« L’intelligence artificielle n’est pas neutre », déclare Mgr Ivan Jurkovic, qui invite à « affirmer notre responsabilité partagée et notre objectif commun de veiller à ce que ces technologies émergentes soient développées et utilisées de manière éthique et pour le bien de l’humanité et de l’environnement ».
Mgr Ivan Jurkovic, représentant permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, est intervenu à la 60e série de réunions des assemblées de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI) à Genève, le 7 mai 2020.
À propos du Covid-19, le représentant du Saint-Siège a souligné le « défi exceptionnel auquel toute la famille humaine est actuellement confrontée ». Il a estimé que « l’ampleur de la réponse doit être à la mesure de la crise et qu’elle doit être multilatérale, les pays faisant preuve de solidarité envers les communautés et les nations les plus vulnérables ».
Voici notre traduction du discours de Mgr Jurkovic.
HG
Discours de Mgr Jurkovic
Monsieur le Président,
- La Délégation du Saint-Siège vous adresse ses sincères félicitations, ainsi qu’au Président du Comité de coordination, pour l’intégrité et la transparence dont vous avez fait preuve tout au long du processus d’élection du Directeur général, en particulier en ces temps troublés. De même, nous voudrions saisir cette occasion pour féliciter tous les travailleurs en première ligne du monde entier qui « offrent un témoignage d’attention et d’amour pour nos prochains, jusqu’à l’épuisement et souvent au détriment de leur santé » (1). C’est également l’occasion de manifester notre profonde gratitude au Dr Francis Gurry pour son engagement en faveur de la propriété intellectuelle en général, pour son leadership et pour les réalisations accomplies au cours des douze années passées au poste de directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Le Traité historique visant à faciliter l’accès aux œuvres publiées, par les personnes déficientes visuelles et les personnes incapables de lire les imprimés, et le Traité de Pékin sur les interprétations et exécutions audiovisuelles, conclu et entré en vigueur pendant son mandat, entre autres, témoignent de sa gestion fructueuse.
- La délégation du Saint-Siège félicite M. Daren Tang pour sa nomination au poste de directeur général de l’OMPI. Compte tenu de ses réalisations et des priorités qu’il a définies avant l’élection, on peut espérer que l’Organisation continuera d’être dirigée dans la bonne direction et qu’elle sera prête à coopérer.
- Le Saint-Siège reconnaît le rôle du système de protection de la propriété intellectuelle dans la promotion de la production littéraire, scientifique ou artistique et, en général, de l’activité inventive au service du « bien commun ». En même temps, il met l’accent sur les dimensions éthiques et sociales qui impliquent de manière unique la personne humaine et son action. Le défi exceptionnel auquel toute la famille humaine est actuellement confrontée démontre que l’ampleur de la réponse doit être à la mesure de la crise et qu’elle doit être multilatérale, les pays faisant preuve de solidarité envers les communautés et les nations les plus vulnérables.
- La crise actuelle a également exposé et mis en évidence la nécessité de communiquer les complexités de la propriété intellectuelle et de la placer dans le contexte des cadres de l’innovation et de la créativité. La délégation du Saint-Siège est convaincue que le nouveau système de recherche sur le COVID-19 de l’OMPI, PATENTSCOPE, constituera un outil essentiel pour diffuser des informations sur les technologies que d’autres pourraient mettre à profit dans la lutte mondiale contre le COVID-19 (2). De telles initiatives constituent une réponse pratique qui fournira aux scientifiques, aux ingénieurs, aux décideurs en matière de santé publique, aux acteurs industriels et au grand public une source de renseignements facilement accessible pour améliorer la détection, la prévention et le traitement de maladies telles que le nouveau coronavirus.
5. Dans les années à venir, la transformation numérique et l’intelligence artificielle vont présenter de nouveaux défis ; l’Organisation et ses services doivent s’adapter d’urgence à ce scénario en constante évolution. L’intelligence artificielle n’est pas « neutre ». Elle est le résultat de l’implication de nombreuses disciplines, chacune impliquant un domaine de responsabilité spécifique. Comme l’a rappelé le pape François, « il faut développer de solides raisons pour promouvoir la persévérance dans la poursuite du bien commun, même lorsqu’aucun avantage immédiat n’est apparent. La production et l’utilisation de l’intelligence artificielle ont une dimension politique qui ne se limite pas à l’expansion de ses avantages individuels et purement fonctionnels (…) Il est nécessaire de créer des corps sociaux intermédiaires qui puissent intégrer et exprimer les sensibilités éthiques des utilisateurs et des éducateurs » (3). La délégation du Saint-Siège estime que les questions d’éthique, de droits de l’homme et de marchés du secteur créatif sont des considérations centrales, à la fois pour réexaminer les objectifs actuels de la politique en matière de propriété intellectuelle dans un monde en mutation et pour affirmer notre responsabilité partagée et notre objectif commun de veiller à ce que ces technologies émergentes soient développées et utilisées de manière éthique et pour le bien de l’humanité et de l’environnement.
Parmi les divers domaines de préoccupation importants que cet organe est appelé à traiter, certains nouveaux débats présentent un intérêt particulier pour cette délégation :
– parvenir à un accord sur le texte d’un instrument juridique international qui assurera la protection efficace des ressources génétiques, des connaissances traditionnelles, des expressions culturelles traditionnelles et du folklore. Le rôle crucial joué par les communautés indigènes en relation avec leurs terres ancestrales appelle un modèle de développement différent qui prenne en considération le lien entre la personne humaine et l’environnement. Au cours de cette période de deux années de négociations, le Saint-Siège considère qu’il est essentiel que la discussion sur l’instrument juridique ne favorise pas seulement l’option préférentielle en faveur des pauvres, des personnes marginalisées et des exclus, mais qu’elle prenne également en considération leur rôle de premier plan. « Les autres doivent être reconnus et estimés précisément parce qu’ils sont autres, chacun avec ses sentiments, ses choix et ses modes de vie et de travail ». Autrement, il en résulterait, une fois de plus, « un plan élaboré par quelques-uns pour quelques-uns » (4), sinon « un consensus sur le papier ou une paix passagère pour une minorité satisfaite ».
– avancer dans la négociation du Traité sur la protection des organismes de radiodiffusion, en tenant compte des rapides évolutions technologiques actuelles. Le service fourni par les radiodiffuseurs et la valeur significative de la radiodiffusion invitent les États membres de l’OMPI à travailler en permanence à l’actualisation du cadre international existant en tenant dûment compte des évolutions technologiques.
– le système du droit d’auteur doit continuer à jouer son rôle essentiel en encourageant et en récompensant la créativité et l’innovation et, en même temps, à prendre en compte les intérêts plus larges de notre société, tels que l’éducation, la recherche, l’accès à l’information et au contenu créatif. La promotion de la qualité et de l’accessibilité de l’éducation dans le monde entier devrait être une priorité pour chaque État membre et, dans ce contexte, les limitations et exceptions sont une question clé à prendre en compte. L’éducation, qui signifie étymologiquement « faire émerger » ou « conduire vers l’extérieur », a un rôle fondamental pour aider les gens à découvrir leurs talents et leur potentiel et à les utiliser au service de l’humanité : chaque personne a quelque chose à offrir à la société et doit être en mesure d’apporter sa contribution. Les défis auxquels notre famille humaine est confrontée aujourd’hui sont mondiaux, dans un sens plus large qu’on ne le pense souvent. Grâce à l’éducation, il est possible non seulement de former les esprits à une vision plus large, capable d’embrasser les réalités éloignées, mais plus encore de reconnaître que la responsabilité morale de l’humanité aujourd’hui ne s’étend pas seulement à l’espace, mais aussi au temps, et que les choix actuels ont des répercussions sur les générations futures.
En conclusion, Monsieur le Président,
Permettez-moi de renouveler les félicitations du Saint-Siège au Directeur général pour son élection et d’exprimer à nouveau notre volonté de collaborer comme d’habitude avec lui et le Secrétariat.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
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- Message du Pape François, Urbi et Orbi, 12 avril 2020.
- Patent Scope COVID 19 Index , lancé le 22 avril 2020, disponible sur https://patentscope.wipo.int/search/en/covid19.jsf
- Pape François, Rencontre avec les participants à l’Assemblée plénière de l’Académie pontificale pour la vie, 28 février 2020.
- Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (24 novembre 2013), 239 : AAS 105 (2013), 1116.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat