Beaucoup de femmes vivent leur infertilité comme un deuil. Or, il existe beaucoup de façons d’affronter la question, explique le médecin italien Benedetta Foà, psychologue clinique, spécialisée dans les pathologies après un avortement, psychothérapeute en formation, auteur de divers articles sur le syndrome post-avortement et sur l’élaboration du deuil après un avortement, co-auteur de l’ouvrage « Maternità Interrotte – Le conseguenze psichiche dell’IVG » (« Maternité interrompues – Les conséquences psychiques de l’IVG » (par Cantelmi, Cacace, Pittino, éd. San Paolo)
***
Docteur Foà, quelle différence y a-t-il entre la stérilité et l’infertilité?
Benedetta Foà – Ce sont deux concepts différents. La stérilité c’est ne pas pouvoir concevoir et l’infertilité l’impossibilité d’aboutir à une grossesse. Cette différence n’est pas seulement conceptuelle car les recherches effectuées pour connaître les causes et les traitements résolutoires sont différents. Parler d’un couple dans l’impossibilité de concevoir ou d’un couple qui arrive à concevoir mais n’arrive pas à porter une grossesse jusqu’au bout ça n’est pas la même chose.
A propos de ces concepts, stérilité et infertilité, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a établi une terminologie qui renvoie à des références temporelles précises:
– stérilité primaire: absence de grossesse après au moins 24 mois de rapports sexuels réguliers;
– stérilité secondaire: impossibilité de concevoir un autre enfant après une précédente grossesse, après au moins 12 mois de rapports sexuels réguliers;
– infertilité: situation d’une femme qui arrive à avoir une grossesse mais n’arrive pas à mener une grossesse à terme.
L’infertilité est donc l’incapacité de mener à terme une grossesse chez une femme en mesure de concevoir, si bien que la femme peut être enceinte plusieurs fois mais n’arrive pas à mener sa grossesse à terme. Les causes peuvent être de nature organique mais également psychologique.
Pour l’OMS, l’infertilité est une pathologie qui peut donc se soigner.
Que peut signifier pour une femme le fait de ne pas avoir d’enfants?
Le problème de la stérilité/infertilité et donc l’incapacité de se reproduire a toujours existé et il a toujours été vécu par la femme avec honte, comme une punition. On trouve des allusions à cela dans les mythes mais aussi dans la Bible, où la stérilité est vue comme une punition divine. Dans l’Ancien Testament, sont citées tant de femmes qui, ne pouvant pas avoir d’enfant, l’ « arrachent » au ciel en faisant des prières, des suppliques et/ou des pèlerinages. Dans le Nouveau testament on rapporte le cas d’Elisabeth, la cousine de Marie, qui tombe enceinte à un âge avancé. Tout le monde disait qu’elle était stérile et ça la faisait sentir déshonorée. Elisabeth se cache pour mener à terme sa grossesse car elle a honte de devenir mère aussi tard (Lc 1, 24-25).
Aujourd’hui le désir d’avoir un enfant, qui est pourtant un désir naturel, est soumis à de grandes pressions sociales et culturelles, se remplissant de significations et symboles de moins en moins naturels qui sont le reflet de l’évolution de la société. C’est d’ailleurs pour ça aussi que c’est la femme, généralement, qui souffre le plus du fait de ne pas réussir à procréer, d’une part à cause d’héritages passés, d’autre part parce que c’est la femme qui vit la maternité dans tous ses aspects physiques et psychologiques. Le désir de procréer dans un couple voulant des enfants est présent chez les deux parents, mais la femme est celle qui pâtit le plus d’une situation d’infécondité.
Le désir d’avoir un enfant, comme tous les désirs, vient de loin: il est lié aux vécus de notre enfance et a été préparé par des besoins et des choses imaginées précocement et inconsciemment. La non réalisation de ce rêve peut être source de frustration, ceci expliquant en partie le boom aujourd’hui des fécondations in vitro.
Quelles conséquences cela peut-il avoir au niveau psychologique, relationnel et social chez un couple qui vit cette condition d’infertilité ?
L’infertilité, selon les différentes estimations dont nous disposons, est un phénomène qui touche environ 15-20% des couples. Les causes, aussi bien chez la femme que chez l‘homme, sont nombreuses et de nature différente. Le nombre de femmes qui ne peuvent pas concevoir et/ou porter à terme une grossesse est de plus en plus grand.
Bien qu’il y ait beaucoup de raisons de nature biologique (mode de vie, désir d’un premier enfant à un âge avancé, avortements précédents, usage de drogues, abus d’alcool, cigarettes, conditions de travail, pollution), celles de nature psychologique sont tout aussi nombreuses. La condition d’infertilité confronte le couple à des expériences psychologiques, relationnelles et sociales très complexes et souvent liées à un vécu émotif tourmenté. Ce trouble s’exprime de manière différente selon la personnalité du couple: quand la maternité est vécue comme un rôle pour se réaliser personnellement ou socialement, celui-ci peut être très fort. Pour beaucoup de femmes, ne pas avoir d’enfants peut avoir une signification d’échec, peut porter à l’avilissement jusqu’à la perte de l’estime de soi. Si la femme ne trouve son identité qu’en étant mère, et n’arrive pas à voir en elle d’autre valeur, alors la situation psychologique peut prendre des parcours tortueux et douloureux.
L’homme aussi souffre de ne pas pouvoir être père, mais de façon différente. Aujourd’hui, l’homme a de plus en plus conscience de son rôle et de l’importance de sa présence pour les enfants, même s’il est vrai que celui-ci comprend totalement son rôle à la naissance de l’enfant. Ce passage pour la mère commence généralement auparavant. L’absence d’un enfant attendu n’exclut pas l’homme de la souffrance que vit la femme ; mais la manière de réagir face à cette absence peut être vécue différemment, par exemple en tendant à travailler davantage et à moins parler avec sa partenaire.
L’infertilité est un aspect de la vie qui est incontrôlable ; sa découverte peut entraîner toute une sorte d’émotions : surprise, déni, colère, solidement, honte, sentiment de culpabilité jusqu’à la résignation. L’incapacité à faire son deuil, dans ce cas de ne pas être fertile, peut conduire à la dépression et dans certains cas extrêmes jusqu’à la séparation. A ce propos le sociologue Francesco Alberoni affirme que l’enfant est parfois vécu inconsciemment comme un produit de qualité, un luxe, un investissement affectif et émotif qui doit combler un vide, et il explique que ce vide, trop souvent, est en réalité un vide du couple: on veut un enfant et on fait un enfant pour entretenir une relation qui autrement s’épuiserait.
Des études britanniques et américaines affirment qu’après un avortement volontaire il est plus difficile de porter à terme d’autres grossesses, en raisons d’avortements spontanés mais aussi à cause de l’infertilité. Quelles en sont les raisons?
Oui, ces études anglaises et américaines (cf.: http://www.unchioce.info/resources.htm) affirment qu’après un avortement volontaire il est plus courant que la femme n’arrive pas à porter à terme les grossesses suivantes. Cela se traduit par des avortements spontanés ou une infécondité. Une étude publiée sur le British Journal of Obstetric and Gynecology (2006) affirment que chez les femmes qui ont avorté spontanément, 60% ont plus de possibilité d’un avortemen
t spontané.
L’infertilité après un avortement provoqué est due à plusieurs raisons: organiques ou psychologiques. L’utérus peut avoir été endommagé durant l’avortement et la femme n’arrive donc pas à porter à terme les grossesses suivantes qu’elle souhaite. Mais il peut s’agir d’une infertilité secondaire, c’est-à-dire d’ordre psychologique, qui fait que la femme ne tombe pas enceinte ou n’arrive pas à porter à terme sa grossesse même si au plan organique il n’y a pas de problèmes.
C’est-à-dire que des femmes et des hommes sains au plan de la reproduction n’arrivent pas à avoir d’enfants.
Que peut-on faire en cas d’infertilité secondaire?
Le travail du psychologue dans ces cas-là peut être fondamental. Elaborer le deuil d’un enfant que l’on vient de perdre peut être la condition nécessaire pour pouvoir affronter au mieux une autre grossesse. Elaborer les divers traumatismes de la vie en les liant, voire inconsciemment, à la figure maternelle devient dans ces cas un pas nécessaire pour devenir mères. Des liens pathologiques entre mères et filles sont souvent à la base de situations embourbées qui conduisent à un refus de sa propre vie et par conséquent de celle des autres.
J’ai remarqué que des mères incapables de donner un soutien affectif suffisamment bon, « à la Winnicott », mettent au monde des filles psychologiquement fragiles qui, à leur tour, ont du mal à donner la vie. Un travail de counseling avec l’utilisation de l’imaginaire peut arriver en très peu de temps à débloquer des problèmes profonds. Les Expériences Imaginatives (Passerini) ciblées peuvent aider la femme, mais l’homme aussi, à surmonter des blocages ou des traumatismes psychiques liés à la maternité/paternité, et de les affronter avec succès.
Pouvoir donner un nom à la souffrance que l’on éprouve, et verbaliser des vécus souvent jamais dits peut améliorer l’état de santé général et donc augmenter l’estime que l’on a de soi, cela peut aider à mieux vivre, voire même à éliminer le problème d’infertilité, comme on le voit souvent.
(Source: http://www.zenit.org/it/articles/vitanascente.blogspot.it)
Traduction d’Océane Le Gall