Rencontre du pape avec des prêtres des diocèses de Trévise et Belluno (24 juillet) (I)

Texte intégral du dialogue entre Benoît XVI et le clergé

Share this Entry

ROME, Jeudi 16 août 2007 (ZENIT.org) – Au cours de ses vacances dans les Dolomites, le pape Benoît XVI a rencontré, le 24 juillet dernier, un groupe de prêtres des diocèses de Belluno-Feltre et Trévise. Nous publions ci-dessous la première partie du dialogue qui a eu lieu entre le pape et les prêtres (cf. www.vatican.va).

RENCONTRE DU PAPE BENOÎT XVI
AVEC DES MEMBRES DU CLERGÉ DES DIOCÈSES
DE BELLUNO-FELTRE ET DE TREVISE

Eglise Sainte-Justine Martyre, Auronzo di Cadore (Italie)
Mardi 24 juillet 2007

D.: Votre Sainteté, mon nom est dom Claudio, je voulais vous poser une question à propos de la formation de la conscience, en particulier à propos des jeunes générations, car aujourd’hui, former une conscience cohérente, une conscience droite, semble toujours plus difficile. On confond le bien et le mal avec le fait de se sentir bien et de se sentir mal, l’aspect le plus chargé d’émotion. C’est pourquoi je voulais recevoir quelques conseils de votre part. Merci…

R.: Excellence, chers frères, je voudrais tout d’abord vous exprimer ma joie et ma gratitude pour cette belle rencontre. Je remercie les deux Evêques, Mgr Andrich et Mgr Mazzocato, pour cette invitation. J’exprime mes remerciements sincères à vous tous qui êtes venus si nombreux en ce temps de vacances. Il est encourageant de voir une église remplie de prêtres, car l’on constate la présence des prêtres. L’Eglise vit, même si les problèmes se multiplient à notre époque, et précisément dans notre Occident. L’Eglise est toujours vivante et avec les prêtres qui désirent réellement annoncer le Royaume de Dieu, elle grandit et résiste à ces difficultés, que nous voyons dans notre situation culturelle d’aujourd’hui. En fait, cette première question reflète un peu le problème de la situation culturelle en Occident, car le concept de conscience s’est profondément transformé au cours des deux derniers siècles. Aujourd’hui prévaut l’idée que seul ce qui est quantifiable est rationnel, fait partie de la raison. Les autres choses, c’est-à-dire les matières de la religion et de la morale, n’auraient pas de rapport avec la raison commune, car elles ne sont pas vérifiables, ou, comme on dit, pas falsifiables lors de l’expérimentation. Dans cette situation, où morale et religion sont presque expulsées par la raison, l’unique critère ultime de la moralité ainsi que de la religion est le sujet, la conscience subjective qui ne connaît pas d’autres instances. En fin de compte, seul le sujet, avec son sentiment, ses expériences, d’éventuels critères qu’il a trouvés, décide. Mais ce faisant, le sujet devient une réalité isolée, et c’est ainsi que changent, comme vous l’avez dit, jour après jour, les paramètres. Dans la tradition chrétienne, « conscience » signifie conscience: c’est-à-dire que nous, que notre être est ouvert, il peut écouter la voix de l’être lui-même, la voix de Dieu. La voix des grandes valeurs est donc inscrite dans notre être et la grandeur de l’homme est précisément qu’il n’est pas fermé sur lui, il n’est pas réduit aux choses matérielles, quantifiables, mais il possède une ouverture intérieure aux choses essentielles, la possibilité d’une écoute. Dans la profondeur de notre être, nous pouvons écouter non seulement les besoins du moment, non seulement les choses matérielles, mais écouter la voix du Créateur lui-même et connaître ainsi ce qui est bien et ce qui est mal. Mais naturellement, cette capacité d’écoute doit être éduquée et développée. Tel est précisément l’engagement de l’annonce que nous faisons dans l’Eglise: développer cette très haute capacité donnée par Dieu à l’homme d’écouter la voix de la vérité et donc la voix des valeurs. Je dirais donc qu’un premier pas est de rendre les personnes conscientes que notre nature porte en elle un message moral, un message divin, qui doit être déchiffré et que nous pouvons peu à peu mieux connaître, écouter, si notre écoute intérieure est ouverte et développée. A présent, la question concrète est de savoir comment effectuer cette éducation à l’écoute, comment rendre l’homme capable de cela, malgré toute cette surdité moderne, comment faire en sorte que cette écoute soit rétablie, qu’elle soit réellement un événement, l’Effatà du Baptême, l’ouverture des sens intérieurs. En voyant la situation dans laquelle nous nous trouvons, je proposerais une combinaison entre une voie laïque et une voie religieuse, la voie de la foi. Aujourd’hui, nous voyons tous que l’homme pourrait détruire le fondement de son existence, sa terre, et nous ne pouvons donc plus simplement faire avec notre terre, avec la réalité qui nous a été confiée, ce que nous voulons et ce qui nous apparaît utile et prometteur sur le moment, mais nous devons respecter les lois intérieures de la création, de cette terre, apprendre ces lois et obéir également à ces lois, si nous voulons survivre. Cette obéissance à la voix de la terre, de l’être, est donc plus importante pour notre bonheur futur que les voix du moment, les désirs du moment. Il s’agit, en somme, d’un premier critère à apprendre: que l’être lui-même, notre terre, parle avec nous et que nous devons écouter si nous voulons survivre et déchiffrer ce message de la terre. Et si nous devons être obéissants à la voix de la terre, cela vaut encore davantage pour la voix de la vie humaine. Nous devons non seulement prendre soin de la terre, mais nous devons respecter l’autre, les autres. Que ce soit l’autre dans sa singularité comme personne, comme mon prochain, ou les autres comme communauté qui vit dans le monde et qui désire vivre ensemble. Et nous voyons que ce n’est que dans le respect absolu de cette créature de Dieu, de cette image de Dieu qui est l’homme, que ce n’est que dans le respect d’une vie vécue ensemble sur la terre, que nous pouvons aller de l’avant. Et nous arrivons ici au fait que nous avons besoin des grandes expériences morales de l’humanité, qui sont des expériences nées de la rencontre avec l’autre, avec la communauté; l’expérience que la liberté humaine est toujours une liberté partagée et qu’elle ne peut fonctionner que si nous partageons nos libertés dans le respect des valeurs qui nous sont communes à tous. Il me semble que, grâce à ces pas, il est possible de faire voir la nécessité d’obéir à la voix de l’être, d’obéir à la dignité de l’autre, d’obéir à la nécessité de vivre ensemble nos libertés comme une liberté, et pour tout cela connaître la valeur qui existe dans le fait de permettre une digne communion de vie entre les hommes. Nous arrivons ainsi, comme je l’ai déjà dit, aux grandes expériences de l’humanité, dans lesquelles s’exprime la voix de l’être, et surtout aux expériences de ce grand pèlerinage historique du peuple de Dieu, commencé avec Abraham, dans lequel nous trouvons non seulement les expériences humaines fondamentales, mais où nous pouvons, grâce à ces expériences, entendre la voix du Créateur lui-même, qui nous aime et qui nous a parlé. Ici, dans ce contexte, en respectant les expériences humaines qui nous indiquent le chemin d’aujourd’hui et de demain, il me semble que les Dix Commandements ont toujours une valeur prioritaire, dans laquelle nous voyons les indicateurs fondamentaux du chemin. Les Dix Commandements relus, revécus à la lumière du Christ, à la lumière de la vie de l’Eglise et de ses expériences, indiquent plusieurs valeurs fondamentales et essentielles: le quatrième et le sixième commandement indiquent ensemble l’importance de notre corps, de respecter les lois du corps, de la sexualité et de l’amour, la valeur de l’amour fidèle, la famille; le cinquième commandement indique la valeur de la vie et également la valeur de la vie commune; le septième commandement indique la valeur du partage des biens de la terre et la juste
division de ces biens, l’administration de la création de Dieu; le huitième commandement indique la grande valeur de la vérité. Donc, si dans le quatrième, le cinquième et le sixième commandement, nous avons l’amour pour le prochain, dans le septième, nous avons la vérité. Tout cela ne peut fonctionner sans la communion avec Dieu, sans le respect de Dieu et sans la présence de Dieu dans le monde. Un monde sans Dieu devient dans tous les cas le monde de l’arbitraire et de l’égoïsme. Ce n’est que si Dieu apparaît qu’il y a de la lumière, de l’espérance. Notre vie possède un sens que nous ne devons pas créer nous-mêmes, mais qui nous précède, qui nous conduit. En ce sens, je dirais donc de prendre ensemble les voies évidentes que la conscience laïque peut facilement entrevoir aujourd’hui aussi, et de chercher ainsi à guider vers les voix plus profondes, vers la véritable voix de la conscience, qui se communique à travers la grande tradition de la prière, de la vie morale de l’Eglise. Ainsi, à travers un chemin d’éducation patiente, nous pouvons, je pense, apprendre tous à vivre et à trouver la vraie vie.

D.: Je m’appelle dom Mauro. Votre Sainteté, dans l’accomplissement de notre ministère sacerdotal, nous portons le poids toujours plus lourd de nombreuses tâches. Les engagements de la gestion administrative des paroisses, de l’organisation pastorale et de l’accueil des personnes dans des situations difficiles s’accroissent. Je vous demande vers quelles priorités orienter aujourd’hui notre ministère de prêtres et de curés, afin d’éviter, d’un côté, la fragmentation et de l’autre, la dispersion. Merci.

R.: Voilà une question très réaliste, c’est vrai. Je connais moi aussi un peu ce problème, avec tant de dossiers qui arrivent chaque jour, tant d’audiences nécessaires, tant de choses à faire. Toutefois, il faut trouver les justes priorités et ne pas oublier l’essentiel: l’annonce du Royaume de Dieu. En entendant cette question, il m’est venu à l’esprit l’Evangile d’il y a deux semaines sur la mission des soixante-dix disciples. Pour cette première grande mission que Jésus fait accomplir à ces soixante-dix disciples, le Seigneur donne trois impératifs, qui me semblent substantiellement exprimer aujourd’hui aussi les grandes priorités du travail d’un disciple du Christ, d’un prêtre. Les trois impératifs sont: priez, prenez soin et annoncez. Je pense que nous devons trouver l’équilibre entre ces trois impératifs essentiels, les garder toujours ensemble comme le centre de notre travail. Priez: en effet, sans relation personnelle avec Dieu tout le reste ne peut pas fonctionner, car nous ne pouvons pas réellement apporter Dieu, la réalité divine et la vraie vie humaine aux personnes, si nous ne vivons pas nous-mêmes dans une relation profonde, véritable, d’amitié avec Dieu, en Jésus Christ. D’où la célébration, chaque jour, de la Sainte Eucharistie comme rencontre fondamentale, où le Seigneur me parle et je parle avec le Seigneur, qui se donne entre mes mains. Sans la prière des Heures, dans laquelle nous entrons dans la grande prière de tout le Peuple de Dieu, en commençant par les Psaumes du peuple antique renouvelé dans la foi de l’Eglise, et sans la prière personnelle, nous ne pouvons pas être de bons prêtres, nous perdons la substance de notre ministère. Etre un homme de Dieu, au sens d’un homme qui a une relation d’amitié avec le Christ et avec ses saints, est donc le premier impératif. Il y a ensuite le deuxième. Jésus a dit: soignez les malades, ceux qui se sont égarés, ceux qui en ont besoin. C’est l’amour de l’Eglise pour ceux qui sont exclus, pour ceux qui souffrent. Les personnes riches peuvent être elles aussi intérieurement exclues et souffrir. « Soignez » se réfère à tous les besoins humains, qui sont toujours des besoins qui vont en profondeur vers Dieu. Il est donc nécessaire, comme on dit, de connaître les brebis, d’avoir des relations humaines avec les personnes qui nous sont confiées, d’avoir un contact humain et ne pas perdre l’humanité, car Dieu s’est fait homme et a ainsi confirmé toutes les dimensions de notre être humain. Mais, comme je l’ai dit, l’humain et le divin vont toujours de pair. A ce terme de « soigner » sous ses multiples formes, appartient également, me semble-t-il, le ministère sacramentel. Le ministère de la réconciliation est un acte de soin extraordinaire, dont l’homme a besoin pour être totalement sain. Il y a donc besoin de ces soins sacramentels, en commençant par le Baptême, qui est le renouvellement fondamental de notre existence, en passant par le sacrement de la réconciliation et par l’onction des malades. Dans tous les autres sacrements, également dans l’Eucharistie, il y a naturellement un grand soin des âmes. Nous devons soigner les corps, mais surtout – tel est notre mandat – les âmes. Nous devons penser aux nombreuses maladies, aux besoins moraux, spirituels qui existent et que nous devons affronter, en guidant les personnes à la rencontre du Christ dans le sacrement, en les aidant à découvrir la prière, la méditation, le fait d’être dans l’Eglise en silence avec cette présence de Dieu. Et ensuite annoncer. Qu’annonçons-nous? Nous annonçons le Royaume de Dieu. Mais le Royaume de Dieu n’est pas une lointaine utopie d’un monde meilleur, qui se réalisera peut-être dans cinquante ans ou qui sait quand. Le Royaume de Dieu est Dieu lui-même, Dieu qui s’est approché et qui est devenu très proche dans le Christ. Tel est le Royaume de Dieu: Dieu lui-même est proche et nous devons nous rapprocher de ce Dieu qui est proche, car il s’est fait homme, il demeure homme et il est toujours avec nous à travers sa Parole, dans la Très Sainte Eucharistie et dans tous les croyants. Annoncer le Royaume de Dieu signifie donc parler de Dieu aujourd’hui, rendre présente la Parole de Dieu, l’Evangile qui est présence de Dieu et, naturellement, rendre présent le Dieu qui s’est fait présent dans la sainte Eucharistie. Dans l’association de ces trois priorités et, naturellement, en tenant compte de tous les aspects humains, de nos limites que nous devons reconnaître, nous pouvons accomplir comme il se doit notre sacerdoce. Cette humilité, qui reconnaît également les limites de notre force, est également importante. Ce que nous ne pouvons pas faire, le Seigneur doit le faire. Et également la capacité de déléguer, de collaborer. Tout cela doit toujours être fait avec les impératifs fondamentaux de prier, de soigner et d’annoncer.

D.: Je m’appelle dom Daniele. Votre Sainteté, la Vénétie est une terre de grande immigration, avec une présence importante de personnes non chrétiennes. Cette situation place nos diocèses face à une nouvelle tâche d’évangélisation en leur sein. Cela comporte cependant une certaine difficulté, car nous devons concilier les exigences de l’annonce de l’Evangile avec celles d’un dialogue respectueux des autres religions. Quelles indications pastorales pourriez-vous nous offrir? Merci.

R.: Naturellement, c’est vous qui connaissez de plus près cette situation. Et, de ce fait, il ne m’est peut-être pas possible de vous donner beaucoup de conseils pratiques, mais je peux dire que lors de toutes les visites ad limina, que ce soit des Evêques asiatiques, africains, latino-américains, ou de toute l’Italie, je suis toujours confronté à ces situations. Il n’existe plus de monde uniforme. En particulier en Occident, où sont présents tous les autres continents, toutes les autres religions, les autres façons de vivre la vie humaine. Nous vivons une rencontre permanente, qui ressemble peut-être à l’Eglise antique, où existait la même situation. Les chrétiens représentaient une très petite minorité, un grain de sénevé qui commençait à croître, entouré par des religions et des conditions de vie très différentes. Nous devons donc réapprendre ce que les chrétiens des premières générations ont vécu. Saint Pierre, dans sa première Lettre, au troisième chapitre, a dit: « Vous devez toujours êt
re prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous ». Il a ainsi formulé pour l’homme normal de l’époque, pour le chrétien normal, la nécessité de conjuguer annonce et dialogue. Il n’a pas dit formellement: « Annoncez à chacun l’Evangile ». Il a dit: « Vous devez être capables, prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous ». Il me semble que cela est la synthèse nécessaire entre dialogue et annonce. Le premier point est qu’en nous-mêmes doit toujours être présente la raison de notre espérance. Nous devons être des personnes qui vivent la foi et qui pensent la foi, qui la connaissent intérieurement. Ainsi, en nous-mêmes, la foi devient raison, devient raisonnable. La méditation de l’Evangile, et donc l’annonce, l’homélie, la catéchèse, pour rendre les personnes capables de penser la foi, constituent déjà des éléments fondamentaux de cette combinaison entre dialogue et annonce. Nous devons nous-mêmes penser la foi, vivre la foi et, en tant que prêtres, trouver différentes façons de la rendre présente, de manière à ce que nos catholiques chrétiens puissent avoir la conviction, la promptitude et la capacité de rendre compte de leur foi. Cette annonce, que la foi transmet dans la conscience d’aujourd’hui, doit revêtir de multiples formes. Sans aucun doute, les homélies et les catéchèses en sont deux formes principales, mais il y a ensuite tant d’autres façons de se rencontrer – séminaires de la foi, mouvements laïcs, etc. – où l’on parle de la foi et où l’on apprend la foi. Tout cela nous rend tout d’abord capables de vivre réellement en étant le prochain des non-chrétiens – en majorité, ce sont ici des chrétiens orthodoxes, des protestants, mais également des fidèles d’autres religions, musulmans et autres. Le premier point est de vivre avec eux, en reconnaissant en eux le prochain, notre prochain. Vivre donc à la première personne l’amour du prochain comme expression de notre foi. Je pense que cela constitue déjà un témoignage très fort et également une forme d’annonce: vivre réellement avec ces autres personnes l’amour du prochain, reconnaître en ceux-ci, en eux, notre prochain, de sorte qu’ils puissent voir: cet « amour du prochain » est pour moi. Si tout cela a lieu, nous pourrons plus facilement présenter la source de notre comportement, c’est-à-dire le fait que l’amour du prochain est l’expression de notre foi. Ainsi, dans le dialogue, on ne peut pas immédiatement passer aux grands mystères de la foi, bien que les musulmans aient déjà une certaine connaissance du Christ, qui nie sa divinité, mais qui reconnaît en Lui au moins un grand prophète. Ils éprouvent de l’amour pour la Vierge. Il existe donc des éléments communs dans la foi, qui constituent des points de départ pour le dialogue. Un élément pratique et réalisable, nécessaire, est surtout de rechercher l’entente fondamentale sur les valeurs de la vie. Ici aussi, nous possédons un trésor commun, car elles proviennent de la religion d’Abraham, réinterprétée, revécue de manières qui sont à étudier, auxquelles nous devons enfin répondre. Mais la grande expérience substantielle, celle des Dix Commandements, est présente et cela me semble un point à approfondir. Passer aux grands mystères me semble un niveau difficile, qui ne se réalise pas dans les grandes rencontres. La semence doit peut-être entrer dans les cœurs, de sorte que la réponse de la foi à travers des dialogues plus spécifiques puisse mûrir ici et là. Mais ce que nous pouvons et devons faire est de rechercher le consensus sur des valeurs fondamentales, exprimées dans les Dix Commandements, résumées dans l’amour du prochain et dans l’amour de Dieu, et ainsi interprétables dans les divers domaines de la vie. Nous nous trouvons tous au moins sur un chemin commun vers le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui est finalement le Dieu au visage humain, le Dieu présent en Jésus Christ. Mais si ce dernier pas est plutôt à accomplir lors de rencontres intimes, personnelles ou en petits groupes, le chemin vers ce Dieu, dont proviennent ces valeurs qui rendent possible la vie commune, me paraît également réalisable lors de rencontres plus importantes. Il me semble donc que se réalise ici une forme d’annonce humble, patiente, qui attend, mais qui rend également déjà concrète notre vie selon la conscience illuminée par Dieu.

D.: Je m’appelle Dom Samuele. Nous avons accueilli votre invitation à prier, à prendre soin et à annoncer. Nous nous sommes déjà permis de vous prendre au mot en prenant soin de votre personne et, dans un élan d’affection, nous vous avons apporté des bouteilles de bon vin de notre terre, que nous vous ferons parvenir par l’intermédiaire de notre Evêque. J’en viens à ma question. Nous assistons toujours plus à une augmentation considérable de situations de personnes divorcées qui se remarient, vivent ensemble et nous demandent à nous, prêtres, de les aider dans leur vie spirituelle. Ce sont des personnes qui portent souvent en elles la douloureuse demande d’accéder aux sacrements. Il s’agit de réalités qui exigent de nous une confrontation et également un partage des souffrances qu’elles comportent. Très Saint-Père, je vous demande au moyen de quels comportements humains, spirituels et pastoraux nous pouvons unir miséricorde et vérité. Merci.

R.: C’est vrai, il s’agit d’un problème douloureux, et il n’existe certainement pas de recette simple qui puisse le résoudre. Nous souffrons tous de ce problème, car nous connaissons tous des personnes qui sont dans cette situation et nous savons que pour elles, il s’agit d’une douleur et d’une souffrance, car elles veulent rester en pleine communion avec l’Eglise. Ce lien du mariage précédent est un lien qui limite leur participation à la vie de l’Eglise. Que faire? Je dirais qu’un premier point serait naturellement la prévention, pour autant que cela soit possible. La préparation au mariage devient toujours plus fondamentale et nécessaire. Le Droit canonique suppose que l’homme en tant que tel, même sans grande instruction, entende contracter un mariage selon la nature humaine, comme cela est indiqué dans les premiers chapitres de la Genèse. C’est un homme, il est de nature humaine et il sait donc ce que signifie le mariage. Il entend faire ce que lui dicte la nature humaine. C’est sur cette affirmation que se fonde le Droit canonique. C’est une chose qui s’impose d’elle-même: l’homme est homme, la nature est celle-ci et lui dicte cela. Mais aujourd’hui, cet axiome selon lequel l’homme entend faire ce qui est dans sa nature, un mariage unique, fidèle, se transforme en un axiome un peu différent. « Volunt contrahere matrimonium sicut ceteri homines ». Ce n’est plus simplement la nature qui parle, mais les « ceteri homines », ce que tous font. Et ce que tous font aujourd’hui n’est plus simplement le mariage naturel selon le Créateur, selon la création. Ce que font les « ceteri homines », est de se marier dans l’idée qu’un jour, le mariage puisse échouer, et que l’on puisse passer ainsi à un deuxième, et à un troisième, puis à un quatrième mariage. Ce modèle, « comme tous le font », devient ainsi un modèle en opposition avec ce que dit la nature. Il devient ainsi normal de se marier, de divorcer, de se remarier et personne ne pense qu’il s’agit d’une chose qui va contre la nature humaine ou tout au moins, on rencontre difficilement quelqu’un qui soit de cet avis. C’est pourquoi pour aider à arriver réellement au mariage, non seulement dans le sens d’Eglise, mais du Créateur, nous devons retrouver la capacité d’écouter la nature. Revenons à la première question, à la première demande. Redécouvrir derrière ce que tous font ce que nous dit la nature elle-même, qui parle de façon différente de cette habitude moderne. En effet, elle nous invite au mariage pour la vie, dans une fidélité pour la vie, également avec les souffrances que comporte grandir ensemble dans l’amour. C’est pourquoi, les cours de préparation au mariage devraient consister à écouter à nouv
