées à l’Église quand on l’accuse d’obscurantisme vis à vis de l’humanité et hostile à tout progrès.

Le Christ, homme nouveau

Mieux encore, au nº22, le Concile ne va pas hésiter à montrer la supériorité du catholicisme, en ayant recours à l’un de ses principaux mystères, l’Incarnation : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation ». 

Cette affirmation capitale, exposant la base même du véritable humanisme chrétien, va ensuite faire référence aux anciens textes du Magistère sur la christologie, tous reçus et crus par les catholiques, orthodoxes et protestants confessionnels. Si donc à partir de 1968 et dans les années qui ont suivi, certains catholiques ont bradé le mystère de l’Incarnation aux humanismes mondains, ils l’ont fait par lâcheté, absence de culture chrétienne ou incompréhension hérétique. S’ils l’ont fait au nom du Concile, ils en ont usurpé, et de l’identité et de la référence. 

Aux sources des premiers conciles

Il est particulièrement remarquable de voir l’essentiel de la question christologique résumée aux paragraphes 2 et 3, par des renvois à des décisions des deux Conciles de Constantinople Il (an 553) et de Constantinople III (an 680-681). Les deux réunis pour accentuer la condamnation de Nestorius et d’Origène, l’un, et l’autre pour condamner le monoergisme et le monothélisme. 

Pour Constantinople Il, le canon 7 affirme : « Si quelqu’un, disant « en deux natures », ne confesse pas que dans la divinité et l’humanité est reconnu notre seul Seigneur Jésus Christ, pour signifier par-là la différence des natures à partir desquelles s’est réalisée sans confusion l’union ineffable, sans que le Verbe ait été transformé dans la nature de la chair ni que la chair ne soit passée dans la nature du Verbe ( car chacun demeure ce qu’il est par nature, même après la réalisation de l’union selon l’hypostase), mais s’il prend une telle expression, au sujet du mystère du Christ, dans le sens d’une division en parties…qu’un tel homme soit anathème. » (Denz. 428)  

Sur la question importante des deux volontés, voici le texte de Constantinople III auquel se réfère notre passage de Vatican Il « Car de même que sa chair est dite et qu’elle est la chair du Dieu Verbe, de même le vouloir naturel de la chair est dit et il est le propre vouloir du Dieu Verbe, comme lui-même déclare : « Je suis descendu du ciel, non pour faire mon vouloir, mais le vouloir du Père qui m’a envoyé (Jean 6, 38). » Il déclare sien le vouloir de la chair, puisque la chair est devenue sienne … son vouloir humain en étant divinisé n’a pas été supprimé. Il a été sauvegardé, selon le mot de Grégoire le théologien « car l’acte de volonté de celui que l’on considère en tant que Sauveur n’est pas opposé à Dieu, étant totalement divinisé » » (Denz. 556).

Il faut saluer, sur le mystère de l’Incarnation, l’effort de clarté que fait Vatican Il pour se placer dans la tradition de l’Église latine en matière de christologie. Il se fonde sur l’équilibre entre les écoles d’Antioche et d’Alexandrie, les conciles d’Ephèse et de Chalcédoine. Le rôle des conciles de Constantinople ne doit pas tromper. Les empereurs d’Orient qui les ont convoqués cherchaient plus à maquiller certaines déviations frôlant l’hérésie, comme le monophysisme qui demeura toujours une tentation pour eux, que d’exprimer la doctrine orthodoxe. Le pape Vigile fut même enlevé pour y assister de force, il put s’enfuir, mais mourut sur le chemin du retour en 555. 

La christologie, une question centrale

Et en 680, le Ile concile de Constantinople condamnait même pour hérésie l’ancien pape Honorius, sur une simple lettre adressée au patriarche de Constantinople Sergius qui n’engageait pas le magistère. Cette question christologique est centrale pour la question des sacrements. La place que le Concile veut se donner dans la tradition occidentale indique clairement dans quel cadre doit se situer le dialogue œcuménique en matière sacramentelle. Le groupe des Dombes fut à ma connaissance le seul qui, à l’époque, en tint compte dans ses travaux.

L’expression figurant au paragraphe 3 refuse tout le libéralisme chrétien sur la Rédemption : « En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l’exemple afin que nous marchions sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle… » Il n’admet que la théologie traditionnelle.

Enfin, pour ce nº22 on retiendra l’importance donnée à la grâce pour l’obtention du salut. Tout semi-pélagianisme est écarté. Et si le Concile admet le salut pour ceux qui ne croient pas au Christ (§5), les nommant « hommes de bonne volonté », c’est uniquement dans le cas où la grâce agit en eux d’une manière invisible. On aurait pu citer Matthieu 25, mais le texte se contente de renvoyer au numéro 16 de la constitution dogmatique Lumen gentium qui parle des non-chrétiens.

 

Gaudium et spes, l’Église en dialogue avec le monde

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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