Caricature publiée par le quotidien San Francisco Examiner (1933) illustrant la dérive du genre humain sans Dieu

Caricature publiée par le quotidien San Francisco Examiner (1933) illustrant la dérive du genre humain sans Dieu

Gaudium et spes, l’Église en dialogue avec le monde

Quel message Vatican II a-t-il à livrer au monde de ce temps ? (6e partie)

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Une des vérités fondamentales de l’existence humaine sur terre est son appartenance à la communauté. Or, le tissu social peut être composé de pans de qualités différentes, en fonction de l’esprit qui inspire ceux qui les fabriquent. Le commentaire du père Viot de la constitution Gaudium et spes décrit à la fois le contexte social et la visée pastorale du corpus doctrinal. 

 

Chapitre Il La communauté humaine 

Le nº23 fixe les buts du Concile. Tout en reconnaissant les bienfaits des progrès techniques dans les moyens de communication, il les qualifie d’insuffisants pour développer le dialogue fraternel dans la communauté humaine. Le respect de l’homme comme personne pourvue d’une dignité spirituelle est nécessaire et le Concile précise : « La Révélation chrétienne favorise puissamment l’essor de cette communion des personnes entre elles ; en même temps, elle nous conduit à une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale, que le Créateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de l’homme. » 

Et le texte conciliaire renvoie à deux encycliques de Jean XXIII, Mater et Magistra (1961) et Pacem in terris (1963). Le premier texte confirme la Doctrine sociale de l’Église inaugurée par Léon XIII avec l’encyclique Rerum novarum (1891), reprise par Pie XI et Pie XII. À la manière de ses prédécesseurs, Jean XXIII tient compte de l’évolution des situations. Après avoir développé la méconnaissance de l’ordre moral, il précise, à la fin de la troisième partie : 

« Mais l’ordre moral ne peut s’édifier que sur Dieu ; séparé de Dieu, il se désintègre. Car l’homme n’est pas seulement un organisme matériel ; il est aussi un esprit doué de pensée et de liberté. Il exige donc un ordre moral et religieux qui, plus que toute valeur matérielle, influe sur les orientations et les solutions à donner aux problèmes de la vie individuelle et sociale, à l’intérieur des communautés nationales et dans leurs rapports mutuels. 

On a affirmé que, à l’époque des triomphes de la science et de la technique, les hommes pouvaient construire leur civilisation sans avoir besoin de Dieu. La vérité est au contraire que les progrès eux-mêmes de la science et de la technique posent des problèmes humains de dimensions mondiales qui ne peuvent trouver leur solution qu’à la lumière d’une foi sincère et vive en Dieu, principe et fin de l’homme et du monde. » (Mater et Magistra) 

La deuxième encyclique, Pacem in terris, commence par cette affirmation : « La paix sur la terre, objet du profond désir de l’humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s’affermir que dans le respect absolu de l’ordre établi par Dieu ». On le voit donc aisément, ni le pape Jean qui a convoqué ce concile, ni les déclarations de ce dernier n’ont eu la moindre complaisance pour l’erreur magistrale d’un modernisme qui remonte aux Lumières, et qui a surtout frappé la France : établir une société sans Dieu. Nous examinerons ailleurs la situation des pays communistes. Ce texte conciliaire fut achevé en 1965, période qui, grâce au général De Gaulle, donnait à la France une laïcité apaisée. Elle permettait au Concile d’éviter les formules de condamnations et de dire d’une manière positive toute la place que Dieu devait tenir dans la communauté humaine. 

Vers un athéisme radical 

Il faut être d’une singulière naïveté ou jouer la complicité pour ne pas se rendre compte que, depuis lors, les choses ont radicalement changé. La déchristianisation a agi partout en Europe et ses progrès ont incité les tenants de la laïcité à faire de celle-ci une machine de guerre contre le christianisme. Le concile Vatican Il nous fournit tout ce qu’il faut pour critiquer la laïcité actuelle, telle qu’elle sévit en France. Aucun catholique ne devrait dire qu’elle constitue une chance, car elle est en réalité un malheur qui contribuera à faire disparaître la France et peut-être bien l’Europe. 

