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«La diplomatie du pape François», par Mgr Auza (1/2)

Conférence à la Seton Hall (traduction complète, 1ère partie)

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« Dans l’histoire de l’Église, nous ne parlons pas de ruptures (…). Nous parlons de la continuité », explique Mgr Auza, à propos de la diplomatie du Saint-Siège dont il parcourt l’histoire depuis la fondation de l’Organisation des Nations Unies. Il évoque les priorités de la diplomatie du pape François et son fameux « marcher ensemble ».
Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, est intervenu sur le thème « La diplomatie du pape François », à l’École de diplomatie et de relations internationales de l’Université de Seton Hall, à South Orange (New Jersey), le mercredi 1er mars 2017.
« Dans l’histoire de l’Église, nous ne parlons pas de ruptures ou de nouveaux débuts. Nous parlons de la continuité – aussi transparente que possible – d’un voyage guidé par une doctrine pérenne, discernée dans le contexte d’un monde en constante évolution. Nous aimons l’image de la barque de saint Pierre naviguant résolument vers l’avant bien que battue par les vents et ballotée par les vagues. C’est ainsi que j’aime penser à la diplomatie du Saint-Siège », a expliqué d’emblée Mgr Auza.
Voici notre traduction de l’anglais de la première partie du discours du représentant du Saint-Siège.
AB
La diplomatie du pape François, par Mgr Auza (1/2)
Éminence, Mgr l’Archevêque de Newark, cardinal Joseph William Tobin,
Monsieur le Président de l’Université Seton Hall, Dr. Gabriel Esteban et Mme Esteban,
Monsieur le Recteur ad interim de l’Université Seton Hall, Professeur Karen Boroff,
Monsieur le Doyen de l’École de Diplomatie et de Relations internationales, Professeur Andrea Bartoli et Mme Bartoli,
Chers membres de la Faculté et étudiants de l’École de Diplomatie,
Mesdames et Messieurs,
 
Je suis très heureux que mon premier acte de pénitence de Carême soit un discours à l’Université de Seton Hall !
Je vous remercie, Éminence, de votre présence qui, franchement, m’intimide. Je ne peux pas faire sortir de mon esprit la photo de vous, dans le New York Times, en train de soulever « 2,25 » ! Pour les non-initiés au jargon de la gymnastique, c’est un poids de 225 livres (un peu plus de 100 kilos, ndr) ! Je peux à peine en soulever 25 !
Merci, Professeur Bartoli, de m’avoir donné l’occasion de discuter avec la communauté de Seton Hall de la diplomatie du pape François, un sujet qui va au cœur de l’identité catholique de Seton Hall.
Une diplomatie en continuité
Dans l’histoire de l’Église, nous ne parlons pas de ruptures ou de nouveaux débuts. Nous parlons de la continuité – aussi transparente que possible – d’un voyage guidé par une doctrine pérenne, discernée dans le contexte d’un monde en constante évolution. Nous aimons l’image de la barque de saint Pierre naviguant résolument vers l’avant bien que battue par les vents et ballotée par les vagues.
C’est ainsi que j’aime penser à la diplomatie du Saint-Siège. Entre le pape François et ses prédécesseurs, il n’y a pas eu de ruptures, mais plutôt une continuité. La diplomatie du Saint-Siège est un ministère et une tâche accomplis dans le monde séculier par l’Église et au nom de l’Église. Ainsi, comme tous les ministères et actions de l’Église, elle est également liée par le principe du « salus animarum suprema lex » [« le salut des âmes est la loi suprême de l’Église »]. Elle ne peut réaliser ce principe que si elle sait « scruter les signes des temps et les interpréter à la lumière de l’Évangile » (GS4), discerner et agir en conséquence.
Je crois que cela est particulièrement vrai dans le contexte de la présence du Saint-Siège aux Nations Unies et aux autres organisations multilatérales. L’objectif général de la mission d’observation permanente du Saint-Siège auprès des Nations Unies a toujours été celui-ci : apporter le levain de l’Évangile et l’expérience bimillénaire qu’a l’Église de l’humanité à la réalité complexe des relations internationales et aux débats internationaux sur les problèmes auxquels notre monde est confronté.
La présence du Saint-Siège aux Nations Unies
Beaucoup se demandent : Pourquoi le Saint-Siège veut-il être présent aux Nations Unies ? L’ONU n’est-elle pas « en ce moment », comme l’a récemment commenté un président, « juste un club pour que les gens se réunissent, parlent et passent du bon temps ? » « C’est triste », a-t-il conclu.
Eh bien, je suis enclin à croire que se réunir, parler et avoir du bon temps n’est pas si triste ! Mais, oui, à l’ONU, cela devient triste quand, comme l’affirment les paroles de la vieille chanson de Dan Fogelberg, les discours deviennent « plus longs que depuis qu’il y a des poissons dans l’océan » et « qu’il y a des étoiles là-haut dans le ciel » et, pire, s’ils ne sont pas « plus forts que n’importe quelle cathédrale de montagne », et pire encore, s’ils ne sont pas « plus vrais que n’importe quel arbre qui a jamais poussé » ou « plus profond que n’importe quelle forêt primitive » (Cf. Par Dan Fogelberg).
Néanmoins, pourquoi en effet le Saint-Siège est-il présent et engagé activement aux Nations Unies ?
Comme vous le savez, les Nations Unies sont nées des cendres de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Cinquante et un États ont signé la Charte des Nations Unies à San Francisco en 1945.
Ce ne fut pas exactement un coup de foudre pour le Saint-Siège. Lors de la fondation de l’Organisation des Nations Unies, le Saint-Siège a été quelque peu prudent. Il a reconnu la nécessité urgente d’une organisation internationale qui fasse suite à l’échec de la Société des Nations, mais il avait de sérieuses inquiétudes. L’une des préoccupations était que la Charte des Nations Unies, tout en reconnaissant l’égalité des États, ne consacrait pas en fait ce principe, puisque les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, investis du droit de veto, étaient manifestement inégaux par rapport aux autres. Une autre raison est que l’adhésion n’était pas universelle, étant donné que de nombreux pays, en particulier les petits pays et ceux qui avaient obtenu l’indépendance contre la volonté de leurs maîtres coloniaux, ont été exclus. Une autre raison était qu’on y débattait des problèmes mais qu’on ne les y résolvait pas. En 1953, le Pape Pie XII s’est demandé publiquement : « L’Assemblée générale est-elle simplement une Académie pour formuler des accords qui ne seront jamais mis en pratique ? »
Je suis tenté de dire : « C’est triste ! »
Quoiqu’il en soit, bien que le Saint-Siège n’ait pas fait partie de l’ONU dès les premiers jours, il a souvent participé aux travaux formels et informels de l’ONU sur invitation. Enfin, le 6 avril 1964, le Saint-Siège est devenu une Mission permanente d’observation à l’ONU et a établi notre Mission à New York. Cela convenait, non seulement à cause de la participation croissante du Saint-Siège aux délibérations de l’ONU, mais surtout parce que les quatre piliers de l’ONU, tels qu’ils sont consacrés dans sa Charte, s’articulent très bien avec les quatre principaux piliers de l’enseignement social catholique : la prévention de la guerre et la promotion de la paix, la protection et la promotion de la dignité et des droits de l’homme, le développement humain et aider les nations à tenir parole et à honorer les traités et lois internationaux.
Les pensées des papes sur les Nations Unies
Au cours des 53 années d’existence de la Mission d’observation permanente du Saint-Siège à New York, il y a eu cinq visites papales aux Nations Unies : le bienheureux Paul VI en octobre 1965, saint Jean-Paul II en 1979 et 1995, le pape Benoît XVI en 2008 et le pape François en 2015. Au cours de ces visites, les papes ont exprimé leur estime pour l’institution, qu’ils considéraient comme essentielle pour le monde.
Le Pape Paul VI a dit aux membres de l’Assemblée générale que le but de sa visite était d’être « d’abord une ratification morale et solennelle de cette haute institution. … L’édifice que vous avez construit ne doit jamais s’effondrer; il doit être continuellement perfectionné et adapté aux besoins que l’histoire du monde présentera ».
Jean-Paul II a parlé de domaines de collaboration, en disant : « Bien que leurs buts respectifs et leurs approches opérationnelles soient évidemment différents, l’Église et les Nations Unies trouvent constamment de vastes domaines de coopération sur la base de leur préoccupation commune pour la famille humaine.
Le Pape Benoît XVI a ajouté : « Ma présence à cette Assemblée est un signe d’estime pour l’Organisation des Nations Unies et elle entend exprimer l’espoir que l’Organisation servira de plus en plus de signe d’unité entre les États et d’instrument au service de l’entière famille humaine. »
Le pape François a réitéré l’appréciation exprimée par ses prédécesseurs, « en réaffirmant, dit-il, l’importance que l’Église catholique attache à cette institution et l’espoir qu’elle met dans ses activités ».
De plus, pour ceux d’entre nous qui sont catholiques, membres d’une Église universelle, l’ONU est une ressemblance politique de la « catholicité » de l’Église. Le bienheureux Paul VI l’a dit d’une manière si poétique : « Nous serions tentés de dire que votre principale caractéristique est un reflet, pour ainsi dire, dans le champ temporel de ce que notre Église catholique aspire à être dans le champ spirituel : unique et universelle. Parmi les idéaux par lesquels l’humanité est guidée, on ne peut concevoir rien de plus grand au niveau naturel. Votre vocation est de faire, non seulement de certains mais de tous les peuples, des frères. Une entreprise difficile ? Incontestablement; Mais c’est l’entreprise, votre très noble entreprise. »
Les papes, cependant, n’ont pas donné à l’ONU un laissez-passer. Tout en accordant à la « haute institution » une « ratification morale et solennelle », les papes ont également affirmé qu’il y a eu des moments où l’Organisation des Nations Unies a été jugée insuffisante, incapable de réaliser sa vision en n’atteignant pas ses objectifs pour certains peuples du monde.
Jean-Paul II a déclaré : « L’Organisation des Nations Unies doit s’élever de plus en plus au-dessus du froid statut d’une institution administrative et devenir un centre moral où toutes les nations du monde se sentent chez elles et développent une conscience commune d’être, en quelque sorte, une « famille de nations ».
Le pape François, passant en revue les sept premières décennies de l’institution, a déclaré : « L’expérience de ces soixante-dix ans depuis la fondation des Nations Unies en général et en particulier l’expérience de ces quinze premières années du troisième millénaire révèlent à la fois l’efficacité de la pleine application des normes internationales et l’inefficacité de leur manque d’application. »
Diplomatie bilatérale du Saint-Siège
Jusqu’ici, je me suis seulement référé à la diplomatie du Saint-Siège au niveau multilatéral, plus particulièrement à l’ONU. Au niveau bilatéral, aujourd’hui, le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec 182 pays sur 193 dans le monde, et d’autres sont en train d’être élaborées. Nous avons 116 nonciatures apostoliques et missions permanentes à travers le monde, dotant le Saint-Siège d’un des réseaux diplomatiques les plus étendus au monde.
Et si nous considérons nos évêques, nos prêtres, nos religieux et religieuses, nos catéchistes et nos laïcs engagés comme l’équivalent d’agents de la CIA américaine ou du vieux KGB soviétique, personne ne peut nous battre dans la collecte d’informations et les opérations de base ! Permettez-moi de partager une histoire. Dans un de mes précédents postes, la fonctionnaire politique de l’ambassade d’un pays très puissant m’a fièrement annoncé que son ambassadeur allait inaugurer un système d’irrigation que son gouvernement avait financé. Je lui ai dit : « Savez-vous que le barrage et le système d’irrigation sont en construction sur la propriété du Président du Parlement ? » Elle a été choquée! Comment était-il possible, alors que son ambassade comptait plus d’une centaine de personnes, et que nous n’étions que deux à la nonciature, que je puisse avoir de meilleurs renseignements ? Elle ignorait qu’il y avait des douzaines de sœurs curieuses dans les villages où le projet était en construction! Et pas loin, des jésuites « activistes sociaux » dirigeaient des écoles en même temps. Lorsque j’ai vu mes très efficaces « agents de renseignement », j’ai dû les remercier pour leur excellent travail !
Priorités diplomatiques du Pape François
Compte tenu des contraintes de temps, je dois maintenant aborder la deuxième partie de mon exposé, à savoir les priorités de la diplomatie du pape François que nous, à son service, devons concrétiser sur le terrain.
Avant de mentionner des questions spécifiques que nous travaillons pour avancer aux niveaux bilatéral et multilatéral, je voudrais d’abord souligner le thème de la rencontre et du dialogue. C’est le fil d’or qui relie les paroles et les actions du Pape, l’inspiration unificatrice qui a des implications majeures non seulement sur l’activité pastorale et spirituelle de l’Église, mais aussi sur les préoccupations socio-économiques et politiques de notre temps.
Le pape François relie particulièrement la « culture de la rencontre » à la solidarité et à la charité. Lorsqu’il parle des questions sociales et des questions ayant les plus grandes implications politiques, il affirme constamment une diplomatie de la rencontre menant à une meilleure connaissance mutuelle et à un meilleur respect mutuel. C’est une diplomatie du dialogue pour résoudre les conflits, promouvoir l’unité et lutter contre l’exclusion. C’est ce qu’il appelle « caminar juntos » [« cheminer ensemble »] comme mode de vie. C’est une diplomatie qui privilégie un plus grand respect pour les pays les plus faibles, la primauté du droit sur la loi du plus fort, des relations honnêtes et cordiales entre les nations et les peuples sur les soupçons mutuels. Une culture de la rencontre ne peut pas se produire en construisant des murs et en favorisant l’isolationnisme, mais seulement par des ponts et des portes ouvertes.
Je peux citer des dizaines de réflexions du pape François à ce sujet, mais, dans la mesure où Seton Hall est une université de pointe, je ne veux pas voler aux étudiants le plaisir de faire de la recherche et de travailler dur sur leurs devoirs!
Les questions sur lesquelles le Pape propose une diplomatie du dialogue, de la construction de ponts et de la rencontre sont des questions sociales à fort impact politique. Les gens demandent : Pourquoi l’Église, pourquoi le pape devraient-ils s’intéresser aux questions sociales et politiques controversées ? La réponse brève est : Parce que Jésus s’en soucie ! Et si Jésus s’en soucie, le pape et l’Église ne peuvent que s’en soucier.
Beaucoup d’entre nous connaissent par cœur le célèbre passage inaugural de la Constitution pastorale du Concile Vatican II sur l’Église dans le monde moderne, Gaudium et spes : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »
Par ses paroles et ses actions répétées et fortes, voire parfois provocatrices, sur les grandes questions et les défis auxquels notre monde est confronté aujourd’hui, le pape François nous invite à faire de même, à faire nôtres les joies et les peines du monde, à nous salir les mains, à commencer à sentir comme les moutons, à agir comme un hôpital de campagne au milieu de la bataille, à nous impliquer dans la promotion et la réalisation d’une diplomatie du dialogue et de la rencontre.
C’est l’esprit qui inspire notre travail aux Nations Unies et dans les relations bilatérales à travers le monde. Il va de soi que, dans le même temps, étant donné le rôle et la compétence uniques du Saint-Siège et de l’Église, il est nécessaire de ne pas nous identifier d’une manière ou d’une autre à des lignes politiques ou idéologiques, sauvegardant ainsi notre identité et notre influence uniques dans le concert des Nations.
(à suivre)
© Traduction de ZENIT, Constance Roques

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Constance Roques

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