Paradise, d'Andrei Konchalovski, capture

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Cinéma: le Prix Robert Bresson 2016 va à Andreï Konchalovski

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Allocution de Mgr Viganò

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Mgr Dario Edoardo Viganò, préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège, a remis, ce 9 septembre 2016, le prix Robert Bresson  au réalisateur russe Andreï Konchalovski, dans l’espace FEdS de l’Hôtel Excelsior de Venise, à l’occasion du 73e festival international du cinéma.
Le réalisateur participait au concours de cette année avec le film « Paradise », tourné en noir et blanc, situé dans la France occupée par les nazis. C’est l’histoire d’Olga, une aristocrate russe émigrée, et membre de la Résistance, de Jules, un collaborateur français et d’un officier allemand des SS. Olga mourra dans un camp d’extermination, offrant sa vie à la place de celle d’une femme juive. Pour le réalisateur c’est une oeuvre de « mémoire ».
Le Prix Robert Bresson est conféré par la fondation italienne du spectacle« Ente dello Spettacolo » et du magazine cinématographique italien « Rivista del Cinematografo ». Institué en 1999, il est remis tous les ans à l’occasion du Festival de Venise. Son symbole est une œuvre du sculpteur et orfèvre Andrea Cagnetti, intitulée « Espérance » (« Hope »).
Voici notre traduction de l’allocution de Mgr Viganò, rapportée par L’Osservatore Romano en italien du 10 septembre 2016.
AB
Allocution de Mgr Dario Edoardo Viganò
Il y a presque un an, c’était la semaine du 20 au 27 septembre, le monde entier a vu un événement que nous pouvons qualifier d’historique : le voyage du pape François à Cuba et aux Etats-Unis. Sans exagérer en cherchant des parallélismes avec le monde du cinéma, ce voyage me semble pouvoir servir de fonds idéal pour cette circonstance. Cuba et les USA, en effet, dessinent encore dans l’imaginaire collectif, chacun personnellement, un portrait, par certains aspects représentatif de deux paradigmes autour desquels se polarisent de nombreux aspects des sociétés contemporaines. Avoir donné une identité au « vainqueur » des deux modèles en concurrence n’a pourtant pas résolu ni fait taire une série de questions impossibles à éviter. Je n’en rappelle que quelques-unes, par exemple : le paradigme économico-social qui s’avère dominant ne présente-t-il aucune zone d’ombre ni de conséquences négatives ? N’existe-t-il qu’un bipolarisme dans ce singulier contentieux, ou bien est-il possible de distinguer d’autres parcours concluants ? Ne vaudrait-il pas la peine, comme le suggère le pape François, de chercher à distinguer un modèle économique et social « qui ne soit pas organisé en fonction du capital et de la production mais plutôt en fonction du bien commun » ? La personne doit-elle seulement se plier à une structure, ou bien la personne elle-même porte-t-elle d’autres valeurs qui rendent tout système plus humain ?
Ce sont les questions qui résonnent parfois, bien que sous des modalités différentes, dans le cinéma du maître Konchalovski qui a, en personne, traversé ces dilemmes. Son chemin cinématographique est défini comme un parcours « entre deux mondes ». Une définition qui peut sembler un peu étriquée à Konchalovski qui, alors qu’il était accueilli à la Milanesiana, le 9 juillet 2015, répondait à cette question précise : « La Russie ou l’Amérique, cela n’a pas d’importance pour moi. Il y a des réalisateurs qui aiment enseigner les expériences qu’ils ont apprises et qui veulent les partager ; d’autres qui aiment simplement apprendre en faisant des films : je suis de ceux-là. Ce que j’aime faire de plus intéressant, maintenant, c’est vivre. Je vis, je regarde et j’écoute. » Son histoire artistique nous montre que la souffrance de l’âme peut devenir le sein fécond de la production artistique. Comme le disait Gide, « quand l’art perd ses chaînes,  il devient un réceptacle de chimères ». En effet, dans toute l’Europe occidentale, il n’y a jamais eu une telle abondance de moyens et d’opportunités comme aujourd’hui et pourtant l’art peine à trouver des références et des espaces adéquats.
Peut-être est-ce pour cette raison que le maître Konchalovski a toujours défendu les valeurs traditionnelles, donnant raison à Umberto Eco qui invitait à guérir la « dégradation de la mémoire humaine ». Son dernier film, Rai, « Paradise », que nous avons vu ces jours-ci ici, à Venise, semble aller dans cette direction. Une œuvre qui devient un avertissement. Il s’agit d’un long-métrage sur les destins croisés de trois personnages à la triste époque d’une guerre sans précédents : Olga, une aristocrate russe émigrée et maintenant engagée dans la Résistance française, Jules, un collaborationniste français et Helmut, un officier SS de haut rang.
Des histoires de la vie quotidienne pendant la seconde guerre mondiale sont narrées pour rappeler « que ceci est arrivé ». La signification du film est parfaitement exprimée par la citation du philosophe allemand Karl Jaspers : « Ce qui s’est produit est un avertissement. Cela doit être continuellement rappelé. De même qu’il a été possible que cela se passe une fois, ainsi, la possibilité demeure que cela se produise encore, n’importe quand. Seule la connaissance de ce qui fut peut éviter que cela ne se reproduise ». Tandis que la devise « toute vie a sa signification » sert de fonds tragique aux camps de concentration.
Petit-fils et fils d’artistes, Andreï entre jeune dans le cinéma et il le fait par la porte principale, collaborant avec celui qui sera le plus grand réalisateur de sa génération, Andreï Tarkovski, dans des chefs-d’œuvre comme « L’enfance d’Ivan » et « Andreï Roublev ». Il débute dans la réalisation avec des films pleins d’ « âme russe », dont « Le bonheur d’Assia », apprécié par les critiques occidentales mais moins par les autorités soviétiques, qui en empêchèrent la diffusion. Le réalisateur se tourne alors vers les adaptations des classiques de la littérature russe, et il le fait très bien, avec des films comme « Nids de gentilshommes » de Tourgueniev et un mémorable « Oncle Vania » de Tchekhov. En 1978, il commence à réaliser son colossal « Sibériade », épopée de deux familles au temps de la révolution, interprétée par son frère Nikita et vainqueur de Grand Prix du Jury au Festival de Cannes. Mais même son succès international ne préserve pas le film des « retouches » du Goskino, le comité d’État du cinéma soviétique.
Alors, désormais convaincu que ses marges d’indépendance, dans sa patrie, sont exiguës, Konchalovski accepte l’invitation d’aller en Amérique où il réalisera des films pendant une dizaine d’années. Le premier titre de cette nouvelle phase de sa carrière est « Maria’s Lovers », en 1984, situé à la fin de la guerre mondiale, dans une petite communauté des Etats-Unis hors des stéréotypes hollywoodiens. Suivra « Runaway Train » avec la star Jon Voight, hybride de drame carcéral et de film catastrophe (à partir d’un sujet inédit d’Akira Kurosawa) dans un paysage enneigé qui rappelle la steppe russe et prédestiné à avoir le statut de « film culte ». Cependant, Konchalovski n’est pas du genre à se laisser confiner dans des formules commerciales. Sa dernière production signée aux Etats-Unis est « Le cercle des intimes », en 1991, sur l’homme qui montrait les films à Staline Ainsi, Andreï Konchalovski fait un retour dans une Russie où les mots d’ordre sont désormais perestroïka et glasnost. Il y reprend son personnage féminin des débuts, Assia la boîteuse, dans « Assia et la poule aux œufs d’or », sans oublier « Les nuits blanches du facteur », vainqueur du Lion d’argent ici à Venise, en 2014, donnant vie à une production artistique méditative, lyrique, élégiaque, marquée par le donné vrai et incontestable de l’émotion humaine. Il fait ainsi ré-émerger un cinéma capable d’être politique sans être idéologique, ethnographique sans l’obligation d’être scientifique, un cinéma intime et à voix basse, mais décliné au pluriel, dans cette multiplicité, ce ‘nous’ d’où émergent et reviennent l’histoire et le sens de chaque personne.
« Dans l’objectivité de la vie, il doit y avoir la capacité de rêver », affirmait le pape François pendant son voyage évoqué au début, pour nous montrer le niveau de l’existence de chaque personne humaine, saisie dans sa tension originelle vers un accomplissement de ses attentes de bien et de bonheur. En effet, celui qui accepte l’invitation à « rêver avant tout » est appelé à se situer dans un horizon distingué par un chemin qui le précède, par la découverte d’une projection en avant indéniable. De cette façon, s’annonce une prise en charge du passé et de l’avenir, corrigeant les possibles erreurs de perspective.
Je crois ne pas me tromper en inscrivant le maître Konchalovski sur cette noble liste de rêveurs, qui nous aident à ne pas exagérer des attitudes nostalgiques vers « le bon vieux temps », les accompagnant généralement d’un jugement négatif et sans appel sur le présent. Dans cet horizon ouvert sur le futur, il facilite aussi la recherche de façons d’éviter les expressions de fermeture et d’autoréférence, souvent manifestées quand on se sent assiégé par un monde hostile, dont on doit se défendre. Le regard sur le passé des hommes et des nations est en revanche fécond quand il devient une occasion de faire mémoire : non seulement quand ce qui s’est produit appartient à mon présent mais quand cela peut se reproduire et orienter le chemin d’un aujourd’hui.
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Constance Roques

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