Mgr Philippe Bordeyne, président de l'Institut Jean-Paul II depuis 2021 © Mgr Philippe Bordeyne

Mgr Philippe Bordeyne, président de l'Institut Jean-Paul II depuis 2021 © Mgr Philippe Bordeyne

Mgr Philippe Bordeyne : « L’Église peut proposer la beauté et accompagner la fragilité de la famille »

Interview du président de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille

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Alors que 60 000 fidèles sont attendus à Rome du 30 mai au 1er juin 2025 pour le Jubilé des familles, Zenit a rencontré Mgr Philippe Bordeyne, président de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille.

Théologien moraliste français et auteur de nombreux ouvrages dont « Familles en quête de Dieu », Mgr Bordeyne est président de cet Institut international depuis 2021. Son mandat a été renouvelé pour quatre ans par le nouveau grand chancelier de l’Institut, le cardinal Baldassare Reina, suite à une rencontre avec les professeurs de l’Institut mardi 27 mai.

 

Zenit : Comment êtes-vous devenu président de l’Institut pontifical Jean-Paul II ?

Mgr Philippe Bordeyne : Je suis prêtre du diocèse de Nanterre. J’ai été dix ans aumônier de l’enseignement public dans les collèges, les lycées, et aumônier d’étudiants. Étant théologien moraliste, je suis devenu professeur à l’institut catholique de Paris, notamment sur les questions familiales, mais surtout sur les questions de morale fondamentale. J’ai ensuite été élu doyen de la faculté de théologie à l’Institut catholique de Paris, puis recteur pendant dix ans, tout en étant responsable de la pastorale familiale et de la préparation au mariage dans mon diocèse.

L'Institut Jean-Paul II a ses locaux au sein de l'Université du Latran © Anne van Merris

L’Institut Jean-Paul II a ses locaux au sein de l’Université du Latran © Anne van Merris

Toute ma vie de prêtre, j’ai travaillé sur les questions de la vie et de la famille. Et il se trouve que j’ai été invité comme expert dans plusieurs synodes : en 2015, j’ai participé au Synode sur la famille, puis au Synode sur les jeunes en 2018, et au Synode sur la synodalité en 2023 et en 2024. Du coup, j’ai participé à quatre synodes avec le pape François !

C’est certainement pour cela que j’ai été appelé à Rome quand l’Institut pontifical a eu besoin d’un nouveau président. Je n’avais pas terminé mon mandat de recteur à Paris, et je ne parlais pas un mot d’italien. J’ai donc dû me jeter à l’eau !

Zenit : Quand a été fondé l’Institut Jean-Paul II, et quelle est sa vocation ?

Mgr Ph. Bordeyne : Le pape Jean-Paul Ier a eu la toute première intuition : il voulait convoquer un synode sur la famille, mais son pontificat n’a duré que 33 jours. Lorsque le pape Jean-Paul II a été élu en octobre 1978, il a découvert le projet de son prédécesseur. Il a repris l’idée et a convoqué un synode sur la famille en octobre 1980.

Lors de l’audience générale du 13 mai 1981, le pape Jean-Paul II a annoncé la création de l’Institut et, fait très émouvant, il fut victime quelques instants plus tard de l’attentat sur la place Saint-Pierre. En novembre 1981, il a publié une exhortation apostolique post-synodale Familiaris consortio et l’Institut de théologie Jean-Paul II a été doté de ses statuts.

Étant lui-même un universitaire, il a eu cette inspiration formidable d’en faire un institut spécialisé de deuxième et troisième cycles, sans cursus de formation initiale, afin de former des personnes qualifiées sur le sujet du mariage et de la famille. Le but étant que ces personnes puissent ensuite transmettre dans les séminaires, les universités, les facultés ou les diocèses.

Saint Jean-Paul à l'initiative de cet Institut © Anne van Merris

Saint Jean-Paul II à l’initiative de cet Institut © Anne van Merris

Plus tard, le pape François a redéployé l’idée de saint Jean-Paul II. Après le Synode sur la famille de 2015 et la publication de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, il a voulu donner une impulsion nouvelle pour que les orientations prises avec les évêques puissent irriguer les capacités institutionnelles de cet Institut international.

Nous avons fait une enquête pour connaître l’évolution de nos anciens étudiants et ce qu’ils font aujourd’hui. Sur les trois dernières années, la moitié d’entre eux sont devenus professeurs principalement dans les séminaires, parfois dans les facultés, et la moitié sont responsables de la pastorale familiale au niveau diocésain ou national.

Zenit : Quel est le profil de vos étudiants ?

Mgr Ph. Bordeyne : Nous recevons principalement des prêtres qui sont envoyés par leurs évêques ou leurs supérieurs religieux. Nous avons également beaucoup de religieuses, qui peuvent obtenir une licence canonique spécialisée en sciences du mariage et de la famille, et éventuellement obtenir par la suite un doctorat canonique. Dans ce cas-là, on ne leur demande pas d’avoir obtenu le baccalauréat canonique de théologie, auquel trop peu d’entre elles ont la chance de pouvoir se préparer.

Nous accueillons aussi des étudiants laïcs, pour la plupart des Italiens. La formation des laïcs étant une priorité, nous leur offrons quelques bourses, mais nos fonds ne sont pas indéfinis. Nous recevrons par exemple l’an prochain un couple de psychologues du Chili. Nous avons aussi formé un couple colombien qui dirige actuellement la pastorale des jeunes à Bogota. Cette année, une jeune femme boursière vient du Pakistan où elle travaillait avec les familles chrétiennes appartenant à une minorité ethnique.

Une autre particularité de l’Institut Jean-Paul II est qu’il est non seulement présent à Rome, mais aussi dans six autres pays sur quatre continents. Je travaille avec les vice-présidents des sections présentes aux États-Unis, au Mexique, au Brésil, au Bénin, en Inde et en Espagne. Nous pouvons donc également former les professeurs de 3 autres centres associés. Je n’ai pas pu encore visiter toutes les sections, mais c’est en projet. Début mars, j’ai pu passer quelques jours au Bénin pour travailler avec les étudiants et professeurs qui œuvrent localement au service des familles.

Zenit : Comment est reçu l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille par les différentes cultures ?

Mgr Ph. Bordeyne : L’idée est qu’on puisse en effet diffuser l’Évangile de la famille et du mariage dans les différentes cultures, aider les peuples à faire des pas supplémentaires, comme par exemple acquérir une certaine liberté par rapport à l’argent – pensons au problème de la dot qui a pris des proportions inconsidérées dans certaines régions d’Afrique.

Le pape Jean-Paul II a multiplié les voyages apostoliques, cherchant toujours à entrer dans les cultures qu’il venait rencontrer. Je pense que c’est aussi notre devoir, plus de 40 ans après la fondation de l’Institut, de revisiter, de relire ses intuitions pour qu’aujourd’hui, elles puissent féconder l’Église dans un monde où les cultures risquent d’être étouffées par la mondialisation.

Le pape François avec Mgr Philippe Bordeyne en octobre 2022 © Vatican Media

Le pape François avec Mgr Philippe Bordeyne en octobre 2022 © Vatican Media

Je pense notamment à ses deux voyages en Corée, en 1984 et 1989 : le pape Jean-Paul II a dynamisé l’Église de Corée d’une manière exceptionnelle parce qu’il a compris qu’elle était son histoire si singulière. Elle n’a pas été fondée par des prêtres, mais par des laïcs venant de Chine et ayant donné leur vie pour la croissance de l’Évangile.

D’un autre côté, l’Évangile du mariage et de la famille se nourrit de l’expérience des Églises locales qui grandissent dans des cultures différentes. C’est la touche supplémentaire apportée par le pape François. Un de mes étudiants camerounais travaille sur les liturgies traditionnelles du mariage pour voir comment leur donner plus de place. Pensons aussi qu’en Inde, en Asie et en Amérique latine, le mariage n’est pas seulement le choix de deux personnes, mais le choix et la rencontre de deux familles.

Zenit : Quels sont les enjeux principaux de l’institut Jean-Paul II et vos désirs pour l’avenir ?

Mgr Ph. Bordeyne : Les enjeux majeurs sont la recherche, la formation et l’ouverture internationale. Aujourd’hui la recherche ne se fait plus seulement entre le doctorant et son professeur, c’est un apprentissage mutuel et collégial. La première chose que j’ai faite en arrivant ici fut de rencontrer tous les professeurs et d’étudier ce qu’avaient fait mes prédécesseurs. Nous devons continuer à scruter l’enseignement des papes Jean-Paul II, Benoît XVI et François, en prêtant attention aux synodes sur la famille.

Une université est une communauté faite d’étudiants, de professeurs et d’un personnel non enseignant. Nous formons une vraie famille pour accompagner ensemble des étudiants venant de loin, qui se sentent parfois perdus quand ils arrivent. Ils ont une image de ce que devrait être la famille et le mariage, et ils découvrent notre société occidentale avec une sexualité affichée, la baisse du mariage, la baisse de la fécondité…

Le concept de collégialité universitaire avait besoin d’être inscrit dans les Statuts de l’Institut, y compris avec ce qu’il implique au plan international. Notre mission ne se limite pas à diffuser la théologie européenne, elle consiste aussi à recueillir le meilleur des autres pensées. Par exemple, pour travailler aujourd’hui sur l’impact des migrations sur les familles, on a besoin de s’appuyer sur le réseau international de l’Institut.

Il nous faut former des personnes dans l’esprit de cette Église synodale que le pape Léon XIV a mentionnée dès sa première prise de parole. Cela veut dire être capable d’écouter les gens, de les valoriser et de les mettre en réseau. Ce qui est très important aujourd’hui, c’est le rapport entre l’Église et les familles : comme le Concile Vatican II nous l’a appris, les familles chrétiennes sont « pour ainsi dire des églises domestiques ». Si elles sont isolées, elles sont perdues, et si l’Église ne les écoute pas, elle se perd. D’où la nécessité d’une formation chrétienne à partir de la mise en réseau.

Face aux grands changements que nous connaissons dans le monde, les familles doivent faire preuve de créativité. Le pape François venait lui-même d’une famille unie du côté paternel, mais compliquée du côté maternel. Il a connu cette double racine familiale : à la fois la beauté et la fragilité de la famille. Je pense sincèrement que l’Église peut, elle aussi, proposer la beauté et accompagner la fragilité.

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Anne van Merris

Journaliste française, Anne van Merris a été formée à l'Institut européen de journalisme Robert Schuman, à Bruxelles. Elle a été responsable communication au service de l'Église catholique et responsable commerciale dans le privé. Elle est mariée et mère de quatre enfants.

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