eau la voix de la nature, du Créateur, redécouvrir derrière tout ce que font les « ceteri homines » ce que nous dit notre être même, au plus profond de nous. Dans cette situation donc, entre ce que tous font et ce que dit notre être, les cours de préparation devraient être un chemin de redécouverte pour apprendre à nouveau ce que nous dit notre être, nous aider à parvenir à une véritable décision sur le mariage selon le Créateur et selon le Rédempteur. Donc, ces cours de préparation pour « se connaître soi-même », pour apprendre la véritable volonté matrimoniale, sont d’une grande importance. Mais la préparation ne suffit pas, car les crises profondes viennent après. C’est la raison pour laquelle un accompagnement permanent pendant les dix premières années au moins, est très important. C’est pourquoi, dans la paroisse, il faut non seulement se soucier des cours de préparation, mais également de la communion sur le chemin qui suit, de l’accompagnement, de l’aide réciproque. Que les prêtres, mais pas seulement eux, également les familles, qui ont déjà traversé une expérience semblable, qui connaissent ces souffrances, ces tentations, soient présents dans les moments de crise. Il est important de garantir la présence d’un réseau de familles qui s’aident et divers mouvements peuvent apporter une grande contribution. La première partie de ma réponse prend en compte la prévention, non seulement dans le sens de préparer, mais d’accompagner, la présence d’un réseau de familles qui apporte une aide dans cette situation moderne, où tout s’oppose à la fidélité à vie. Il faut aider à trouver, à apprendre également à travers la souffrance, cette fidélité. Toutefois, en cas d’échec, c’est-à-dire si les époux ne se montrent pas capables de demeurer fidèles à leur volonté originelle, il reste toujours la question de savoir s’il existait réellement une volonté, dans le sens de sacrement. Et il y a éventuellement le procès de déclaration de nullité. S’il s’agissait d’un vrai mariage et qu’ils ne peuvent donc pas se remarier, la présence permanente de l’Eglise aide ces personnes à supporter une autre souffrance. Dans le premier cas, nous avons la souffrance de surmonter cette crise, d’apprendre à parvenir à une fidélité difficile et mûrie. Dans le second cas, nous avons la souffrance de se trouver dans un lien nouveau, qui n’est pas celui du sacrement et qui ne permet donc pas la pleine communion aux sacrements de l’Eglise. Ici, il faudrait enseigner et apprendre à vivre avec cette souffrance. Nous reviendrions, à ce propos, à la première question de l’autre diocèse. Nous devons généralement, dans notre génération, et dans notre culture, redécouvrir la valeur de la souffrance, apprendre que la souffrance peut être une réalité très positive, qui nous aide à mûrir, à devenir davantage nous-mêmes, plus proches du Seigneur qui a souffert pour nous et qui souffre avec nous. Dans cette seconde situation également, la présence du prêtre, des familles et des mouvements est donc d’une très grande importance; de même que l’est également la communion personnelle et communautaire dans ces situations, l’aide de l’amour du prochain, qui est un amour tout à fait spécifique. Et je pense que seul cet amour ressenti par l’Eglise, qui se réalise à travers un multiple accompagnement, peut aider ces personnes à se sentir aimées par le Christ, membres de l’Eglise, même si elles sont dans une situation difficile, et ainsi vivre leur foi.

D.: Votre Sainteté, je m’appelle dom Saverio et ma question porte donc bien sûr sur les missions. Nous célébrons cette année le 50 anniversaire de l’Encyclique « Fidei donum ». En répondant à l’invitation du Pape, de nombreux prêtres, également de notre diocèse, et moi-même avons vécu, et vivons actuellement l’expérience de la mission « ad gentes ». Une expérience sans aucun doute extraordinaire, et que, à mon modeste avis, pourraient vivre de nombreux prêtres dans le cadre de l’échange entre Eglises-sœurs. Toutefois, étant donné la diminution du nombre de prêtres dans nos pays, dans quelle mesure l’indication de l’Encyclique est-elle encore actuelle aujourd’hui et dans quel esprit pouvons-nous l’accueillir et la vivre, tant de la part des prêtres envoyés que de la part du diocèse tout entier? Merci.

R.: Merci. Je voudrais avant tout remercier tous les prêtres fidei donum, ainsi que les diocèses. Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai reçu récemment de nombreuses visites ad limina tant des Evêques d’Asie, que d’Afrique et d’Amérique latine et tous me demandent: « Nous avons tant besoin de prêtres fidei donum et nous sommes très reconnaissants pour le travail qu’ils accomplissent, en manifestant, souvent dans des situations très difficiles, la catholicité de l’Eglise, et en rendant visible le fait que nous sommes une grande communion universelle, et qu’il existe un amour du prochain éloigné qui devient prochain dans la situation du prêtre fidei donum. Ce grand don qui a réellement été fait au cours de ces cinquante années, je l’ai senti et vu de façon presque palpable dans tous mes dialogues avec les prêtres, qui nous disent: « Ne pensez pas que nous, Africains, nous suffisions simplement à nous-mêmes; nous avons toujours besoin de la manifestation de la grande communion de l’Eglise universelle ». Je dirais que nous avons tous besoin de cette visibilité de l’identité de catholiques, d’un amour du prochain qui vient de loin et trouve ainsi le prochain. Aujourd’hui, la situation a changé dans la mesure où nous aussi recevons en Europe des prêtres provenant d’Afrique, d’Amérique latine et d’autres parties de l’Europe elle-même et cela nous permet de voir la beauté de cet échange de dons, de ce don de l’un à l’autre, car nous avons tous besoin de tous: c’est précisément ainsi que croît le Corps du Christ. Pour résumer, je voudrais dire que ce don était et demeure un grand don, perçu comme tel dans l’Eglise: dans de nombreuses situations que je ne peux pas décrire à présent, dans lesquelles il y a des problèmes sociaux, des problèmes de développement, des problèmes d’annonce de la foi, des problèmes d’isolement, de besoin de la présence des autres, ces prêtres représentent un don dans lequel les diocèses et les Eglises particulières reconnaissent la présence du Christ qui se donne pour nous et reconnaissent dans le même temps que la Communion eucharistique n’est pas seulement une Communion surnaturelle, mais qu’elle devient communion concrète dans ce don de prêtres diocésains, qui sont présents dans les autres diocèses et que le réseau des Eglises particulières devient ainsi un véritable réseau d’amour. Merci à tous ceux qui ont fait ce don. Je ne peux qu’encourager les Evêques et les prêtres à poursuivre ce don. Je sais qu’à présent, étant donné le manque de vocations, en Europe, il devient toujours plus difficile de faire ce don: mais nous avons déjà l’expérience que les autres continents, comme l’Inde et l’Afrique surtout, nous donnent également des prêtres. La réciprocité demeure toujours très importante et précisément l’expérience selon laquelle nous sommes une Eglise envoyée au monde et que tous connaissent tous et aiment tous, est véritablement nécessaire et représente également la force de l’annonce. Ainsi, il devient visible que le grain de sénevé porte du fruit et devient toujours à nouveau un grand arbre dans lequel les oiseaux du monde trouvent repos. Merci et bon courage.

© Copyright 2007 : Librairie Editrice du Vatican

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel