ROME, Dimanche 18 avril 2010 (ZENIT.org) – Au Népal, 75 % de la population est de religion hindoue. Les chrétiens ne représentent que 2.5%, dont seulement 7 000 baptisés catholiques.
En 2007, Benoît XVI a élevé l’Eglise catholique du Népal au statut de vicariat apostolique et nommé son premier évêque, Mgr Anthony Francis Sharma.
Mgr Sharma est Népalais de naissance, natif de Gurkha, district de la région du Midwest au centre du Népal. Il est né et a été élevé dans une famille hindoue, comme un brahmane (ou brahmin).
Il était âgé de 4 ou 5 ans quand sa mère fut baptisée dans l’Eglise catholique, et c’est à ce moment que, lui aussi, devint catholique.
Mgr Sharma a évoqué la situation de l’Eglise au Népal à l’émission télévisée « Là où Dieu pleure », conduite par le Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
Nous publions ci-dessous la première partie de cet entretien.
Q : Y a-t-il quelqu’un, ou quelque chose, qui a joué un rôle déterminant dans votre décision de devenir prêtre ?
Mgr Sharma : Mes contacts avec les Jésuites qui oeuvraient alors dans la région de Darjeeling, dans le nord de l’Inde, ont été déterminants. Je les voyais travailler au service de notre peuple avec tant d’amour et d’attention, et quand ils m’ont demandé pourquoi je voulais devenir prêtre, ma réponse a été : « je vous vois œuvrer pour mon peuple, pourquoi ne vous rejoindrais-je pas dans cette aventure ? » Voilà ce qui m’a fait me décider ; et le fait d’être en contact avec les jésuites, surtout canadiens, venant avec des jeunes à Darjeeling, a aussi été pour moi un stimulant.
Q : Les catholiques sont très peu nombreux au Népal, seulement 7000. Quel a été le plus gros obstacle que vous avez rencontré en poursuivant votre rêve d’être prêtre ?
Mgr Sharma : J’ai travaillé à Darjeeling après mes études. J’y ai rejoint les Jésuites après mes études supérieures, et j’ai travaillé là un certain temps, près de 25 ans ; ensuite, alors que j’étais recteur d’une de nos institutions et principal de l’école St. Joseph, j’ai été nommé au Népal premier Supérieur ecclésiastique en 1984. Ainsi je ne suis pas venu au Népal de mon propre gré. J’ai été envoyé là-bas. J’étais à Darjeeling quand j’ai été nommé au Népal.
J’étais originaire du Népal, je suppose que cela a été la principale raison de ma nomination. Deuxièmement, j’étais un Brahmin, la caste la plus élevée au Népal. La société népalaise est gouvernée par une petite minorité d’Hindous. Vous avez parlé de 75% de la population, un chiffre contesté aujourd’hui. Mais les Brahmins dirigeaient le pays, aussi nommer un Brahmin a eu probablement quelque chose à voir avec mon affectation au Népal.
Q : Le fait que vous soyez un Brahmin est aussi important pour la communauté catholique que pour les Hindous ; autrement dit, étant un Brahmin, vous pouvez regarder — au moins les Hindous dominants – dans les yeux. Cet élément a-t-il joué ?
Mgr Sharma : Oui, je pense que cet élément a joué. J’ai toujours été connu comme le Principal d’une école réputée où les rois – actuels, passés, dont le dernier roi – avaient fait leurs études et je pense, oui, que cela a été un facteur. J’étais connu de la communauté népalaise. Ils savaient que j’étais originaire du Népal et n’avaient aucune difficulté à m’accepter lors de mon retour au Népal.
Q : Vous avez été le premier évêque du pays. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez été appelé et nommé ?
Mgr Sharma : Cette nomination ne m’a pas fait particulièrement plaisir. J’ai résisté pendant longtemps car, ai-je pensé, ceux qui auraient été légitimement honorés de cette nomination devaient venir de la communauté ethnique, il fallait que ce soit une personne de la communauté ethnique. Et cela, parce que la majorité de notre peuple au Népal appartient aux communautés ethniques.
Vous avez parlé plus haut de 75% d’Hindous – chiffre contestable comme je l’ai dit – car 70% de notre population sont ethniques et seulement 20% purement hindous. Mais les Hindous constituent la classe dominante, ils ont englobé les 70%, ce qui fait 90%. Ces communautés ethniques appartiennent à des groupes de castes différentes ; ils ont leurs propres rituels, leurs prêtres, leurs rites, tout leur est propre. Et ils n’aiment pas être comptés parmi les Hindous, mais ils n’avaient pas le choix, étant soumis au pouvoir de la classe dominante.
Ils ont été tous englobés, et quand viennent les touristes, on leur dit qu’il y a 90% d’hindous, 7% de bouddhistes, 2% de musulmans et 1% de chrétiens, ce qui n’est pas vrai. De ces 70% de la communauté ethnique, 60% auraient davantage d’affinités avec le bouddhisme qu’avec l’hindouisme : en effet, le Népal a été considéré comme un pays bouddhiste, pas seulement parce qu’il vit naître Bouddha mais aussi parce que c’est une réalité de vie.
Q : C’est votre mère, avez-vous dit, qui vous a amené à l’Eglise quand vous étiez petit. Quelle a été sa réaction quand vous avez été nommé évêque ?
Mgr Sharma : Elle s’est toujours opposée à ce que je sois prêtre, tout d’abord parce que j’étais le seul garçon de la famille et, selon elle, j’avais une obligation. Ma mère m’avait élevé dans la tradition hindoue. Elle connaissait parfaitement les traditions hindoues. Elle, qui était analphabète, pouvait réciter le livre de Ramayana par cœur, d’un bout à l’autre. Et elle était très douée, bien qu’illettrée. Elle pensait que je devais continuer la lignée familiale – et le fait que je devienne prêtre, c’était la fin de la lignée, et elle ne m’a jamais donné son autorisation. Ce jésuite canadien qui était mon principal m’a dit un jour que je devais être prêtre, à quoi je lui ai objecté : « En aucune façon Père, je dois m’occuper de ma mère, » et la réaction de ce jésuite canadien a été : « Dieu prendra soin d’elle. »
Q : Et Dieu a pris soin d’elle ?
Mgr Sharma : Très bien, très bien, et c’est ainsi que je suis devenu prêtre. Mais, auparavant, je me suis rendu chez les jésuites, j’ai emmené mon Principal canadien chez ma mère. Quand elle a su que je m’en allais, ma mère s’est allongée à terre devant moi : « Si u veux t’en aller, il te faudra d’abord me marcher dessus. »
Plus tard, quand je suis devenu prêtre, un fils est toujours un fils, si mauvais soit-il, pour une mère vous êtes toujours un bon fils ; aussi, le lendemain de mon ordination, je suis allé bénir ma mère ; mais c’était délicat pour moi de la bénir et, au lieu de cela, j’ai cherché une bénédiction et me suis tourné vers elle en disant : « Alors, mère, quel effet cela vous fait-il de voir votre fils prêtre, quelque chose que vous n’avez jamais voulu ? »
Elle m’a regardé et m’a dit : « Sais-tu ce que j’ai dit à Dieu aujourd’hui ? J’ai perdu, tu as gagné. » Ce fut sa résignation finale, l’acceptation de la volonté de Dieu dans sa vie. Et cette attitude fut la sienne durant toute sa vie : puisqu’elle ne pouvait pas changer la détermination de Dieu, alors accepter. Elle ne m’a jamais vu évêque. Ma mère est morte avant que je sois évêque. Elle est morte en 1989, à l’âge de 89 ans, et je n’ai été évêque qu’en 2007, mais elle aurait été heureuse, sans aucun doute, et fière de cela.
Q : Vous êtes né et avez grandi au Népal, vous avez vu le pays changer à bien des égards. Quels sont, selon vous, les aspects positifs et négatifs de ces changements auxquels vous avez assisté ?
Mgr Sharma : A l’origine, et jusqu’en 1990, c’était un pays hindou à cent pour cent. Les chrétiens vivaient dans la clandestinité.
Q : Y avait-il une persécution des chrétiens à cette époque – diriez-vous persécution ou discrimination ?
Mgr Sharma : Discrimination probablement, et un grand nombre de protestants furent arrêtés et emprisonnés pour avoir prêché l’Evangile dans un pays hindou, car prêcher une religion autre que la religion hindoue était interdit par la loi. Si c’était le fait d’un Népalais, le Népalais se retrouvait derrière les barreaux pour six mois, et si ce n’était pas un Népalais, il était expulsé du pays. Aussi le prosélytisme était rare, mais il restait encore de nombreux groupes de base. L’Eglise a pénétré au Népal en 1951 à l’invitation du grand-père du dernier roi.
Q : Pourquoi cette invitation, puisque le Népal était un Etat hindou ?
Mgr Sharma : Parce qu’il voulait l’accès à l’éducation pour le peuple du Népal. Parce que, pour la plupart, les rois avaient étudié dans nos écoles, aussi bien en Inde, à Calcutta, Darjeeling, Patna, où il y avait des élèves népalais. C’est ainsi que les jésuites de Patna, jésuites américains furent invités à ouvrir et gérer des écoles. Et pour cela, le Palais d’été des Premiers ministres de la dynastie des Rana [le Singha Durbar Palace] fut mis à leur disposition. Aujourd’hui encore. Ainsi, ils peuvent utiliser ce palais tant qu’ils rendent service dans le domaine de l’éducation.
Ainsi l’Eglise, en dépit de la loi anti-prosélytisme, jouissait d’un certain statut ou pouvoir d’être présente sur le sol népalais pour enseigner.
Enseigner, oui, mais toute activité évangélique restait explicitement interdite. Servir les catholiques oui, mais ne pas prêcher l’Evangile aux Népalais. Les Pères, quand on leur demanda de signer, refusèrent. Mais, d’une certaine manière, ils se conformèrent à cet arrangement, agirent sur la base de cet arrangement et se sont toujours tenus à cette ligne de conduite.[Fin de la première partie]
Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « Là où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
Sur le Net :
– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org
– Aide à l’Eglise en détresse Belgique
– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org
– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch