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Protection des mineurs: contrôler le développement du monde numérique

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Intervention du card. Pietro Parolin (Traduction intégrale)

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« Nous devons nous efforcer de reprendre le contrôle du développement du monde numérique, pour qu’il soit au service de la dignité des mineurs et par conséquent de l’humanité entière de demain. Parce que les mineurs d’aujourd’hui sont toute l’humanité de demain », a souligné le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, intervenant à Rome, le 3 octobre 2017, au Congrès mondiale de l’Université pontificale grégorienne sur « La dignité de l’enfant dans le monde numérique ».
Dans son allocution intitulée « Le Saint-Siège et son engagement à combattre les abus sexuels en ligne », le cardinal a fait observer que le « monde numérique » est « une dimension de notre unique monde réel et les mineurs qui y grandissent sont exposés à de nouveaux risques ».
« Mépriser l’enfance et abuser des enfants » est pour les chrétiens « non seulement un crime mais aussi, comme l’a affirmé le pape François, un sacrilège, c’est-à-dire une profanation de ce qui est sacré, la présence de Dieu en chaque être humain », a-t-il affirmé.
« La force du désir sexuel qui habite au profond de l’esprit et du cœur humain est merveilleuse et grande, elle pousse en avant le cheminement de l’humanité mais elle peut aussi être corrompue et pervertie, au point de devenir source de souffrances et d’abus indicibles : elle doit donc être valorisée et orientée », a estimé le cardinal Parolin.
AK
Voici notre traduction intégrale de l’intervention du « numéro 2 » du Vatican.
Intervention du card. Secrétaire d’État Pietro Parolin
Monsieur le Président du Sénat,
Éminences, Excellences,
Père général, Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Recteur Magnifique, Mesdames et Messieurs les Autorités académiques
Mesdames et Messieurs les Professeurs, chers amis,
Je remercie d’avoir été invité à intervenir à l’occasion de l’ouverture de cet important congrès et de pouvoir ainsi apporter les salutations et exprimer la satisfaction du Saint-Père et du Saint-Siège pour cette initiative, hébergée et organisée – avec d’autres instances distinguées – par une prestigieuse université pontificale. Je salue toutes les personnalités et les institutions qui adhèrent et participent à l’initiative et je m’unis à la gratitude envers celles qui ont contribué concrètement à affronter les engagements organisationnels et économiques que cela comporte.
Ma reconnaissance va avant tout au choix du thème à aborder : la dignité du mineur dans le monde numérique.
La majorité d’entre vous, qui travaillez depuis longtemps dans ce domaine, est bien consciente que les abus sexuels à l’égard de mineurs constituent un phénomène immensément vaste et répandu. Au cours des dernières décennies, une réalité aussi dramatique s’est imposée sur le devant de la scène dans l’Église catholique et des faits très graves ont émergé. On a progressivement pris conscience des dommages subis par les victimes, de leur souffrance et de la nécessité de les écouter pour agir ensuite dans beaucoup de directions différentes, avec une vaste gamme d’interventions qui doivent être mises en œuvre pour guérir les blessures, rétablir la justice, prévenir les délits, former les éducateurs et les personnes qui s’occupent des mineurs, dans la perspective de diffuser et de consolider une nouvelle culture de la protection des mineurs – une véritable sauvegarde – qui garantisse efficacement leur croissance dans des environnements sains et sûrs. C’est un engagement qui requiert une profonde attention humaine, compétence et constance, mais l’expérience nous dit que là où un tel engagement est cohérent et continu, les fruits qui en découlent sont positifs et encourageants. L’effort que l’Église a entrepris en ce sens, même quand la société en général n’a pas encore développé la sensibilité due, doit continuer, s’élargir et s’approfondir, avec clarté et fermeté, pour que la dignité et les droits des mineurs soient protégés et défendus avec beaucoup plus d’attention et d’efficacité que ce qui s’est fait dans le passé.
Dans cette instance, nous voulons que l’expérience que nous avons acquise puisse être partagée et puisse devenir utile pour un bien toujours plus vaste grâce à la collaboration avec vous tous.
Le monde dans lequel naissent et grandissent aujourd’hui les personnes humaines est caractérisé, de manière toujours plus profonde et envahissante, par le développement et l’omniprésence des nouvelles technologies de communication et de leurs instruments, de leurs « terminaux » et « portables » qui font désormais partie de la réalité et de la vie quotidienne d’un nombre toujours plus grand de personnes, de plus en plus jeunes, de telle sorte qu’aujourd’hui nous parlons à juste titre des nouvelles générations comme de « natifs numériques ». Et cette situation se répand désormais partout dans le monde, atteignant aussi les zones où le développement économique et social est encore insuffisant et déséquilibré. Le phénomène est désormais mondial et c’est pourquoi nous parlons de « monde numérique ».
