Pierre Mohyla de Kiev © Domaine public

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«Le Cardinal Ratzinger à Kiev…», par A.-M. Pelletier (2/6)

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« Coopérateurs de la vérité », pour les 90 ans de Benoît XVI

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Par « Le Cardinal Ratzinger à Kiev… », Anne-Marie Pelletier rend hommage au pape émérite Benoît XVI à l’occasion de ses 90 ans – à Pâques, le 16 avril 2017 -, aux côtés de douze autres lauréats du Prix Joseph Ratzinger depuis sa création en 2011, dans un volume inspiré par la devise épiscopale puis pontificale de Joseph Ratzinger : « Cooperatores veritatis ».
Le volume est édité sous la direction du p. Federico Lombardi, président de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger – Benoît XVI, et de Pierluca Azzaro, secrétaire de la Fondation. Le livre a été présenté à la presse à Rome, à l’Augustinianum, jeudi 6 avril.
Mme Pelletier entraîne le lecteur « à l’Est », en Ukraine, à la découverte de la vitalité des échanges intellectuels et de l’Association Children of Hope, lancé par le Prof. Constantin Sigov, de l’Académie Mohyla, ré-ouverte en 1991. Le prof. Sigov propose « une pensée chrétienne de l’Europe qui porte en nos jours une lumière irremplaçable », souligne Mme Pelletier.
Nous publions ici, avec l’aimable autorisation de l’auteur, le deuxième de six volets de la réflexion de Mme Pelletier qui touche à un pan important de l’enseignement de Joseph Ratzinger-Benoît XVI : les fondements et l’avenir de l’Europe.
La première partie a été publiée hier, 7 avril.
Le Cardinal Ratzinger à Kiev…
Caritas in veritate (2/6)
Soigner l’esprit pour soigner la société
Jeune philosophe, dans les années 90, C. Sigov eut vite la certitude que la restauration des solidarités intellectuelles et spirituelles entre le monde slave et l’Europe occidentale devrait être la grande affaire de ce moment, qui voyait son pays soustrait à des décennies de domination soviétique. Car les corps, certes, avaient été violentés par les persécutions et les déportations, l’abomination de la grande famine fomentée par Staline durant les années 30, les atrocités du nazisme, tout ce qui faisait de l’Ukraine une « terre de sang », selon l’expression de l’historien Timothy Snyder. Mais les esprits étaient non moins en souffrance, minés de méfiance et d’hostilité, dévoyés par le mensonge d’Etat, pervertis par une haine féroce de la pensée. Là était la source des maux qui déshumanisaient au quotidien la société, empoisonnant le lien à l’autre, aux autres, à la tradition générationnelle, le lien à soi-même et, pour commencer, la relation à Dieu qui avait été méthodiquement détruite. Venir au secours de ce lien en appel de soin et de guérison impliquait à l’évidence, pour C. Sigov, l’engagement intellectuel de chrétiens. La création d’un Centre européen de Recherche en Sciences humaines au sein de l’Université Mohyla, puis celle, en 2013, du Centre Saint Clément, « Pour la communication et le dialogue des cultures », véritable plaque tournante d’échanges oecuméniques – répondait à cette urgence.
Tout comme en 1992 la fondation d’une maison d’édition, Doukh i Litera, La Lettre et l’Esprit, qui allait remettre à disposition les grandes œuvres de la littérature orthodoxe de l’émigration, mais publier aussi Jacques Maritain, le Cardinal Journet, H.-U. von  Balthasar, Yves Congar, Hannah Arendt, Simone Weil, Emmanuel Levinas, Walter Kasper, et d’autres[1]. Cette activation féconde de la réflexion au plus haut niveau trouva précisément une expression dans les Assumption Readings, rencontres annuelles inaugurées en 2000[2], convoquant philosophes et théologiens de Russie et d’Ukraine, de France et d’Italie, évêques, moines de Chevetogne, de la communauté de Taizé, de celle de Bose, du monde cistercien, et au-delà. Aux liens qui se sont ainsi forgés au fil des rencontres s’ajoute le fait que l’Académie théologique de Kiev et des membres éminents de la hiérarchie orthodoxe accueillent désormais la séance d’ouverture de ces rencontres au Séminaire de la Grande Laure. Le temps de recueillement que prennent les participants sur la tombe du métropolite Vladimir, décédé en 2014, soutien résolu des rencontres de Lychnia, constitue le gage d’une volonté œcuménique de poursuivre l’œuvre de retissage de la vie de l’esprit et, à travers celle-ci, du lien social. Car un tel espace de vie spirituelle comporte nécessairement une force d’expansion qui concerne l’ensemble de la société.
La preuve en fut donnée au cours des mois de mobilisation civique et pacifique, qui réunit plusieurs centaines de milliers de manifestants sur la place du Maïdan de Kiev, du 21 novembre 2013 au 22 février 2014. C. Sigov en fut un ardent avocat et un soutien indéfectible au sein de l’Université. Il a expliqué inlassablement l’enjeu de l’événement : la défense de la société civile et de la dignité humaine, face à un régime autoritaire et corrompu, résolument isolationniste, qui venait de refuser un accord d’association avec l’Union européenne. Il a fait connaître – là où l’on voulait bien l’entendre – l’extraordinaire fraternisation qui réunit alors, dans le froid et la ferveur, intellectuels de tous bords, ouvriers et paysans, prêtres des diverses Eglises, croyants et incroyants, avec le projet de « construire l’Europe en Ukraine », d’y faire vivre le « trésor perdu » de la résistance européenne, dont parle Hannah Arendt dans La crise de la culture. La « révolution de la dignité » fut écrasée dans le sang en février 2014, mais sans pour autant anéantir « l’esprit de Maïdan ». C’est précisément cet esprit qui, aujourd’hui, après l’annexion de la Crimée par la Russie et l’infiltration de l’Est de l’Ukraine, ressurgit avec l’action de volontaires ouvrant, près de l’Académie Mohyla, un Centre d’aide aux personnes déplacées fuyant la guerre du Donbass. C’est cet esprit qui a inspiré la création de Children of hope, de même que les initiatives visant, à travers le pays, à ce que se rencontrent et se parlent des hommes et des femmes que séparent les nouvelles haines engendrées du conflit et qu’attise une propagande extérieure en opposition frontale avec ce que C. Sigov désigne comme « éthos de l’Europe ».
(à suivre : L’éthos de l’Europe)
NOTES
[1] . Mentionnons quelques titres, sans exhaustivité : H. de Lubac, Méditation sur l’Eglise, C. Taylor, A Secular Age, J. D. Zizioulas, Being as Communion. Studies in Personhood and the Church, O. Rousseau, Histoire du mouvement liturgique, W. Kasper, Jesus der Christus.
[2] . Soulignons que ces rencontres ont démarré en 2000, année du Grand Jubilé proclamé par le pape Jean-Paul II, qui leur apporta dès le départ son soutien, avant même de se rendre en 2001 à Kiev . Parallèlement, elles reçurent l’appui constant du Métropolite Vladimir, Primat de l’l’Eglise orthodoxe d’Ukraine. De toutes les initiatives comparables nées dans l’espace post-soviétique, elles sont les seules à se poursuivre aujourd’hui. Elles font l’objet chaque année d’un volume de publication.

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Anne-Marie Pelletier

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