Le cardinal Gianfranco Ghirlanda, jésuite, canoniste et professeur émérite à l’Université pontificale grégorienne, ancien recteur de l’Athénée et conseiller auprès de nombreux dicastères du Vatican, propose une réflexion approfondie sur trois notions souvent confondues, mais distinctes : le Saint-Siège, la Cité du Vatican et la Curie romaine, tant du point de vue juridique que diplomatique.
À l’occasion du Jubilé du Saint-Siège, il précise que « la diplomatie du Saint-Siège n’a de sens que si elle reste au service de la personne et de la paix, » offre une méditation sur la signification du Jubilé : une occasion de relire la nature, la mission du Saint Siège et la pertinence de la Curie romaine à la lumière de l’Évangile et de l’histoire.
« La diplomatie du Vatican ne défend pas des intérêts, mais promeut la personne humaine », déclare-t-il, soulignant la valeur d’une Église synodale et proche.
Votre Éminence, le Saint-Siège est souvent confondu avec l’État de la Cité du Vatican, pourriez-vous nous aider à clarifier ce point ?
Le Saint-Siège, ou Siège apostolique, peut désigner à la fois la personne du pape et la Curie romaine, selon le contexte. Il est essentiel de distinguer le Saint-Siège, entendu comme le centre de gouvernement de l’Église, de l’État de la Cité du Vatican, institué par les pactes du Latran le 11 février 1929 pour garantir au pontife une pleine liberté dans l’exercice de son ministère. Dès 1871, l’État italien a promulgué la loi des garanties, un acte unilatéral destiné à régler les relations avec le Saint-Siège, mais qui a été rejeté par Pie IX parce qu’il subordonnait le pape à l’autorité italienne. Ce n’est qu’en 1929, par le biais d’un accord bilatéral, qu’une réglementation définitive a été mise en place. C’est le Saint-Siège, et non l’État du Vatican, qui dispose d’une subjectivité juridique internationale et entretient des relations diplomatiques.
[La définition du Saint-SiègeLe Saint-Siège est un sujet de droit international distinct de l’État de la Cité du Vatican. Il entretient des relations diplomatiques avec plus de 180 États, participe en tant qu’observateur permanent aux Nations unies et conclut des traités internationaux. Contrairement aux États, son rôle repose sur la mission spirituelle du pape en tant que pasteur de l’Église universelle.
L’État de la Cité du Vatican, quant à lui, est né des Pactes du Latran de 1929 pour garantir l’indépendance du ministère pétrinien].
Le centralisme romain est souvent critiqué. Que répondez-vous à cette observation à la lumière de la Constitution apostolique, Praedicate Evangelium, sur la curie romaine, promulguée par le Pape François en 2022 ?
La structure concrète du gouvernement de l’Église évolue au fil du temps, s’adaptant aux changements historiques, tout en maintenant inchangés les principes fondamentaux révélés. Praedicate Evangelium s’inscrit dans une dynamique de décentralisation,, déjà souhaitée par le Concile Vatican II. Cependant, sa mise en œuvre complète nécessite du temps.
La fonction du gouvernement central, confiée au Saint-Siège, est de sauvegarder l’unité de la foi, des sacrements et de la morale.
Cette fonction doit cependant être harmonisée avec l’autonomie et la responsabilité pastorale des Églises particulières, confiées aux évêques. La synodalité, fortement encouragée par le pape François, est un moyen concret de renforcer cette harmonie. Le récent Synode, construit à partir des paroisses, en est un exemple éloquent.
Comment éviter l’opposition entre centre et périphérie…
Il est essentiel de ne pas opposer les deux dimensions, mais de reconnaître leur co-essentialité. Les Églises particulières ne sont pas de simples articulations administratives de l’Église universelle, ni les évêques de simples fonctionnaires du pape. Elles ont une consistance de droit divin, comme l’Église universelle. De même, une vision exclusivement locale risque de réduire l’Église universelle à une fédération d’Églises indépendantes, perspective théologiquement erronée. Le véritable équilibre consiste à reconnaître que l’Église est à la fois universelle et particulière.
Lorsque l’accent est mis sur un aspect au détriment de l’autre, la vision catholique de la communion ecclésiale est compromise.
Quels défis concrets voyez-vous dans la mise en œuvre de Praedicate Evangelium dans la vie quotidienne de la Curie ?
Comme pour tout texte législatif, la validité et l’efficacité d’une réforme se vérifient au moment de sa mise en œuvre. Praedicate Evangelium doit être mis en œuvre progressivement, en tenant compte des corrections et ajustements nécessaires qui émergeront de l’expérience. Il s’agit d’une étape physiologique et saine du processus de réforme.
[ Distinctions entre le Vatican, le Saint-Siège, et la Curie romaine :
- L’État de la Cité du Vatican est le plus petit pays du monde. Il est le petit terrain souverain, au cœur de la ville de Rome, qui garantit au pape une liberté et une indépendance totales.
- Le Saint-Siège est le gouvernement central de l’Église, dirigé par le pape et la Curie romaine.
- La Curie romaine est l’ensemble des dicastères qui assistent le pape dans son service à l’Église universelle.
A noter : Seul le Saint-Siège possède la personnalité juridique internationale et représente officiellement l’Église dans ses relations avec les autres États. ]
Quelle est l’origine du rôle international du Saint-Siège ?
Réponse : Le Saint-Siège a acquis une importance internationale en raison de sa nature spirituelle. À partir du IVe siècle, avec la reconnaissance de la liberté religieuse pour le christianisme, l’Église a commencé à établir des relations avec l’autorité impériale.
Après la chute de l’Empire romain d’Occident, elle est restée la seule force unitaire au milieu du chaos politique, assumant progressivement un rôle de plus en plus visible au niveau international également.
À partir du Ve siècle, des figures telles que les apocrisiaires, représentants du pape auprès des autorités civiles, sont apparues. Au cours des siècles suivants, les États pontificaux, les légats missi et, au XVe siècle, les premières nonciatures se sont développées. L’histoire a attribué au Saint-Siège une fonction diplomatique, enracinée toutefois dans sa mission spirituelle : promouvoir la paix, défendre les droits de l’homme et protéger la dignité de la personne.
La diplomatie vaticane a-t-elle des caractéristiques uniques ?
Je la définirais comme une diplomatie humanitaire. Elle n’est pas orientée vers la protection des intérêts du pouvoir, mais vers la promotion de la personne humaine. En ce sens, le Saint-Siège a la tâche parfois inconfortable de dénoncer les violations des droits fondamentaux où qu’elles se produisent. L’expérience acquise au cours des siècles est précieuse, mais elle doit toujours rester au service de l’Évangile.
Est-il plus difficile d’exercer cette fonction sans les instruments typiques d’un État ?
Sans aucun doute, mais c’est précisément cette condition qui renforce la spécificité de la mission. Le Saint-Siège est appelé à agir dans le monde, sans se permettre d’être mondain. C’est là qu’intervient le discernement. Comme l’enseigne saint Ignace, les moyens doivent rester les moyens. S’ils deviennent la fin, la cohérence évangélique est perdue. Lorsque les instruments mondains prennent le dessus, l’Église risque de perdre son identité et de défendre le prestige et le pouvoir au lieu de la personne humaine. Cela constituerait un grave échec de sa mission.