ROME, Mercredi 2 mai 2001(ZENIT.org) – « L´œuvre de Paul Beauchamp, désormais marquée par la clôture d´une vie, est ainsi donnée à notre temps comme un trésor à inventorier, un capital à faire fructifier, une force à ne pas négliger si nous voulons que l´Evangile du Christ soit annoncé au monde contemporain avec des paroles fidèles et vraiment vivifiantes », écrit Anne-Marie Pelletier.
Nous remercions très vivement Madame Pelletier d´avoir accepté d´évoquer pour les lecteurs de Zenit l´éminente figure de l´exégète français Paul Beauchamp, sj.
Décès du Père Paul Beauchamp
Le Père Paul Beauchamp vient de mourir à Paris. Dans la nouveauté du temps pascal, il a achevé sa course terrestre, à l´âge de 77 ans, après une vie tout entière consacrée à l´intelligence des Ecritures. Il était rentré en 1941 au noviciat de la Compagnie de Jésus à Laval. En 1948 il partait pour la Chine où il resta jusqu´en 1951. Ordonné prêtre en 1954, il séjourna ensuite à l´Institut biblique de Jérusalem, puis à Rome. De retour, sa vie d´enseignement se partagea entre la Faculté jésuite de théologie de Fourvière, puis le Centre Sèvres à Paris, où beaucoup reçurent de lui le choc et l´éblouissement des Ecritures ouvertes en sa compagnie. Plusieurs ouvrages majeurs jalonnent cette existence de recherche et d´enseignement: Création et séparation en 1969, commentant le premier récit de création, L´un et l´autre Testament (tome 1 en 1977, tome 2 en 1990), Le Récit, la lettre et le corps en 1992, La Loi de Dieu en 1999, Cinquante portraits bibliques en 2000.
Ce grand jésuite, de réputation internationale, aura été l´un des plus importants exégètes français de notre temps. Mais il aura tenu cette place d´une manière profondément originale, qui explique qu´il ne fait pas simplement nombre avec les meilleurs noms de l´exégèse contemporaine. Par sa science et son érudition, il était certes un exégète éminent. Mais, lecteur d´une Bible qu´il savait être écriture vitale, puisque le Verbe de Dieu y rejoint l´homme, il ne cessa de déborder les limites d´une exégèse simplement historico-critique. De même, il ne manqua pas d´être attentif aux suggestions portées par les sciences humaines, mais il garda toujours pleine liberté à l´égard des méthodes et des thématiques du moment.
Il fut au sens le plus haut et le plus plein du terme un “ lecteur ” des Ecritures. Entreprise et exemple précieux, car nous analysons, nous questionnons, nous expliquons à perte de vue le texte biblique, mais beaucoup plus rarement, nous le “ lisons ”. En ce sens, nous sommes hautement redevables au Père Beauchamp de nous avoir réappris ce que “ lire la Bible ” veut dire. Au sens que “ lire la Bible ” avait pour les Pères et pour la tradition, c´est-à-dire en tenant sous le regard le Livre entier et en n´oubliant jamais que la valeur de la lecture se mesure à la force vivifiante du sens qu´on y entend. C´est ce qui fait que cet homme si profondément “ moderne ” a été simultanément un très sûr héritier des Pères qu´il avait appris à connaître et à aimer à Fourvière, à la grande époque de l´essor des recherches patristiques. C´est ainsi que, de surcroît, on apprend auprès de lui ce qu´est la vraie filiation : non pas répéter les Pères, mais les prolonger en se tenant dans l´élan qui les a portés.
Il est incontestable que la lecture des grandes œuvres de Paul Beauchamp est exigeante, parfois déconcertante pour le profane. La force de la pensée et la somptuosité d´un style profondément personnel en sont la cause. Cela ne rend pas moins la pratique de ces ouvrages urgente et essentielle. Comment ne pas penser que la manière qu´il a de revenir obstinément sur l´articulation des deux Testaments n´est pas chose vitale ? D´une part, elle touche au rapport tellement déterminant qui lie les chrétiens à Israël. D´autre part, elle engage, bien sûr, la connaissance du Christ en vérité. “ L´Ancien Testament, écrivait Paul Beauchamp, sert à ne pas noyer dans la facilité la vigueur parfois terrible de mots bibliques tels que “ amour ”, “ pardon ” ou “ confiance ”. Qu´ils ne soient pas le reflet de nous-mêmes, mais l´image de Dieu ! Mais, pour cela, il faut bien regarder vers une montagne, que ce soit le mont Morriyya ou le Calvaire. ”.
Autre leçon importante à entendre : celle qui concerne la reconnaissance d´une densité anthropologique des Ecritures, si chère à Paul Beauchamp, qui savait que là où l´Ecriture perd sa consistance humaine, elle perd aussi sa force de parole divine. Sans parler des lumières à recevoir de la question de la “ sagesse ” qu´il scruta avec une longue application et une acuité remarquable.
Simultanément, on n´oubliera pas que le Père Beauchamp fut un pédagogue inlassable, laissant quelques textes à la fois puissants et accessibles au grand nombre. On lira ainsi ses Psaumes, jour et nuit, ou encore un petit livre plein de richesses, Parler d´Ecritures saintes, paru en 1987 et qui, traduit en russe, circula très vite, à l´insu même de son auteur, dans les pays de l´Est. Qui ouvre ces ouvrages est assuré de faire l´expérience de la nouveauté jaillissante du texte biblique, nourriture savoureuse et inépuisable. Sous l´accompagnement de ce maître, la vieille formule “ le Christ répandu dans les Ecritures ” retrouve une fraîcheur très moderne. Sans coup de force, mais comme au petit matin de Pâques, la présence du Christ se donne à reconnaître, dès l´origine et jusqu´au terme, donc aussi tout au long de la longue patience de l´histoire d´Israël et de celle des nations.
L´œuvre de Paul Beauchamp, désormais marquée par la clôture d´une vie, est ainsi donnée à notre temps comme un trésor à inventorier, un capital à faire fructifier, une force à ne pas négliger si nous voulons que l´Evangile du Christ soit annoncé au monde contemporain avec des paroles fidèles et vraiment vivifiantes.
Anne-Marie Pelletier