Nous nous rendons maintenant compte avec une évidence croissante que la plaie des offenses à la dignité des mineurs, comme beaucoup d’autres problèmes dramatiques du monde actuel, transite et prospère continuellement dans les nouvelles dimensions du monde numérique, rôde et s’installe dans ses méandres et dans ses strates cachées et profondes. Le monde numérique n’est pas un espace séparé du monde ; c’est une dimension de notre unique monde réel et les mineurs qui y grandissent sont exposés à de nouveaux risques, ou plutôt à des risques antiques mais qui s’expriment sous de nouvelles formes, et la culture de la protection des mineurs que nous voulons diffuser doit être à la hauteur des problèmes d’aujourd’hui.
En regardant justement le monde d’aujourd’hui, le pape François rappelle continuellement notre attention sur le fait que les formes d’abus et de violence sur les mineurs s’y multiplient et sont mêlées : le trafic des mineurs et en général des personnes humaines, le phénomène des enfants soldats, l’absence de l’éducation la plus élémentaire, le fait que les petits soient les premières victimes de la faim, de la pauvreté extrême… « Nous avons besoin de courage pour accepter cette réalité, pour nous lever et la prendre à pleines mains (cf. Mt 2,20), écrivait le pape François le jour consacré par l’Église à la mémoire des saints enfants innocents. Le courage de la protéger des nouveaux Hérode de notre temps, qui phagocytent l’innocence de nos enfants. Une innocence brisée sous le poids du travail clandestin et esclave, sous le poids de la prostitution et de l’exploitation. Une innocence détruite par les guerres et par l’émigration forcée avec la perte de tout ce que cela comporte. Des milliers de nos enfants sont tombés entre les mains de bandits, de mafias, de marchands de mort qui ne font que phagocyter et exploiter leurs besoins » (Lettre aux évêques, 28 décembre 2016). Dans toutes ces situations aussi, l’horrible réalité de l’abus sexuel est pratiquement toujours présente comme aspect commun et conséquence d’une violence multiforme et diffuse, oublieuse de tout respect non seulement du corps mais plus encore de l’âme, de la sensibilité profonde et de la dignité de chaque enfant, de chaque jeune, quel que soit le peuple auquel il appartient.
Nous nous rendons donc compte des défis mais aussi que, si nous avons appris tant de respect devant ce phénomène, il demeure important de le comprendre toujours mieux, et surtout de continuer à rendre accessibles à ceux qui promeuvent la protection des droits des mineurs nos connaissances du phénomène. C’est seulement ainsi que nous pouvons combattre efficacement la bataille pour la protection des mineurs dans notre monde numérique. Les phénomènes que nous observons arrivent à des niveaux de gravité choquant, leur dimension et la rapidité de leur diffusion dépassent notre imagination.
Et voici ici la seconde raison de ma reconnaissance, qui concerne la méthode avec laquelle ce congrès veut fonctionner : battre le rappel des représentants des différents domaines de la recherche scientifique et de l’engagement opérationnel concernant la protection des mineurs, des représentants des entreprises pionnières dans les développements technologiques et communicatifs caractéristiques du monde numérique, des responsables du bien commun de la société humaine, législateurs, politiques, forces de l’ordre appelées à lutter contre les crimes et les abus, responsables religieux et des organisations de la société civile engagées en faveur des mineurs.
Comme différents autres orateurs, je veux moi aussi insister sur la caractéristique de cette assemblée qui la rend nouvelle et peut-être unique, à savoir réaliser le dialogue entre les nombreuses composantes et les personnes méritantes qui ont fait leur la cause de la défense de la dignité des mineurs dans le monde numérique, pour en orienter les forces vers un engagement commun qui dépasse le sentiment de désorientation et d’impuissance qui nous saisit devant la difficulté considérable du défi et qui nous permette d’intervenir avec créativité. Ayant identifié ce terrain stratégique fondamental, nous devons nous efforcer de reprendre le contrôle du développement du monde numérique, pour qu’il soit au service de la dignité des mineurs et par conséquent de l’humanité entière de demain. Parce que les mineurs d’aujourd’hui sont toute l’humanité de demain. À la recherche et à la compréhension des problèmes, devra donc suivre l’engagement et l’action à long terme et courageuse de notre part à tous ici présents, et l’appel à l’implication de toutes les personnes responsables dans les différents pays et dans les différentes composantes de la société.
Que me soient encore permises quelques réflexions que je propose à votre considération.
Le développement démographique de l’humanité est particulièrement rapide dans beaucoup de pays où le progrès économique et social est encore très limité ou déséquilibré. Des centaines de millions d’enfants et de jeunes grandissent dans un monde numérique dans un contexte encore sous-développé et leurs parents et éducateurs ne seront pas, en général, culturellement équipés pour les accompagner et les aider à grandir dans ce monde, tandis que leurs gouvernants ne sauront souvent pas par où commencer pour les protéger.
Nous sommes aussi responsables de ces enfants et les entreprises qui promeuvent et poussent le développement du monde numérique en sont elles aussi responsables. Dans son horizon international, mondial et interdisciplinaire, ce congrès doit prendre aussi en charge les mineurs de ces « périphéries » du monde dont parle continuellement le pape François. Périphéries qui sont dans les régions géographiques de plus grande pauvreté économique mais qui se trouvent aussi à l’intérieur des sociétés riches où il existe beaucoup de pauvreté humaine et spirituelle, de solitude et de perte du sens de la vie. Ce n’est pas un hasard si souvent ce sont précisément les mineurs de toutes ces périphéries qui font l’objet préférentiel des réseaux d’exploitation et de violence organisée en ligne à l’échelle mondiale.
Dans la société et dans l’Église, on a toujours insisté justement sur la responsabilité première de la famille et de l’école pour garantir aux mineurs cette saine éducation qui est une partie essentielle de la protection et de la promotion de la dignité des mineurs. Cela continue d’être valable et il faut tout faire pour que parents et éducateurs soient toujours plus en mesure de remplir leur devoir y compris devant les risques et les défis du monde numérique. Mais il ne fait pas de doute que, dans le contexte actuel, leur capacité à influer sur la formation des nouvelles générations est proportionnellement bien moindre que dans le passé et elle est souvent rendue vaine et dépassée par la vague continuelle des messages et des images qui atteignent les plus petits à travers les innombrables voies ouvertes des nouveaux médias. Pour cette raison aussi, la responsabilité envers les nouvelles générations doit être amplement partagée par toutes les composantes sociales que vous représentez.
Enfin, nous nous trouvons ici hébergés par une institution placée sous l’autorité de l’Église catholique et par conséquent particulièrement attentive aux dimensions morales et religieuses de la vie et du développement des personnes humaines. Je souhaite que votre travail puisse aussi intégrer dans l’effort commun de réflexion et d’engagement ces perspectives et qu’il puisse en tirer profit, inspiration et motivation.
D’ailleurs, nous sommes certainement tous d’accord sur ce qui est affirmé dans le second principe de la Déclaration universelle des droits de l’enfant, à savoir qu’il doit trouver les moyens « pour se développer de manière saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, et dans des conditions de liberté et de dignité ». Et, comme l’affirmait Jean-Paul II dès 1990, à l’occasion du Sommet mondial pour les enfants, nous constatons « la nécessité de faire beaucoup plus pour sauvegarder le bien-être des enfants du monde, pour proclamer les droits de l’enfant et protéger ces droits à travers des actions culturelles et législatives imprégnées du respect pour la vie humaine comme valeur en soi, indépendamment du sexe, de l’origine ethnique, du statut social ou culturel ou de la conviction politique ou religieuse » (Lettre à J. Pérez de Cuellar, 22.9.1990. Le Saint-Siège a adhéré à la Convention sur les droits de l’enfant dès 1990). Les mineurs dont nous parlons et dont nous voulons défendre et promouvoir la dignité sont des personnes humaines, dont la valeur est unique et inégalable. Chacun d’eux doit être pris au sérieux et protégé dans ce monde de plus en plus numérique, pour qu’il puisse atteindre le but de sa vie, de son destin, de sa venue dans le monde. Le destin et la vie de chacun d’eux sont très importants, précieux devant les hommes et devant Dieu. Selon les Écritures, tous les êtres humains sont créés « à l’image et à la ressemblance » de Dieu. Selon le Nouveau Testament, le Fils de Dieu est venu parmi nous comme un enfant vulnérable et dans une condition d’indigence, assumant aussi la fragilité et l’attente d’un avenir propre au petit enfant. Mépriser l’enfance et abuser des enfants est donc pour les chrétiens non seulement un crime mais aussi, comme l’a affirmé le pape François, un sacrilège, c’est-à-dire une profanation de ce qui est sacré, la présence de Dieu en chaque être humain.
Les dynamiques qui guident le développement technique et économique du monde semblent implacables et, comme nous le savons, elles sont en général guidées et poussées par des intérêts économiques, ainsi que politiques, très puissants, par lesquels nous ne devons pourtant pas nous laisser dominer. La force du désir sexuel qui habite au profond de l’esprit et du cœur humain est merveilleuse et grande, elle pousse en avant le cheminement de l’humanité mais elle peut aussi être corrompue et pervertie, au point de devenir source de souffrances et d’abus indicibles : elle doit donc être valorisée et orientée. Le sens de la responsabilité morale devant les hommes et devant Dieu, la réflexion sur le juste usage de la liberté dans la construction et dans l’orientation du monde nouveau et dans l’apprentissage à y vivre sont donc absolument nécessaires et fondamentaux pour l’avenir commun.
Vous êtes convoqués ici pour traiter une des questions aujourd’hui les plus importantes et urgentes du chemin de l’humanité. J’espère donc que le sens vivant de la beauté et du mystère des personnes humaines, de la grandeur de leur vocation à la vie et par conséquent du devoir de les protéger dans leur dignité et dans leur croissance inspireront vos travaux et porteront des fruits concrets et opérationnels.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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