Le pape François et Mgr Robert Barron

Le pape François et Mgr Robert Barron

Le pontificat de François 

Une analyse de Mgr Robert Barron

Share this Entry

 

« Ce qui m’intrigue peut-être le plus à propos du pape François, c’est ce qu’il n’a pas fait»

4 MAI 2025

De l’avis général, le cardinal Jorge Mario Bergoglio a remporté la papauté grâce à une intervention qu’il a faite lors d’une des congrégations générales précédant le conclave de 2013. L’archevêque de Buenos Aires a parlé de manière simple et passionnée d’une Église qui sort d’elle-même pour aller vers les marges, tant économiques qu’existentielles, afin d’apporter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Lassés par les scandales qui ont éclaboussé le pape Benoît XVI dans les dernières années de son pontificat et désireux d’une bouffée d’air frais, les cardinaux se sont tournés vers cet homme qui s’exprimait avec tant de clarté et de confiance. Le discours éloquent du cardinal Bergoglio s’inscrit dans la continuité des instincts les plus profonds des pères du concile Vatican II, de l’enseignement du pape Paul VI, du magistère riche et complexe du pape Jean-Paul II et du témoignage du pape Benoît XVI. Je crois que ses frères cardinaux ont correctement perçu dans son discours le meilleur de l’élan conciliaire et postconciliaire. 

Je crois aussi que le pape François a effectivement fait de l’ouverture évangélique au monde le leitmotiv de son pontificat. Lors de la visite ad limina des évêques californiens début 2020, j’ai entendu François dire qu’Evangelii Gaudium, son exhortation apostolique sur la nouvelle évangélisation, était « la clé pour comprendre » son magistère. Ce texte, dont le titre combine astucieusement Evangelii Nuntiandi de Paul VI et Gaudium et Spes de Vatican II, parle d’une Église en mission permanente, toujours dans une attitude d’extraversion joyeuse. 

À maintes reprises, dans ses sermons et ses présentations populaires, le pape François a exhorté les prêtres à « sortir des sacristies » et à descendre dans la rue, à se salir les mains et, plus célèbre encore, à « sentir l’odeur des brebis » qu’ils servent. Au début de son pontificat, on lui a demandé si cela le dérangeait de voir des prêtres vêtus de soutanes. Sa réponse : « Tant qu’ils retroussent leurs manches et se mettent au travail, je ne me préoccupe pas vraiment de ce qu’ils portent ». Dans une homélie mémorable prononcée il y a quelques années à l’occasion de la Messe Chrismale, le pape a déclaré aux prêtres que l’huile de leur ordination devait couler le long de leur tête, sur leurs vêtements et, enfin, de leurs vêtements dans le monde. Si ce flux est interrompu, a-t-il dit, l’huile sacrée devient rance.

 Tout cela est en accord avec une image de l’Église qu’il a employée dans les premiers mois de son pontificat, à savoir celle de l’hôpital de campagne. Un aspect essentiel de l’action missionnaire de l’Église concerne ceux qui ont été gravement blessés dans l’espace culturel dévasté de la postmodernité. Il est important de noter que les hôpitaux de campagne, au bord des champs de bataille, ne sont pas des lieux où l’on traite des blessures mineures ; ils sont destinés aux soins les plus urgents possibles. Je pense que la référence de François, dans son discours de la Congrégation générale, aux marges « existentielles » a été sous-estimée. Il laissait entendre que l’effort missionnaire de l’Église ne concerne pas seulement les personnes économiquement pauvres et politiquement privées de leurs droits, mais aussi celles qui sont pauvres intellectuellement, culturellement et spirituellement.

 Depuis une trentaine d’années, on assiste à une désaffiliation massive des jeunes occidentaux vis-à-vis des églises et à une augmentation simultanée de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires chez ces jeunes. En décrivant la mission vers les marges existentielles, François a fait entendre une voix prophétique. L’instinct des marges a conditionné bon nombre des mesures pratiques prises par le pape François : inclure davantage de femmes dans la gouvernance de l’Église, rehausser considérablement le profil de l’aumônier du Vatican, plaider en faveur des migrants et, plus remarquable encore, choisir des cardinaux aux quatre coins du monde, même dans de minuscules diocèses qui n’avaient jamais été considérés auparavant comme des sièges cardinalices. 

La marque la plus évidente du pontificat de François est peut-être la simplicité. Profondément marqué par la discipline ignatienne du détachement, François a cherché à incarner la pauvreté d’esprit qu’il souhaitait pour l’ensemble de l’Église. Comme on le sait, quelques jours seulement après son élection à la Chaire de Pierre, il est retourné à l’humble résidence cléricale où il avait été logé avant le conclave et a payé sa facture en personne. Il a choisi de vivre, non pas dans le palais papal, mais dans trois chambres rudimentaires de la Casa Santa Marta, la maison d’hôtes du Vatican (j’y ai séjourné une fois lors d’une conférence et je peux attester qu’elle est tout sauf élégante). 

Il s’est déplacé dans une Fiat presque comiquement minuscule. Je me souviens m’être tenu sur les marches de la cathédrale St. Matthew à Washington avec mes frères évêques à l’occasion de la visite de François aux États-Unis. Une flotte de véhicules de luxe s’est arrêtée l’un après l’autre, transportant des présidents, des premiers ministres et d’autres dignitaires, puis est arrivée la minuscule voiture papale, dont l’incongruité a suscité des réactions de la part des spectateurs.

Pendant les années François, les vêtements cléricaux ostentatoires ont été bannis (celui de Gamarelli étant régulièrement critiqué) et Castel Gandolfo, la charmante retraite papale située dans les collines à l’extérieur de Rome, est tombée en désuétude. Lorsque François a pris ses fonctions, l’Église était plongée dans une série de scandales financiers et d’abus sexuels particulièrement terribles. L’adoption par le nouveau pape d’un mode de vie plus pauvre et plus évangélique a séduit de nombreuses personnes dans le monde entier et a permis de changer la donne, du moins pendant un certain temps.

 Un autre thème clé de la papauté de François est la protection de la terre. Je comprends qu’en faisant cette remarque, je puisse donner l’impression que le pape François n’était guère plus qu’un écologiste standard de l’euro-gauche, mais ce serait une grave erreur d’interprétation. Lorsque son encyclique Laudato Si a été publiée, beaucoup l’ont considérée comme la lettre du «réchauffement climatique», mais c’est oublier de manière assez spectaculaire le fondement biblique et philosophique du texte. En appelant l’Église à se préoccuper à nouveau de la terre devenue, selon l’expression mémorable du pape, « un tas d’immondices », il faisait appel à une sensibilité biblique et prémoderne qui situait l’humanité dans le cadre plus large de la création de Dieu. 

Saint François d’Assise a bien sûr été une source d’inspiration pour Laudato Si, mais aussi le théologien extrêmement influent du XXe siècle qui a fait l’objet de la recherche doctorale du jeune Jorge Bergoglio, à savoir Romano Guardini. Dans un certain nombre de textes, mais surtout dans ses Lettres du lac de Côme, écrites au début de sa carrière, Guardini avait vivement critiqué la manière dont la philosophie moderne – anthropocentrique et technocratique – avait entraîné, à long terme, un abus de la nature. Il déplorait le déclin de l’architecture ancienne autour du lac de Côme, qui se conformait aux modèles et aux rythmes de la nature, au profit de bâtiments plus récents qui s’imposaient de manière agressive à l’environnement. 

Sous l’influence de Guardini, le pape François a méprisé un rationalisme cartésien qui voudrait « maîtriser la nature » et un scientisme baconien qui voudrait « mettre la nature au pas » pour l’obliger à révéler ses secrets. La préférence du pape pour une perspective prémoderne sur les relations entre l’homme et l’environnement, le rapproche des perspectives de Thomas d’Aquin et de l’auteur de la Genèse. Il convient également de noter qu’à cet égard, la pensée de François fait étroitement écho à celle de Benoît XVI, surnommé « le pape vert ».

 Il ne fait aucun doute que François s’est consacré à l’ensemble des questions que nous classons sous la rubrique « justice sociale », ce qui le place dans la lignée de pratiquement tous ses prédécesseurs depuis Léon XIII. Sa préoccupation pour ces questions a trouvé une expression dramatique dans sa visite aux réfugiés de Lampedusa, dans son « excoriation » du capitalisme sans entraves comme « une économie qui tue » et dans son insistance sur l’accueil des migrants. Une nouveauté de la doctrine sociale de François est l’extrapolation de l’éthique individuelle aux obligations éthiques qui devraient exister entre et parmi les nations.

 Dans son encyclique Fratelli Tutti, le pape a fait appel à l’enseignement catholique classique concernant la destination universelle des biens. Puisant ses racines dans la Bible, les Pères de l’Église et surtout Thomas d’Aquin, cette doctrine affirme que si la propriété privée est moralement admissible, l’usage de ce que l’on possède doit être régi avant tout par le souci du bien commun. Dans Rerum Novarum, Léon XIII s’est appuyé sur cet enseignement lorsqu’il a déclaré : « une fois satisfaites les exigences de la nécessité et de la bienséance, le reste de ce que l’on possède appartient aux pauvres ».

 François a appliqué le même principe aux relations internationales, insistant sur le fait que les pays riches, bien qu’ayant le droit de posséder leurs propres biens immobiliers et économiques, ont l’obligation morale d’aider les nations plus pauvres. En raison de ses prises de position, François a été qualifié – même par certains catholiques fervents – de marxiste, bien que « thomiste » aurait été une description bien plus juste. Avec une verve particulière, François a mis en lumière un thème cher à Jean-Paul II, à savoir que l’économie de marché ne doit pas être laissée à elle-même, mais plutôt circonscrite par une sensibilité morale. 

Ce qui m’intrigue peut-être le plus à propos du pape François, c’est ce qu’il n’a pas fait. Dans les premiers jours qui ont suivi son élection, le bruit courait qu’il était un « conservateur », un autoritaire que les Jésuites avaient exilé après des années difficiles dans l’administration. Mais très vite, lorsqu’il est apparu clairement que François penchait en fait du côté gauche du spectre idéologique, de nombreux membres de la gauche catholique ont commencé à voir en lui le sauveur libéral tant attendu, celui qui ferait renaître le rêve postconciliaire qui avait été brisé par Jean-Paul II et Benoît XVI. Ils étaient convaincus que François nous apporterait enfin des prêtres mariés, des femmes prêtres et le mariage gay, une libéralisation des enseignements de l’Église sur l’avortement, l’homosexualité, le transgendérisme et le contrôle des naissances. 

Or, il n’a rien apporté de tout cela. La grande capitulation catholique face aux exigences de la culture ne s’est pas produite sous sa direction, et il était extrêmement amusant de voir les médias catholiques libéraux tenter de s’en accommoder. En fait, l’avortement n’a pas eu d’adversaire plus puissant que François, qui l’a souvent comparé à « l’embauche d’un tueur à gages ». Il a également critiqué vigoureusement ce qu’il a souvent appelé « l’idéologie du genre », dont il a qualifié l’imposition aux pays en voie de développement de « colonisation idéologique ». 

Je peux témoigner que lors de l’ad limina de Californie, le pape François nous a exhortés, alors que nous quittions la salle, à lutter de toutes nos forces contre l’idéologie du genre qui, a-t-il dit, est répugnante pour la Bible et l’enseignement de l’Église. En ce qui concerne les femmes mariées et les femmes membres du clergé, François a effectivement permis que la question des femmes dans le diaconat soit soulevée lors du Synode sur la Synodalité, mais il l’a ensuite renvoyée à un groupe d’étude dont les conclusions apparaîtraient à un moment indéterminé dans l’avenir. On pourrait être pardonné de penser qu’il a effectivement botté en touche. Malgré son style parfois en roue libre et sa façon imprécise de s’exprimer, le pape François a maintenu la ligne, démontrant ainsi la mystérieuse direction de l’Esprit Saint sur l’enseignement doctrinal et moral de l’Église. Tout ce qui précède fait partie des réalisations concrètes du pape François. 

Et pourtant, ce que l’on lit dans presque toutes les évaluations du défunt pape, c’est qu’il était, à tout le moins, « controversé », « déroutant », « ambigu ». Certains commentateurs vont même jusqu’à dire qu’il était hérétique, sapant les anciennes traditions de l’Église. Je ne souscris pas du tout à cette dernière position, mais je sympathise dans une certaine mesure avec les premières caractérisations. Le pape François était un personnage déroutant à bien des égards, semblant se complaire dans la confusion des attentes, faisant des « zigs »quand on pensait qu’il ferait des « zags ». Il a dit aux jeunes rassemblés pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro de « hagan lío » (faites du désordre), et parfois il a semblé prendre plaisir à faire exactement cela.

L’un des moments les plus désordonnés du pontificat de François a été le Synode sur la famille, qui s’est déroulé en deux parties, en 2014 et 2015. Le fait que le cardinal Walter Kasper, partisan de longue date d’autoriser les catholiques divorcés et remariés à recevoir la communion, ait pris la parole au début du rassemblement indiquait assez clairement la direction que le pape François souhaitait donner au synode. Mais il s’est heurté à une forte résistance de la part des évêques, en particulier dans les pays en développement, et lorsque le document final a été publié, le fameux Amoris Laetitia, la question semblait étrangement non résolue, ouverte à une variété d’interprétations. Lorsque les apologistes du pape ont indiqué qu’une obscure note de bas de page enfouie dans le document apportait la clarté nécessaire, de nombreux membres de l’Église ont été, pour le moins, incrédules. Et lorsque quatre cardinaux ont demandé au pape de résoudre un certain nombre d’énigmes (dubia, dans le jargon technique) qu’Amoris Laetitia avait soulevées dans leur esprit, ils ont été fondamentalement ignorés.

 Amoris Laetitia contient en effet beaucoup de belles idées, mais elles ont été largement négligées en raison de la controverse et de l’ambiguïté qui ont accompagné le document. En effet, à la suite de sa publication, une sorte d’«anarchie doctrinale» s’est installée, les différentes conférences épiscopales ayant donné au document des interprétations différentes, de sorte que, par exemple, ce qui restait un péché mortel en Pologne semblait autorisé à Malte. Si l’une des principales responsabilités du pape est de maintenir l’unité de la doctrine et de la morale, il est difficile de voir comment le pape François a respecté cette obligation tout au long du processus synodal et de ses suites.

Et curieusement, il n’a pas semblé tirer de leçons de cette situation. En 2023, après le premier tour du Synode sur la Synodalité (plus d’informations à ce sujet prochainement), le chef doctrinal du pape François, le cardinal Victor Manuel Fernández, a publié la déclaration Fiducia Supplicans, qui permettait la possibilité de bénir les personnes vivant dans des unions de même sexe. Dire qu’une tempête de feu a éclaté dans le monde catholique serait un euphémisme, et l’opposition a été menée, une fois de plus, par des dirigeants catholiques de la sphère non occidentale. Dans une étonnante démonstration d’unité et de courage, les évêques d’Afrique ont déclaré qu’ils n’appliqueraient pas l’enseignement de Fiducia dans leurs pays, et le pape a fait marche arrière, leur permettant de s’écarter du document. Le fait que tout cela se soit déroulé immédiatement après une réunion de quatre cents dirigeants du monde catholique, qui n’ont jamais été consultés sur la question, dépasse l’entendement. Une fois encore le Pape essaya, avec difficulté de maintenir l’unité de l’Église.

Parfois aussi, les instincts admirablement généreux du pape ont semblé l’amener à dire des choses doctrinalement imprécises ou à approuver des comportements problématiques. Un exemple du premier cas serait son approbation, à plusieurs reprises, de la proposition selon laquelle toutes les religions sont des chemins légitimes vers Dieu, comme des langues différentes parlant la même vérité. Compte tenu de son enthousiasme manifeste pour l’évangélisation, je veux être généreux dans mon interprétation de ses paroles, les interprétant peut-être dans le sens de l’affirmation du Concile Vatican II selon laquelle il y a des éléments de vérité dans toutes les religions. Mais je pense qu’il est juste de dire que le pape a au moins donné la forte impression d’un indifférentisme religieux. 

Pour illustrer son soutien à des comportements problématiques, je citerai l’incident bien connu de la Pachamama lors du synode sur l’Amazonie en 2019. Bien qu’il subsiste une bonne dose de confusion quant à l’objectif du placement de la statue de Pachamama dans les jardins du Vatican lors d’une prière avec le pape, il est certainement juste de dire qu’il a suscité beaucoup de controverse et que les diverses tentatives d’explication n’ont fait qu’aggraver les choses. Une fois de plus, le pape s’est retrouvé au cœur d’une querelle qu’il a lui-même créée et qui n’avait pas lieu d’être, l’homme censé garantir l’unité la sapant au moins implicitement. 

Personne ne doute que le pape François soit doué pour la rhétorique, non pas à la manière académique de Jean-Paul II ou de Benoît XVI, certes, mais à la manière d’un curé de paroisse adepte de l’homélie populaire. Et son discours avait très souvent du mordant. Voici quelques-unes de ses perles : « M. et Mme Pleurnicheur » ; « Chrétien liquide » ; « Chrétien au visage poivré » ; « faible au point d’être pourri » ; « Église qui est plus vieille fille que mère ». Et je crois qu’il est juste de dire que son venin rhétorique était, le plus souvent, dirigé contre les catholiques conservateurs. En voici quelques autres : « l’esclave fermé et légaliste de sa propre rigidité » ; « les docteurs de la lettre »; « la rigidité cache la conduite d’une double vie, quelque chose de pathologique » ; « les professionnels du sacré ! Réactionnaires » et, plus célèbre encore, « rétrogrades ».

 Je sais que ces critiques acerbes ont souvent profondément découragé les catholiques orthodoxes, en particulier des jeunes prêtres et séminaristes, que le pape a un jour qualifiés de « petits monstres ». À une occasion, au cours de la première session du Synode sur la synodalité, le pape s’est adressé aux délégués assemblés. Ce type d’intervention papale directe était extrêmement rare, car le pape, et c’est tout à son honneur, n’a pas cherché à influencer ou à dominer excessivement la discussion. Il a parlé, sur un ton sarcastique, des jeunes clercs de Rome qui passent trop de temps dans les magasins de mercerie cléricale, à essayer des chapeaux, des cols et des soutanes. Il est possible que certains prêtres et étudiants immatures soient préoccupés par ce genre de choses, mais j’ai trouvé extrêmement étrange que le pape ait choisi ce sujet pour cette rare occasion de s’adresser à certains des plus hauts responsables de l’Église. 

Pour moi, cela dénote une curieuse fixation et une diabolisation des esprits les plus conservateurs. Et ce qui rend les choses encore plus mystifiantes, c’est que François devait savoir que l’Église prospère précisément parmi ses membres les plus conservateurs. Alors que la célèbre église libérale d’Allemagne dépérit, l’église conservatrice du Nigéria, orientée vers le surnaturel, explose en nombre. Et en Occident, les parties les plus vivantes de l’Église sont, sans aucun doute, celles qui embrassent une orthodoxie vibrante plutôt que celles qui s’accommodent de la culture sécularisée. De nombreuses expressions et anecdotes du pape étaient effectivement drôles, mais il serait difficile de les qualifier d’invitations au dialogue avec des interlocuteurs conservateurs.

En guise de conclusion, je voudrais dire quelques mots sur la synodalité, que François lui-même identifierait, je crois, comme son thème de prédilection. J’ai eu le privilège d’être un délégué élu aux deux sessions du Synode sur la Synodalité. Pendant deux mois, j’ai écouté et parlé avec des représentants du monde entier, et j’ai beaucoup appris sur la manière dont les catholiques relèvent les défis dans des milieux culturels remarquablement divers. J’ai beaucoup apprécié les conversations, qu’il s’agisse des échanges formels autour de la table ou, plus encore, des discussions informelles pendant les pauses café. J’ai appris à comprendre le processus de discernement par la prière, inspiré par les jésuites. 

J’ai également appris, je dois l’admettre, à apprécier les limites de la synodalité. Bien que chaque dialogue ait été animé et instructif, très peu d’entre eux ont progressé vers une décision, un jugement ou une résolution. La plupart sont restés bloqués à ce que Bernard Lonergan appellerait la deuxième étape du processus épistémique, à savoir être intelligent ou avoir des idées brillantes. Ils ne sont pas passés au troisième niveau de Lonergan, qui est l’acte de porter un jugement, et encore moins à son quatrième niveau, qui est celui de l’action responsable. Nous étions si respectueux du « processus » de la conversation que nous avions presque la phobie de prendre une décision.

C’est un problème fatal pour les chrétiens chargés du commandement évangélique d’annoncer le Christ au monde. Le résultat est quelque chose qui, à mon avis, répugne à ce que le pape François a toujours dit qu’il voulait que l’Église soit : extravertie, orientée vers la mission, pas coincée dans la sacristie. Je me suis parfois demandé, au cours des deux cycles du synode, si la synodalité ne représentait pas une tension dans l’esprit et le cœur de François lui-même.

De tous les papes de ma vie, François est, de loin, celui que j’ai le mieux connu. J’ai vécu avec lui trois Octobres : les deux déjà mentionnés, et un troisième pour le Synode des jeunes en 2018. Pendant ces merveilleux mois, je l’ai vu pratiquement tous les jours et j’ai eu quelques occasions de lui parler. Je l’ai également rencontré lors d’une visite ad limina et lors d’une poignée d’autres audiences. Je l’ai toujours trouvé gracieux, drôle et accessible ; une fois, nous avons eu une conversation spirituelle brève mais intense. Je le considérais comme mon père spirituel et je pleure sincèrement sa disparition. Requiescat in pace. 

 

Share this Entry

Rédaction Zenit

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel