Avec Paul Ricoeur « la philosophie réapparaît avec un F majuscule »

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Le philosophe Attilio Danese évoque la figure du grand penseur décédé le 20 mai

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ROME, Mercredi 25 mai 2005 (ZENIT.org) – Paul Ricoeur, l’un des plus grands philosophes du XXème siècle, s’est éteint sereinement dans son sommeil à l’âge de 92 ans, le 20 mai dernier, à Châtenay Malabry (Paris).

Il est mort comme il l’avait souhaité, indiquent à ZENIT des sources proches du penseur français : à la maison et non à l’hôpital ; sans souffrances traumatisantes ; sans perte de connaissance.

Le philosophe avait exprimé le souhait que la nouvelle de sa mort ne soit communiquée qu’après ses funérailles dans la paroisse protestante. En fait, il désirait une cérémonie religieuse empreinte d’intimité et de contemplation.

Elève d’Emmanuel Mounier, Gabriel Marcel, A. Philip, et très influencé par Karl Jaspers dans sa formation existentialiste, Ricoeur s’orienta ensuite vers la philosophie herméneutique, qui reconnaît dans le langage de la religion, du mythe et de la poésie la condition de possibilité et le sens ultime de la pensée et de la volonté.

Paul Ricoeur a également été très lié aux cercles personnalistes italiens en tant que président du Comité scientifique du Centre de Recherche personnaliste de Teramo à partir de 1985 et de la revue « Prospettiva Persona » depuis sa fondation en 1992.

Attilio Danese, philosophe, directeur de « Prospettiva Persona » et promoteur, entre autres, d’un colloque international sur le personnalisme qui s’est déroulé en janvier à l’Université pontificale salésienne de Rome, a rappelé avec une grande affection le philosophe disparu : « Les liens d’amitié avec Paul Ricoeur, que m’a offert le Seigneur, me mettent encore dans l’incapacité d’exprimer un jugement objectif sur le philosophe Paul Ricoeur. Toutefois l’amitié est également une clé chaude de lumière pour lire les pensées ».

Selon Danese, « Ricoeur peut-être considéré comme le philosophe contemporain héritier direct de l’inspiration personnaliste d’Emmanuel Mounier (1905 – 1950) ».

« La rencontre avec Emmanuel Mounier à en effet la saveur d’une conversation sur le personnalisme d’inspiration chrétienne. En 1946, il va habiter à Châtenay Malabry, à la périphérie de Paris, où, avec Simone, son épouse, et ses cinq enfants, il fait partie avec Emmanuel Mounier du groupe des familles ‘Les Murs Blancs’ », affirme-t-il.

« Nous travaillions à la bibliothèque, qui portait justement le nom de Mounier, dans le bout de terrain que Mounier lui-même avait voulu pour sa communauté, et où vivent encore les époux Fraisse, Domenach et où a vécu, jusqu’à sa disparition, en 1991, Madame Mounier, que tant de personnes ont connu en Italie, dans l’intention d’approfondir le sillage d’Emmanuel Mounier, qui fut le lien et le point de référence de nos rencontres. Là, nous avons découvert que Ricoeur se déclarait effectivement son ami et reconnaissait également sa dette à son égard, comme il eut l’occasion de le dire publiquement à Dourdan (1982) » a rappelé le philosophe italien.

« La rencontre avec Ricœur nous a permis de relier l’enseignement de ses écrits avec son témoignage de penseur au service d’un savoir cohérent avec la vie. Nous comprenions que pour lui la personne n’est pas une philosophie parmi tant d’autres, mais une authentique sollicitude éthique » a-t-il ajouté.

« Attention et lucidité intellectuelle, oui ! » a reconnu Danese soulignant les traits fondamentaux de la philosophie de Ricoeur, « mais, jamais placées avant l’autre, cet autre de la rencontre inattendue, découverte comme un don, au-delà de ses rôles et des artifices extérieurs ».

« Il était attentif au rapport personnel, toujours extrêmement stimulant, toujours chargé de profondeur humaine et de responsabilité, rappelle t-il. La philosophie enseignée dans les textes est une chose moins vivante que le philosophe qui, avec sagesse et humilité, raisonne en dialoguant et cherche, avec les autres, la science de la vie ».

« En observant le niveau de ses rencontres avec des étudiants et des professeurs, des écrivains et des femmes de service, il est clair que l’ancien recteur de l’Université de Nanterre, le professeur de La Sorbonne et de l’Université de Chicago, le maître à penser parmi les plus courtisés de tous les symposiums de philosophie contemporaine est un penseur cohérent de la simplicité et de l’approfondissement, de la contemplation et de l’engagement » a-t-il expliqué.

« Dix ans avant que ne s’écroulent les différents murs, peut-être justement parce que sa fréquentation clandestine de l’Europe de l’Est l’avait déjà sensibilisé à l’aspect dramatique d’une société sans respect pour la personne, il indiquait dans le pouvoir l’aspect intolérable de notre temps, plus grave encore que la question économique » soulignait Danese.

Ricœur, en effet, a été un « témoin de la fidélité de la promesse d’amitié. Avec lui nous sommes loin de la culture superficielle et mondaine, de cette culture orientée vers la carrière et l’idéologie, désengagée et politisée à l’extrême », raconte-t-il.

Selon Danese, « le dialogue confirme l’ouverture des frontières que la pensée réalise chez qui est fidèle aux traces de la vérité qu’il poursuit. De ce fait, la rencontre avec lui est devenue pour nous amitié à distance (les lettres rappellent bien, à la fin, que l’amitié est de demeurer ‘en communion de pensée’), une amitié marquée par la fidélité ».

« La philosophie réapparaît avec un F majuscule, conclut Danese ; c’est une vocation, liée à l’éthique du comportement, qui n’accepte pas de dis-synchronie ou schizophrénie de logique antithétique, entre des idéaux élevés et l’auto-référentialité des systèmes sociaux, académiques ou politiques quels qu’ils soient ».

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ZENIT Staff

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