ROME, Mardi 2 février 2010 (ZENIT.org) – « Si nous aussi, nous voulons vraiment déchiffrer vers où Dieu nous conduit à travers les méandres de nos histoires, nous avons besoin de la lumière des Ecritures pour éclairer les événements de nos vies, pour en donner le sens et pour montrer comment ils manifestent le Christ Ressuscité », a fait observer le cardinal Vingt-Trois à l’occasion de la célébration œcuménique pour la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens.
Voici l’homélie du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, et président de la conférence des évêques de France (CEF), donnée au Temple de l’Église Réformée de l’Oratoire du Louvre le mercredi 20 janvier 2010.
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
– Lc 24, 1-53
Seigneur, ce soir, nous voulons être tout à la fois les femmes du tombeau, les disciples d’Emmaüs, les onze au milieu desquels tu apparais. Avec eux nous te prions : ouvre nos cœurs et nos esprits à l’intelligence des Ecritures. Donne-nous de comprendre les chemins par lesquels tu nous conduis à la lumière des commandements, de la loi et des prophètes.
Ce chapitre 24 de l’évangile selon saint Luc n’est pas simplement un itinéraire reliant différents lieux où des hommes et des femmes ont la chance d’être confrontés à l’événement de la résurrection, que ce soit devant le tombeau vide, en cheminant avec quelqu’un qu’ils n’ont pas reconnu, ou en étant visités par le ressuscité lui-même. Cette itinérance à travers ces scènes successives dessine pour nous un chemin spirituel. Où Dieu veut-il nous conduire et comment nous conduit-il ? Et pour nous qui sommes rassemblés dans la supplication pour l’unité entre les chrétiens et dans l’espérance de cette unité, comment ces épisodes de l’Evangile éclairent-ils notre attente et notre prière ?
Le ressuscité construit l’unité
Nous découvrons d’abord que ce n’est pas l’unité de l’Église qui dévoile la résurrection, mais plutôt le ressuscité qui construit l’unité de l’Église. La première expérience des disciples est la prise de conscience que le corps a disparu. Ce premier moment est vécu par quelques femmes, et ensuite par Pierre venu vérifier. Puis, deux disciples, qui sont comme emportés par un autre roman, continuent leur chemin vers Emmaüs sans savoir la conclusion de ce qui s’était passé à Jérusalem. Ils reconnaissent le Christ, ils reviennent à Jérusalem, et, au moment où ils vont raconter leur histoire, Pierre prend la parole le premier et leur dit : « oui, c’est vrai, il est ressuscité, il nous est apparu » (v. 34).
Ce chapitre de l’Evangile ressemble à une mosaïque. Il met ensemble des fragments d’expériences du ressuscité, comme pour nous faire comprendre que l’expérience de la résurrection est toujours marquée par l’expérience humaine dans laquelle elle est vécue. L’expérience des femmes au tombeau n’est pas celle de l’apôtre qui y vient après elles. Les disciples d’Emmaüs ne vivent pas la même chose que les onze. Et cependant, chacune de ces expériences a sa valeur et son authenticité propres.
Nous pourrions penser qu’il suffirait de tenir ensemble toutes ces expériences pour qu’enfin on reconnaisse le Christ ressuscité. Mais il ne nous suffit pas d’avoir ce désir de réunir des traditions et des formulations de la foi différentes. Il ne suffit que nous travaillions à nous écouter, à nous respecter, à nous laisser conduire peu à peu et, pourquoi ne pas le dire, à nous aimer. Il convient que cette aspiration à faire converger et à additionner nos expériences et nos traditions soit scellée par Dieu pour que se constitue un corps unique qui n’est pas la somme de nos corps, mais qui est le corps même du ressuscité.
Oui, l’unité des chrétiens nous est offerte, proposée et infusée, par le Christ ressuscité lui-même. C’est donc dans la mesure où il est présent à son corps que ce corps prend sa constitution unique pour être l’Église.
La joie de l’acte de foi
Comment non plus ne pas être sensible au cheminement des sentiments exprimés dans ce chapitre. Les personnages passent par la stupéfaction, l’incrédulité, l’étonnement, la crainte, et entrent finalement dans la plénitude de la joie au moment où Jésus n’est plus là. Chacune des rencontres successives avec le ressuscité ne suscite que du trouble, de l’inquiétude et des doutes pour les femmes, les apôtres ou les disciples d’Emmaüs. Les onze réunis n’osaient pas y croire (v 41) et pensaient que c’était un fantôme ou un esprit (v 37). Tout se passe comme si au moment où il les bénit et où il les quitte, il emportait avec lui leurs doutes, leurs craintes et leur trouble pour les laisser dans « une grande joie » v 52.
Ne nous faut-il pas nous aussi apprendre à découvrir notre joie non dans la possession immédiate de la présence du Christ mais dans l’acte de foi que permet son absence de devant nos yeux ? A la table d’Emmaüs, « leurs yeux se sont ouverts » (v 31), au moment où il a béni le pain et l’a rompu (v 30), répétant pour eux les gestes de la Cène. Mais au moment où leurs yeux se sont ouverts, il avait disparu, il n’était plus là. C’est là plus qu’un artifice rhétorique. Cette nouvelle vision leur permet de relire ce qui s’est passé, quand il leur parlait en chemin et leur expliquait les Ecritures (v 32). Mais même si leur cœurs étaient déjà brulants, il n’empêche que l’accès à la réalité du ressuscité passe par l’expérience de cette absence, lorsque Jésus se retire. Tant qu’il est là leurs yeux sont voilés, et quand leurs yeux se dévoilent, il n’est plus là ! Et tant qu’il est avec les onze, on parle, on argumente même : « Ne vous rappelez-vous pas de ce que j’ai fait lorsque je vous avais donné à manger ?… » Et puis il les bénit, leur promet le don de l’Esprit, et disparaît. Et seulement alors ils sont remplis de joie.
Comme nous sommes loin de notre spontanéité affective qui imagine que la joie des disciples était de tenir physiquement la main de Jésus ressuscité ! Comme l’Evangile diffère de la pensée commune qui postule que la foi était facile pour les disciples qui voyaient, entendaient et touchaient le Seigneur. L’Evangile nous permet de découvrir que la foi commence quand ils ne le voient plus, quand ils ne l’entendent plus, quand ils ne le touchent plus, quand ils vivent de l’Esprit-Saint.
Les Ecritures pour éclairer les évènements
A travers les Ecritures, Dieu apprend à son peuple à comprendre de quelle manière il le conduit. Tout comme Jésus aide ses deux disciples sur le chemin d’Emmaüs à déchiffrer ce qui est en train de se passer. En partant de Moïse et des prophètes il essaye de les faire entrer dans la compréhension des évènements pour en donner le sens. Ce ne sont pas les événements en eux-mêmes qui font sens. Ce sont des faits bruts qui peuvent signifier aussi bien la présence que l’absence : un tombeau vide en soit ne veut rien dire, la mort d’un homme sur une croix non plus, et cette route parcourue avec Jésus ne leur permet pas par elle-même de le reconnaître.
La lecture que Jésus fait lui-même des événements non seulement à partir de Moïse et des prophètes, mais encore à la lumière de ce que lui-même leur avait dit, permet que ces événements, en eux-mêmes sans grande portée, déploient leur signification. Le tombeau vide est le signe qu’il est ressuscité. Le chemin parcouru avec lui vers Emmaüs manifeste la présence du Christ au long de la vie des hommes. En rappelant ses propres paroles (v 44), il leur donne la clef d’interprétation des événements dont ils ont été les témoins.
Si nous aussi, nous voulons vraiment déchiffrer vers où Dieu nous conduit à travers les méandres de nos histoires, nous avons besoin de la lumière des Ecritures pour éclairer les événements de nos vies, pour e
n donner le sens et pour montrer comment ils manifestent le Christ Ressuscité.
Jésus ouvre l’intelligence des disciples pour qu’ils comprennent que sa mort et sa résurrection marquent l’accomplissement de ce qui avait été annoncé et ouvrent à l’annonce de l’Evangile à l’univers entier (v 47). Tout n’est pas encore accompli. Tout ne sera accompli que quand la bonne nouvelle aura atteint les limites du monde. C’est alors que Dieu récapitulera toute chose pour nous faire découvrir comment déjà il accomplissait son œuvre à travers les chemins que nous parcourions quelque fois les yeux bandés, le cœur enténébré ou l’esprit fermé, bref sans savoir ce que nous faisions. « Un jour, je verrai » nous dit saint Paul (1 Co 13, 12). Un jour je verrai. Un jour le bandeau tombera, le cœur s’ouvrira, l’esprit sera disponible pour découvrir comment Dieu aura compté sur notre foi pour accomplir son œuvre en ce temps.
Frères et sœurs, sur ce chemin tellement mouvementé et déchiré que les chrétiens de notre « ère culturelle » ont parcouru depuis plus d’un millénaire, beaucoup ont essayé et essaient de comprendre à la lumière des Ecritures ce que veut dire que la tunique a été déchirée, que les frères se sont séparés et les chrétiens désunis ? Car ce sont des faits historiques que nous connaissons, que nous subissons et dont nous portons tristement l’héritage. Mais quel en est le sens dans la Résurrection du Christ ? Comment notre foi au Ressuscité assume-elle les méandres des divisions humaines pour se rassembler autour de Celui qui est venu en disant : « la paix soit avec vous ! » (v 36) ?
Seigneur, ouvre nos cœurs à l’intelligence des Ecritures. Donne-nous d’accueillir cette paix comme un signe de ta présence, toi qui est vivant et ressuscité pour le monde. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois