par P. Rodrigue Gbédjinou
Il y a toujours quelque chose de fascinant dans le mystère de l’Église, également à travers l’élection du Successeur de Pierre. Quasi l’humanité entière était en attente. Au-delà de la méthode et des procédures du conclave, l’âme de l’Église s’exprime, déjouant presque souvent diagnostics et pronostics médiatiques, géopolitiques ou stratégiques. Cette âme, c’est Dieu qui convoque son peuple en Église. Cette âme, c’est le Christ qui a confié Son Église à Pierre et y est toujours présent. Cette âme, c’est l’Esprit Saint qui anime le peuple saint. Si le but se manifeste souvent dans le début, qu’augure ce pontificat, à partir du nom, de la première apparition et des premières paroles du pontife ?
Léon XIV : ce nom évoque celui de Léon XIII, pape dont l’époque ressemble à la nôtre. Ce temps de grande industrialisation était marqué par l’oubli de Dieu. Léon XIII avait alors, par de nombreuses encycliques, souligné la nécessité de Dieu. Aujourd’hui, les progrès sont inouïs et vertigineux. Cette hypertrophie des moyens charrie une cruelle atrophie des fins. Notre monde a besoin de réapprendre Dieu et son langage. Léon XIII est aussi reconnu pour la première encyclique sociale, Rerum Novarum (1891), où il a indiqué les limites du capitalisme et du marxisme. L’homme, route de l’Église, a aujourd’hui besoin d’être remis au cœur du progrès, pour ne pas en devenir l’esclave.
Léon XIV est apparu à la Loggia des bénédictions, vêtu de la mozette de velours rouge sur la soutane avec l’étole : peut-être un signe de sa conscience d’habiter le ministère en assumant, même par la posture, la tradition. La tradition est une garantie de fidélité et un repère pour l’avenir. Et son premier discours était écrit. Il manifeste ainsi une culture institutionnelle. L’Église est autant institution que corps mystique. D’ailleurs, ces temps complexes ont besoin d’un langage précis : un petit mot éveille et enflamme inutilement des polémiques médiatiques.
Ses premiers mots : « La paix soit avec vous », salutation biblique et liturgique. La paix renferme tous les biens de Dieu aux hommes. « Paix désarmée et désarmante, humble et persévérante ». L’avènement de cette paix dont le monde a un urgent besoin requiert le sens de la justice, la création de ponts et la pratique du dialogue. Le pontife, n’est-ce pas celui qui établit des ponts ? Notre société où se dressent barrières et murs a besoin de pontifes et de ponts comme nos cœurs devenus des îlots d’indifférence.
Le premier discours est fortement théocentré, dans la fidélité à Saint Augustin dont Léon XIV a rappelé être fils. Celui-ci a évoqué en ce court texte, au moins 16 fois Dieu, par des formules simples et profondes : « Dieu nous aime. Le mal ne l’emportera pas. Dieu nous aime inconditionnellement. Sans peur, main dans la main avec Dieu et entre nous, allons de l’avant ». Ce doigté pastoral est central : partir de Dieu.
Léon XIV a aussi rappelé la mémoire de son prédécesseur dont il est d’une certaine manière, le fruit du discernement : « Merci à François » a-t-il dit, en saluant le courage de sa dernière apparition. L’Eglise porte cette belle tradition de valorisation de l’héritage reçu : les ministères dans l’Eglise ne sont pas concurrents. Nous sommes grands en reconnaissant le bien qu’est ou qu’a fait l’autre.
Léon XIV a également exprimé sa vision d’une Église synodale en lien avec l’unité, par l’emploi deux fois du terme « ensemble » : marcher ensemble et chercher ensemble pour devenir une Église unie entre tradition et progrès dans la foi, entre Église universelle et Église locale.
Ce nom, cette première apparition et ces premières paroles annoncent, les temps le confirmeront, un ministère de continuité dans la discontinuité, un magistère de synthèse.
Père Rodrigue Gbédjinou
Théologien, directeur de l’École d’initation théologique et pastorale (Cotonou, Bénin)