Et si j’ai tenu à donner des extraits de ce que le texte conciliaire appelle en 1965 « de récents documents du Magistère » (nº23, §2), c’est parce qu’ils me semblent complètement oubliés aujourd’hui. Le texte conciliaire a pu simplement les mentionner, sans citer les textes, car ils étaient dans les mémoires des Pères de Vatican II. Comme tout texte pontifical, ces documents conservaient une autorité normative dans l’Église, sans qu’il soit nécessaire de le répéter. Ici leur simple mention exige que l’interprétation des développements qui suivent se fasse à leur lumière. 

Le caractère communautaire de la vocation humaine…

Le titre du nº24 l’indique clairement : « Caractère communautaire de la vocation humaine dans le plan de Dieu ». Tout comme la suite qui fonde la fraternité humaine sur la paternité de Dieu et montre l’impossibilité de vivre en communauté sans Dieu. L’Ecriture, pour sa part, enseigne que l’amour de Dieu est inséparable de l’amour du prochain : « … tout autre commandement se résume en cette parole ; tu aimeras ton prochain comme toi-même… La charité est donc la Loi dans sa plénitude (Rom 13,9-10; cf 1Jean 4,20). » Il est bien évident que cela est d’une extrême importance pour des hommes de plus en plus dépendants les uns des autres et dans un monde sans cesse plus unifié. » Et avec cet exemple le Concile énonce une vérité chrétienne à laquelle la raison seule, sans la foi peut accéder. 

Ensuite il va procéder par comparaison en énonçant une vérité de foi dépassant certes la raison, mais pouvant trouver une application rationnelle dans notre monde. À partir de la prière sacerdotale (Jean 17, 21-22), dans laquelle Jésus exhorte ses disciples à l’unité à la ressemblance de son unité avec le Père, le Concile en déduit, à partir de ce que Jésus suggère, « qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. » 

Ces quelques exemples tirés du texte même de Gaudium et spes le placent dans la suite des deux encycliques de Jean XXIII. Le Magistère n’a donc pas renoncé aux positions de Pie X et Pie XI : il les présente autrement. Dieu doit garder sa place dans la société. Et, pour reprendre l’exigence du Concile, « le don désintéressé de lui-même », elle a facilité longtemps la vie associative, y compris dans l’Église. J’ai connu en 1970 des bureaux de diocèses occupés par de jeunes ou moins jeunes retraités compétents. Le bénévolat était par ailleurs très pratiqué. Aujourd’hui nous sommes dans une société radicalement différente.

Interdépendance de la personne et de la société

Le nº25 incite à tirer les conclusions de son titre, notamment en s’engageant dans la vie sociale afin de connaître ses règles. Cela vaut pour tous les membres de l’Église, y compris le clergé qui souvent donne l’impression d’être bien naïf en matière politique et sociale. Une importante manifestation de rue peut se révéler utile. Mais ce n’est pas dans la rue qu’on décide des lois, et il devient obligatoire de s’y intéresser quand celles-ci ont des conséquences directes sur la pratique de la foi et le témoignage qui en découle. 

La France a connu des épisodes législatifs qui ne pouvaient laisser les chrétiens indifférents et où un engagement de l’Église était nécessaire. Intervenir, en ayant une chance d’obtenir gain de cause, exige de connaître certains mécanismes politiques propres au pays dans lequel on se trouve. D’où l’intérêt de fréquenter un parti politique. La France n’en manque pas, les catholiques ont le choix. Car, compte tenu de l’histoire très particulière à la France des relations de l’Église avec l’État, je jugerai peu réaliste de créer un parti politique catholique, comme le fut en Allemagne le Zentrum avant la deuxième guerre mondiale. 

Plusieurs partis politiques existent déjà et, compte tenu de ce qui a été vécu ces dernières années, ils vont obligatoirement être amenés à des changements. Et comme depuis 1965, l’interdépendance se joue au niveau européen, ce sont tous les pays de l’union européenne qui sont concernés. Enfin, si l’on ajoute cette réalité incontournable qu’est la guerre commerciale – et qui n’est pas sans lien avec la guerre avec armes – c’est toute la planète qui est concernée. Et ce n’est pas forcer les choses que de penser qu’en 1965, au moment où se terminait le Concile, la guerre froide existait toujours entre les deux blocs. Il y a peu de doute que les Pères conciliaires avaient en tête la mondialisation, certes imaginée autrement qu’aujourd’hui. C’est bien ce dont traite le nº26. 

Dans une perspective de mondialisation

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, les enjeux internationaux ont changé considérablement. Force est de constater que la diplomatie internationale n’a pas été à la hauteur, si l’on en juge par l’existence de certaines guerres. Plus que jamais, la direction de l’Église catholique par le Saint-Siège apparaît, pour qui connaît un peu l’histoire, comme une grâce. En matière de diplomatie, le Saint-Siège en effet possède une ancienneté et une expertise inégalée, susceptible d’inspirer une grande confiance, au-delà des frontières du catholicisme. D’autant plus qu’il est dégagé de la responsabilité de défendre de grands États pontificaux. Le pape reste néanmoins le chef de l’État de la Cité du Vatican. 

Dès 1941, emprisonné par le régime de Vichy, Léon Blum écrivait : 

« Je serais conduit ici, par la logique du raisonnement comme par l’association des idées, à envisager, au sein du corps international, l’opportunité d’une autre présence. C’est à la cour de Rome que je pense, au Saint-Siège apostolique. Sa participation au même titre que celle des États serait par elle-même le signe le plus éclatant que, dans l’univers de demain, d’autres puissances compteront que les puissances temporelles. Sa coopération active permettrait de hausser sur un plan supérieur et de régler par des « concordats » généraux toutes ces catégories de litiges avec les États qui, à l’intérieur du cadre national, altèrent la vie politique et conduisent à d’insupportable conflits. »

Et de poursuivre : 

« Ce rôle conviendrait assurément à une Église qui est pacifique par essence, puisqu’elle incarne une religion de paix et qui l’est aussi par fonction, si je puis dire, puisque sa constitution même est d’ordre international. L’influence pontificale s’est toujours exercée et s’exerce encore en faveur d’une paix organique, fondée sur la justice, sur l’égalité des peuples et des hommes, sur la sainteté des contrats. 

Le premier discours public qu’ait prononcé le pape Pie XI après les accords de Latran du haut de la loge de Saint-Pierre, était une adjuration pathétique à la paix. La paix est nécessaire à l’Église, et il n’est pas moins certain que le concours de l’Église serait infiniment profitable à l’œuvre d’organisation pacifique » (1)

Et de fait, l’Église occupera une place particulière à l’ONU, et saura toujours prendre des positions intelligentes sur le plan international. Celles-ci doivent bien sûr être relayées et cela concerne particulièrement les catholiques en charge de responsabilités. 

Cela dit les prêtres ne sont pas contraints à la neutralité absolue concernant les partis politiques. Pourvu qu’ils n’en soient pas les figures de proue, ils peuvent y agir, en particulier quand de graves problèmes se posent. Par exemple, quand le service public est déficient vis-à-vis les soins médicaux, de l’éducation ou de la sécurité et quand l’excès de libéralisme (lors du durcissement d’une guerre commerciale) menace de misère un grand nombre de personnes. Ou encore quand il s’agit de lois opposées à la loi naturelle et blessant les consciences de nombreux citoyens, la neutralité est impossible. 

La mission auprès des plus pauvres

Le nº27 est une réponse à la question du docteur de la loi qui a suscité la parabole du Bon Samaritain, « et qui est mon prochain ? » Le Concile demande à chacun de « considérer son prochain, sans aucune exception, comme un autre lui-même ». Et quand je poursuis ma lecture et que je tombe sur l’affirmation « De nos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme… », je me dis que la situation s’est sérieusement dégradée depuis 1965. La soupe populaire et autres initiatives du même genre, n’avait rien à voir avec les restos du cœur créés en 1985. À cette date ils avaient servi 8,5 millions de repas. En 2023-2024, c’était 163 millions. Cela signifie une augmentation constante de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté, au point de ne pas pouvoir se nourrir, en France, sans être assistés. 

Devant une telle misère, il est indécent pour l’Église de ne faire appel qu’à « l’esprit de charité ». Ce qu’a écrit le Concile dans les chapitres précédant celui-ci oblige à se tourner vers le pouvoir politique, au sein du système qui est le nôtre et qui comporte des partis politiques et des élections. 

Quant au §3, il nous plonge en pleine actualité avec sa qualification « d’infâmes » toutes les pratiques qui s’opposent à la vie. En 1965, le Concile nomme l’homicide, l’avortement, l’euthanasie, le suicide délibéré etc. Et il se trouve aujourd’hui des catholiques qui éprouvent « des états d’âme » pour condamner et sanctionner ces pratiques que le Magistère qualifie d’infâmes !

Respect et amour des adversaires

Le nº28 à ce propos a souvent été mal compris. Il n’est absolument pas question de droit à l’erreur, ni de relativisme. Le texte le précise : « Certes, cet amour et cette bienveillance ne doivent en aucune façon nous rendre indifférents à l’égard de la vérité et du bien. Mieux, c’est l’amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à tous les hommes la vérité qui sauve. Mais on doit distinguer entre l’erreur, toujours à rejeter, et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de personne, même s’il se fourvoie dans des notions fausses et insuffisantes en matière religieuse. » Et le texte nous renvoie à Pacem in terris qui donne les raisons de cette tolérance : 

« C’est justice de distinguer toujours entre l’erreur et ceux qui la commettent, même s’il s’agit d’hommes dont les idées fausses ou l’insuffisance des notions concernent la religion ou la morale. L’homme égaré dans l’erreur reste toujours un être humain et conserve sa dignité de personne à laquelle il faut toujours avoir égard. Jamais non plus l’être humain ne perd le pouvoir de se libérer de l’erreur et de s’ouvrir un chemin vers la vérité. Et pour l’y aider le secours providentiel de Dieu ne lui manquera jamais. » (2) 

Nous avons un bel exemple de tolérance fondé sur la foi et l’amour de Dieu et non sur l’indifférence : c’est un court passage du testament de Louis XVI, écrit le 25 décembre 1792, à peine un mois avant son exécution. Après avoir rappelé sa soumission aux Autorités légitimes de l’Église catholique, le roi captif écrivit : « Je plains de tout mon cœur nos frères qui peuvent être dans l’erreur, mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus-Christ, suivant ce que la charité chrétienne nous l’enseigne, et je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés. ». 

Je rappelle qu’en 1787, le roi avait accordé l’état civil aux protestants et se préparait à faire la même chose pour les Juifs ! J’attire aussi l’attention sur le fait qu’en donnant le qualificatif de « frères » à ceux qui peuvent être dans l’erreur, le roi ne leur ôte pas la qualité de personne humaine. La Révolution le fera en qualifiant le roi de « monstre dans la nature », et les Vendéens de « brigands », tous des gens inaptes à participer au contrat social, donc à supprimer ! Si effectivement certains philosophes des Lumières prônèrent la tolérance, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne la pratiquèrent pas ! 

Le §3 doit être bien compris, tout comme les textes du Nouveau Testament dont il s’inspire. Ils ne remettent pas en cause certains devoirs d’état. Par exemple, un soldat chrétien devra prier pour ses ennemis, mais cela ne devra pas l’empêcher de faire son devoir en usant de ses armes à l’encontre de ses adversaires. Il est en état de légitime défense et remplit son contrat de défense de ses concitoyens, mais le combat terminé il suivra les conseils de Jean Baptiste en Luc 3, 24 : « ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde. » 

1) Léon Blum, A l’échelle humaine, édition Le bord de l’eau 2021, (présentation inédite de Milo Lévy-Bruhl), p. 207.

2) Denz. 3997, p. 852 

 

Gaudium et spes, l’Église en dialogue avec le monde

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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