« Dieu a fait se rencontrer nos chemins et qui nous a permis de nous ouvrir l’un à l’autre », estim le rabbin Abraham Skorka dans le livre de conversations avec le cardinal Bergoglio « Au ciel et sur la terre ».
Ils ont aussi en commun leur formation scientifique: Abraham Skorka est docteur en chimie et Jorge Bergoglio est technicien en chimie.
Le livre paraîtra en anglais demain, vendredi 26 avril. Il retranscrit des conversations qui ont eu lieu en 2010 entre le cardinal et le rabbin.
Voici notre traduction d’un extrait du chapitre 1 du livre, intitulé « Au sujet de Dieu », publié avec l’aimable autorisation de la maison d’édition Image Books
Extrait de « Au ciel et sur la terre »
Rabbin Skorka – Cela fait des années que nous nous sommes rencontrés pour la première fois et il s’est forgé entre nous un lien fraternel. En étudiant les livres du Talmud, j’en ai trouvé un qui dit que l’amitié consiste à partager des repas et à passer du temps ensemble, mais à la fin, il montre que le signe d’une réelle amitié est la capacité à révéler à l’autre ce que l’on a dans son cœur. C’est ce qui s’est passé entre nous deux au fil du temps. Je crois que la chose la plus importante qui nous ait réunis, et qui nous réunit encore, est indéniablement Dieu, qui a fait se rencontrer nos chemins et qui nous a permis de nous ouvrir l’un à l’autre. Nous avons abordé de nombreux sujets au cours de nos conversations régulières, mais nous n’avons jamais parlé explicitement de Dieu. Bien sûr, il était toujours entendu qu’il était présent. Ce serait bon de commencer cet échange, que nous prévoyons de laisser en témoignage de notre dialogue, en parlant de lui, qui est si important dans nos vies.
Card. Bergoglio -</strong> « Chemins » : que ce mot est grand ! Dans mon expérience personnelle avec Dieu, je ne peux ignorer ce chemin. Je dirais qu’on rencontre Dieu en marchant, en se déplaçant, en le cherchant et en se laissant chercher par lui. Ce sont deux chemins qui se rencontrent. D’un côté, il y a notre chemin, qui le cherche, guidé par cet instinct qui déborde de notre cœur ; et après, quand nous nous sommes rencontrés, nous réalisons que c’est lui qui nous a cherchés dès le début. L’expérience religieuse initiale est celle de la marche : marche vers le pays que je te donnerai (cf. Gn 12, 1). C’est une promesse que Dieu fait à Abraham. Dans cette promesse, dans cette marche, s’établit une alliance qui se consolide dans le temps. C’est pourquoi je dis que mon expérience avec Dieu se produit en chemin, à la fois en cherchant et en me laissant chercher, même si cela doit passer par différents chemins de souffrance, de joie, de lumière ou d’obscurité.
Rabbin Skorka – Ce que vous avez dit me rappelle certains versets bibliques. Par exemple, lorsque Dieu dit à Abraham : « Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1). Ou lorsque le prophète Michée doit expliquer aux Israélites ce que Dieu attend d’eux et qu’il leur dit « d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec son Dieu » (Mi 6, 8).
Nul doute que l’expérience de Dieu est dynamique, pour utiliser un mot que nous apprenons dans nos études communes en science fondamentale. Cela dit, à votre avis, que pouvons-nous dire aux gens aujourd’hui alors que l’idée de Dieu est si déformée, profanée et son importance tellement banalisée ?
Card. Bergoglio – Ce que toute personne doit entendre, c’est qu’elle doit regarder à l’intérieur d’elle-même. La distraction est une fracture intérieure. Elle n’amènera jamais la personne à se rencontrer elle-même parce qu’elle l’empêche de regarder dans le miroir de son cœur. Le recueillement est le premier pas. C’est là que commence le dialogue. Parfois, on croit qu’on a la réponse unique, mais ce n’est pas le cas. Je dirais aux gens, aujourd’hui, de rechercher à faire cette expérience d’entrer dans l’intimité de leur propre cœur, de faire cette expérience, de connaître le visage de Dieu. C’est pour cela que j’aime ce que dit Job après sa difficile expérience et après des dialogues qui ne l’ont pas du tout aidé : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42, 5). Ce que je dis aux gens, c’est de ne pas se contenter de connaître Dieu par ouï-dire. Le Dieu vivant est celui que vous pouvez voir avec les yeux de votre cœur.
Rabbin Skorka – Le livre de Job nous enseigne une grande leçon parce qu’il dit, en bref, que nous ne pouvons jamais savoir comment Dieu se révèle dans des circonstances particulières. Job, homme juste et droit, voulait savoir pourquoi il avait tout perdu, y compris sa santé. Ses amis lui disaient que Dieu le punissait à cause de ses péchés. Il répond en disant que même s’il avait péché, il n’avait pas été mauvais à ce point. Job n’est réconforté que quand Dieu lui apparaît. Il n’a pas de réponse à ses questions mais la présence de Dieu à ses côtés le touche. Cette histoire nous indique plusieurs choses qui façonnent ma perception personnelle de Dieu. Tout d’abord, les amis de Job se montrent arrogants et stupides en épousant la théorie selon laquelle « Tu as péché, donc Dieu te punit », faisant de Dieu une sorte d’ordinateur qui calcule les récompenses et les punitions. À la fin de l’histoire, Dieu dit à Job – qui s’était tellement emporté contre l’injustice de son Créateur – qu’il devrait intercéder et prier pour ses amis, parce qu’ils n’ont pas parlé de lui avec droiture (cf. Jb 42, 7-8). Ceux qui avaient crié dans la souffrance, en demandant la justice divine, ont plu à Dieu. Mais il a détesté ceux qui se sont obstinés dans leur vue simpliste sur la nature de Dieu. Ce que je comprends, c’est que Dieu se révèle à nous de manière subtile. Notre souffrance actuelle peut devenir une réponse pour les autres dans l’avenir. Ou peut-être que nous sommes nous-mêmes la réponse à quelque chose du passé. Dans le judaïsme, Dieu est honoré lorsque nous nous conformons aux préceptes qu’il a révélés. Comme vous l’avez mentionné, chaque personne et chaque génération doit trouver le chemin sur lequel chercher et trouver sa présence.
Card. Bergoglio – Exactement. Nous recevons la création entre nos mains, comme un don. Dieu nous la donne, mais en même temps, il nous confie une tâche à remplir, celle de soumettre la terre. C’est la première forme de non-culture : ce que l’homme reçoit, la matière première qui devrait être soumise pour créer la culture, comme la bûche transformée en table. Mais à un moment, l’homme va trop loin dans cette tâche ; il devient trop zélé et il perd le respect de la nature. C’est alors que surviennent les problèmes écologiques, comme le réchauffement climatique, qui sont de nouvelles formes de non-culture. Le travail de l’homme devant Dieu, et donc devant lui-même, doit conserver un équilibre constant entre le don et la tâche. Quand l’homme se contente de garder le don et ne fait pas le travail, il n’achève pas sa mission et il reste primitif ; quand l’homme devient trop zélé dans son travail, il oublie le don et il crée une éthique constructiviste : il pense que tout est le fruit de son travail et qu’il n’y a pas de don. C’est ce que j’appelle le syndrome de Babel.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat