Ce jeudi 8 mai 2025, le pape Léon XIV a été élu après quatre tours de scrutin. Il est apparu le soir même aux côtés de ses frères cardinaux au balcon de la basilique Saint-Pierre, provoquant la surprise et la joie du monde entier.
Ce dernier conclave a réuni à huis clos 133 cardinaux venant de 71 nations. Parmi eux, le cardinal français Philippe Barbarin, archevêque émérite de Lyon, qui participait à son 3e conclave. Zenit – Le monde vu de Rome l’a rencontré.
Zenit : Éminence, quand êtes-vous arrivé à Rome et comment vous êtes-vous préparé au Conclave ?
Cardinal Philippe Barbarin : Comme beaucoup d’autres cardinaux, je suis arrivé quand j’ai appris la mort du pape. Nous avons eu du temps pour nous installer progressivement dans la maison Sainte-Marthe. Malheureusement, nous avons chassé les habitants habituels, car cette maison est entièrement consacrée aux conclavistes.

Le cardinal Barbarin prêtant serment le 7 mai 2025, au début du conclave © Vatican Media
Je suis tout d’abord allé prier sur les tombes de saint Pierre, de saint Jean XXIII et de saint Jean-Paul II. Je les ai aimés énormément tous les trois, mais celui qui m’a le plus marqué étant enfant, c’est Jean XXIII. J’ai donc gardé cette affection d’enfant pour lui.
L’autre grande figure marquante est saint Jean-Paul II, que j’ai bien connu avant qu’il ne fût pape. Aller prier sur sa tombe, c’est quelque chose que je ne manque jamais de faire quand je rentre dans la basilique Saint-Pierre. Là, c’était une manière pour moi de parler au grand frère de celui qu’on va élire.
Entre cardinaux, nous avons eu ensuite de longs temps d’échanges intéressants et fraternels, nous donnant un panorama universel de la vie de l’Église dans le monde actuel. Nous nous sommes découverts les uns les autres par de longues sessions le matin et l’après-midi. C’était l’occasion de recevoir des échos du monde entier et de voir où en est l’Église catholique. Pendant les congrégations générales, nous parlions et écoutions beaucoup, mais personne ne savait rien pour la suite !
Zenit : Comment se sont déroulés les votes ?
Cardinal P. Barbarin : Un conclave est finalement assez simple et peut se résoudre relativement vite. Il y a peu d’esprit de parti : je vote juste pour une personne, car je pense que cette personne peut aujourd’hui être le successeur de Pierre dont l’Église a besoin.
Le conclave a débuté un soir, et c’était fini dès le lendemain soir. On n’a pas trop traîné ! Quand il y a quatre ou cinq votes, ce n’est pas beaucoup. On m’a raconté qu’un conclave au 13e siècle avait duré deux ans, car les cardinaux n’arrivaient pas à s’entendre ! Donc là, je pense que c’est un beau témoignage.

Ce conclave a réuni 71 nationalités, reflétant l’universalité de l’Église © Vatican Media
Le premier jour, on a eu un vote dans l’après-midi, vers 16h30. À partir de là, tout a changé évidemment. Il n’y avait plus de grandes discussions entre nous, sauf des conversations privées. Et c’est seulement après ce premier vote que nous avons découvert combien il y avait de voix pour un untel ou untel. Je connaissais bien certains cardinaux, et d’autres pas bien ou même pas du tout. Mais aucun d’entre eux ne m’a dit pour qui il allait voter. Personne n’a fait campagne !
J’ai vu que celui auquel je tenais ne passerait pas. Le jour suivant, il y a eu deux votes par demi-journée, et c’est là que les choses se sont précisées. Les voix sont allées dans plusieurs directions. Du coup, j’ai choisi l’un des cardinaux qui me paraissait le plus remarquable.
Zenit : Combien de conclaves avez-vous vécu ?
Cardinal P. Barbarin : C’était la troisième fois que participais à un conclave ; ce sont les circonstances qui ont fait cela. Nous ne sommes que cinq à avoir connu les trois derniers conclaves. Ayant été créé cardinal par le pape Jean-Paul II en 2003, je me suis trouvé participant à l’élection du pape Benoît XVI, puis à celles du pape François avant celle de Léon XIV. Tous les cardinaux n’en vivent pas autant : certains n’ont même jamais participé à un conclave.

En Juin 2018, avec le cardinal malgache Désiré Tsarahazana © facebook.com/CardBarbarin
J’ai été énormément marqué par le conclave qui a suivi la mort de saint Jean-Paul II, dont le pontificat avait été très long. C’était extrêmement fort. Peut-être m’a-t-il impressionné davantage parce que c’était mon premier conclave. Après, immanquablement, on devient un peu un « habitué » !
Les papes se suivent et ne se ressemblent pas. Le pape Benoît XVI n’avait pas le même style que Jean-Paul II. Et le pape François est arrivé ensuite, venant du continent le plus chrétien du monde, l’Amérique latine. C’est beau de voir que l’Église suit l’histoire de l’évolution des peuples et des communautés chrétiennes.
Le « centre » du catholicisme se trouvait auparavant en Italie, en Espagne ou en France, mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, on connaît le poids de l’Afrique qui compte de plus en plus, et le poids de l’Amérique latine.
Zenit : Qu’est-ce qui vous marque à chaque fois le plus dans un conclave ?
Cardinal P. Barbarin : Ce sont des moments très émouvants, avec tous ces pays représentés et cette Église riche et variée. Cela permet de se décentrer de sa propre mission locale, d’avoir une vision de l’universalité de l’Église catholique incroyable. Une vision large, où la grâce de Dieu circule. C’est quelque chose de magnifique.
Je me souviens, lors du précédent conclave, qu’il y avait l’évêque de Hong Kong et l’évêque de Pékin. L’évêque de Hong Kong avait commencé à parler, et ensuite l’évêque de Pékin avait dit exactement le contraire !… Ce n’était pas étonnant, parce qu’ils venaient d’endroits sociologiques et religieux très différents. Moi, je me disais : « Le chinois, c’est du chinois ! » C’est difficile de tout comprendre… Mais c’était quand même tellement important d’entendre ces deux voix si contrastées du plus grand pays du monde.
Zenit : Comment avez-vous accueilli l’élection du pape Léon XIV, et que vous inspire-t-il pour l’avenir de l’Église ?
Cardinal P. Barbarin : Je ne connaissais pas le pape Léon XIV auparavant. Je ne crois pas l’avoir vu et lui avoir parlé de manière personnelle, d’autant plus qu’il a été nommé cardinal il n’y a pas très longtemps, en septembre 2023. Il est d’Amérique du Nord, mais sa terre pastorale a été pendant longtemps l’Amérique latine.

Avec le pape François, en janvier 2016 © facebook.com/CardBarbarin
Quand quelqu’un est parti aussi longtemps dans un pays si différent, on voit que c’est quelqu’un qui sait s’adapter, qui n’est pas centré sur lui-même. C’est un atout. On voit aussi cette grande question des différents mondes à réconcilier, les pauvres et les riches, et c’est joyeux : on est vraiment une famille et on va servir là où on nous envoie.
Je suis tellement content d’avoir un pape qui a un cœur catholique. Catholique, ça veut dire aussi large que le monde, avec une attention pour chacun. Et nous, nous devons beaucoup prier pour lui, car il aura besoin d’aide. Il faut prier pour la charge qu’il porte, parce qu’il en porte une « écrasante » !