« J’en suis sorti heureux. Et lui aussi », dit le pape François de son entretien de deux heures avec le patriarche orthodoxe russe Cyrille, le samedi 12 février à l’aéroport de la Havane.
Il évoque son amitié avec Sviatoslav Shevchuk, archevêque-majeur de Kiev, primat de l’Église gréco-catholique d’Ukraine. Et il indique avoir lu toute son interview: il conseille de ne pas isoler ses propos de l’ensemble de ses déclarations.
Le pape a répondu à des questions de l’Agence France Presse lors du vol Ciudad Juarez-Rome, le 18 février.
Voici notre traduction de l’échange du pape et de la presse sur ce sujet.
Jean-Louis de la Vaissière (AFP)- A propos de la rencontre avec le patriarche russe Cyrille et la signature d’une Déclaration commune. En Ukraine, les gréco-catholiques se sentent trahis et parle d’un « document politique », de soutien à la politique russe. Pensez-vous pouvoir aller à Moscou ? Avez-vous été invité par le patriarche ? Ou aller peut-être en Crète saluer le Concile pan-orthodoxe, au printemps ?
Pape François – Je commence par la fin. Je serai présent, spirituellement et par un message. J’aimerais aller les saluer au Concile panorthodoxe : ce sont des frères ; mais je dois respecter. Mais je sais qu’ils veulent inviter des observateurs catholiques et cela, c’est un beau pont. Et je serai derrière les observateurs catholiques, priant et leur souhaitant le meilleur afin que les orthodoxes aillent de l’avant, de l’avant, parce que ce sont des frères et leurs évêques sont évêques comme nous. Et puis, Cyrille. Mon frère. Nous nous sommes embrassés, serrés dans les bras, et puis un entretien d’une heure…
Père Lombardi – … deux heures !
Pape François – … deux heures ! Deux heures, pendant lesquelles nous avons parlé en frères, sincèrement et personne ne sait de quoi nous avons parlé, seulement ce que nous avons dit à la fin, publiquement, à propos de ce que nous avons ressenti pendant l’entretien. Troisièmement : cet article, ces déclarations en Ukraine. Quand j’ai lu cela, j’ai été un peu préoccupé parce que c’est plutôt Sviatoslav Shevchuk qui aurait dit que le peuple ukrainien, ou certains Ukrainiens, ou beaucoup d’Ukrainiens se sentent profondément déçus et trahis. Avant tout, je connais bien Sviatoslav : à Buenos Aires, pendant quatre ans, nous avons travaillé ensemble.
Quand il a été élu – à 42 ans, c’est quelqu’un ! – il a été élu archevêque majeur, il est retourné à Buenos Aires pour prendre ses affaires. Il est venu me voir et m’a offert une icône – petite comme ça – de la Vierge de la Tendresse et il m’a dit : « Elle m’a accompagné toute ma vie : je veux te la laisser, à toi qui m’a accompagné pendant ces quatre années. » C’est une des rares choses que je me suis fait apporter de Buenos Aires et je la garde sur mon bureau. C’est un homme pour lequel j’ai du respect et même une familiarité, nous nous tutoyons et c’est pourquoi cela m’a paru un peu étrange. Et je me suis souvenu d’une chose que je vous ai dite : pour comprendre une nouvelle, une déclaration, il faut chercher l’herméneutique de l’ensemble. Quand a-t-il dit cela ? Cela a été dit dans une déclaration du 14 février dernier, dimanche, dimanche denier. Une interview qu’il a faite, par le père… je ne me souviens pas, un prêtre ukrainien ; en Ukraine, où elle a eu lieu et a été publiée. Cette nouvelle – l’interview fait un peu plus de deux pages, plus ou moins – cette nouvelle est dans l’avant avant-dernier paragraphe, tout petit.
J’ai lu l’interview et je dirais ceci : Shevchuk – c’est la partie dogmatique – se déclare fils de l’Église, en communion avec l’évêque de Rome, avec l’Église ; il parle du pape, de la proximité du pape, et de lui, de sa foi, et aussi de la foi du peuple orthodoxe. Dans la partie dogmatique, aucune difficulté, elle est orthodoxe dans le bon sens du mot, c’est-à-dire que c’est la doctrine catholique. Ensuite, comme dans toute interview – celle-ci, par exemple – tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense, et cela, il ne l’a pas fait au sujet de la rencontre, parce que, de la rencontre, il dit : « C’est une bonne chose et nous devons avancer ». Dans ce second chapitre, les idées personnelles d’une personne. Par exemple, ce que j’ai dit sur les évêques qui déplacent les prêtres pédophiles, que le mieux qu’ils puissent faire est de donner leur démission, c’est quelque chose… qui n’est pas dogmatique, mais c’est ce que je pense. Et de la même façon, il a ses idées personnelles qui sont pour le dialogue, et il a le droit d’en avoir.
Tout ce qu’il dit concerne le document : c’est cela le problème. Sur le fait de la rencontre, il dit : « C’est le Seigneur, l’Esprit qui va de l’avant, l’étreinte.. » : tout va bien. Le document ? C’est un document discutable. Et il faut ajouter autre chose : que l’Ukraine est dans un moment de guerre, de souffrance, avec toutes les interprétations. J’ai très souvent nommé le peuple ukrainien en demandant des prières et la proximité, que ce soit pendant les angélus ou pendant les audiences du mercredi. Mais le fait historique d’une guerre… chacun a son point de vue : comment est cette guerre ? Qui l’a commencée ? Comment fait-on ? Comment ne fait-on pas… ? Il est évident que c’est un problème historique, mais aussi un problème existentiel de ce pays, et il parle de la souffrance. Et dans ce contexte, j’insère ce paragraphe, et on comprend ce que disent les fidèles…
Parce que Sviatoslav dit : « De nombreux fidèles m’ont appelé ou écrit pour dire qu’ils sont profondément déçus et trahis par Rome ». C’est compréhensible qu’un peuple dans cette situation éprouve cela. Le document est discutable sur cette question de l’Ukraine, mais ce qui y est dit, c’est que l’on arrête la guerre et que l’on trouve des accords ; moi aussi, personnellement, j’ai souhaité que les Accords de Minsk avancent et qu’on n’efface pas du coude ce qui a été écrit avec la main. L’Église de Rome, le pape, a toujours dit : « Cherchez la paix ! ». J’ai reçu les deux présidents. Et c’est pourquoi, quand il dit qu’il a entendu cela de la part de son peuple, je le comprends, je le comprends. Mais ce n’est pas cela, « la » nouvelle. La nouvelle, c’est l’ensemble. Si vous lisez toute l’interview, vous voyez qu’il y a des points dogmatiques sérieux, qui demeurent, il y a un désir d’unité, d’avancer, œcuménique – c’est un homme œcuménique, lui – Et il y a certaines opinions…
Il m’a écrit quand le voyage a été annoncé, la rencontre, mais comme un frère, en donnant ses opinions en frère… Le Document ne me déplaît pas, à moi, comme cela ; il ne me déplaît pas dans la mesure où nous devons respecter ce que chacun a la liberté de penser, et dans cette situation si difficile. Et de Rome… Actuellement, le nonce est à la frontière où ont lieu les combats, pour aider les soldats, les blessés. L’Église de Rome a envoyé beaucoup d’aide, beaucoup d’aide là-bas. Et toujours chercher la paix, les accords ; que l’on respecte l’Accord de Minsk… Cela, c’est l’ensemble. Mais il ne faut pas s’effrayer de cette phrase : c’est une leçon, qu’une nouvelle doit être interprétée avec l’herméneutique de l’ensemble, et non d’une partie.
Jean-Louis de la Vaissière – Le patriarche Cyrille vous a-t-il invité à aller à Moscou ?
Pape François – Le patriarche Cyrille… Je préfèrerais… parce que si je dis une chose, je dois en dire une autre, et une autre, et une autre. Je préfèrerais que ce dont nous avons parlé entre nous, seuls, soit uniquement ce que nous avons dit en public. C’est un donné. Et si je dis cela, je devrai dire autre chose… non ! Ce que j’ai dit en public, ce qu’il a dit, lui, en public, c’est ce que l’on peut dire de l’entretien privé. Sinon, il ne serait pas privé. Mais je peux vous dire : j’en suis sorti heureux. Et lui aussi.
© Traduction de Zenit, Constance Roques
Rencontre du patriarche Cyrille et du pape François à l'aéroport de La Havane, photo du Ministère cubain des Affaires étrangères
Rencontre avec le patriarche Cyrille: «J’en suis sorti heureux et lui aussi»
Le pape François évoque la réaction du primat gréco-catholique d’Ukraine