P. Michel Viot, © eglise.catholique.fr

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De la continuité à l’unité

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Entretien avec le père Michel Viot

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Dans le contexte du 60e anniversaire d’ouverture du concile Vatican II, le père Michel Viot, prêtre du diocèse de Paris et écrivain, nous livre, dans un entretien accordé à Zenit, ses réflexions basées sur son expérience spirituelle et pastorale.

 

Paris, le 14 octobre 2022

Zenit : Mon père, 60 ans se sont écoulés depuis le début du concile Vatican II. Comment pouvons-nous comprendre et vivre les évolutions actuelles de l’Église et du monde ?

Père Michel Viot : Nous devons comprendre les évolutions dans leur contexte historique respectif et les ramener à la vie d’Église dans une dynamique de continuité. Les pontificats de François et de Benoît XVI ne contredisent pas ceux de leurs prédécesseurs. Ils emploient juste des moyens différents, selon les circonstances. Ils s’inscrivent à d’autres époques, s’adressent à des pays très divers : l’Église de France n’absorbe pas la vie de l’Église universelle. Les problématiques françaises diffèrent de celles des Etats-Unis, de l’Italie ou de l’Allemagne, sans parler des Églises plus jeunes d’Afrique ou d’Asie.

 

Quels sont les grands enjeux du temps présent dans l’accomplissement du concile ?

M. V. : Notre Église est aujourd’hui confrontée au risque d’Églises parallèles, là où le concile Vatican II est considéré avec défiance, comme une rupture avec le passé. Si la forme liturgique a connu d’importantes modifications, ni le fond théologique ni la forme ont changé essentiellement. Le rite actuel du baptême semble avoir limé les exorcismes, probablement sur les recommandations de théologiens peu avertis sur la portée liturgique et pastorale de leurs choix. Néanmoins, il les contient sous une forme modifiée et le geste fondamental reste valide. Pareil pour le rite d’ordination épiscopale, fondement constitutif de l’Église : à travers les onctions l’essentiel est conservé. Le grand enjeu est celui de l’unité comme fruit d’une herméneutique de la continuité, comme l’avait dit Benoît XVI.

 

Le concile Vatican II a-t-il donné lieu à de possibles ambiguïtés dans l’interprétation ?

M. V. : On a vu, en effet, poindre des courant théologiques – notamment, en France, celui du père dominicain Jean Cardonnel de la province de Toulouse, qui aura marqué de nombreux disciples allant très loin dans une interprétation libérale du concile. On peut parler d’un concile mal expliqué et devenu parallèle.

Par ailleurs, les observateurs protestants au concile, comme le luthérien Oscar Cullmann et le réformé Hébert Roux, se sont tenus avec plus de rigueur aux textes du concile et les ont mieux compris.

Ce qui a existé au concile de Trente et a manqué à Vatican II était un ordre religieux, comme celui des Jésuites, pour déployer toutes les potentialités de l’œuvre de l’Esprit Saint à travers les Pères conciliaires.

Cependant, à ce courant de rupture libérale, on ne peut pas reprocher son franc-parler, dans lequel on peut reconnaître le caractère du pape François.

 

La France a connu forte vague de déchristianisation dans les décennies qui ont suivi le concile. Le concile n’a-t-il pas déstabilisé les fidèles ?

M. V. : La déchristianisation commence avant le concile, autour de 1960. L’Église de France vit une crise, une sorte de syndrome de Vichy : pour rester dans la légalité, l’Église s’était alignée au pouvoir de la France de la capitulation, autrement dit à la dictature «  légale » du Maréchal Pétain. À la fin de la guerre, le général de Gaulle avait demandé la démission à 60 évêques et du nonce apostolique, monseigneur Valerio Valeri. Son successeur, néanmoins, monseigneur Angelo Roncalli, futur Jean XXIII, a arrondi les angles et obtenu le départ à une retraite anticipée de 3 évêques. Frappé par son passé, humilié, le clergé a préféré se retirer de la scène publique et s’enfouir dans l’anonymat.

Au moment des guerres coloniales, en 1956, le clergé a réagi vivement contre la colonisation française. Les jeunes recrutés ont été sermonnés non seulement contre la politique du général de Gaulle, mais aussi contre l’héritage culturel français et son œuvre civilisatrice des peuples.

Après la divulgation de l’humanisme athée de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir et de la psychanalyse de Michel Foucault, mêlée de propagande communiste anticléricale, le mouvement révolutionnaire de mai 1968 s’est concentré sur les universités, réalisant la destruction de la morale – ce à quoi un Jules Ferry n’avait pas osé toucher. La future intelligentsia a été formée à la déliquescence morale.

L’idéal du catholicisme français qui s’est perdu n’est pas à rechercher dans les écrits de Charles Maurras, mais dans la méditation profonde que Georges Bernanos a produite sur les idéaux de l’Évangile et sur l’Église.

 

Le chemin synodal de l’Église en Allemagne ne voulait-il pas anticiper le synode sur la synodalité ? Pourquoi l’unité est-elle mise à risque plus en Allemagne que dans la démarche du pape François ?

M. V. : Comme ancien évêque protestant, avant mon retour à l’Église catholique, j’ai pu observer le paysage religieux allemand. Dans un souci d’œcuménisme, l’Église catholique allemande glisse imperceptiblement vers la création d’un deuxième protestantisme, dont la gouvernance – contrairement à la synodalité catholique – est d’ordre consultative et délibérative. Or, nous voyons en Allemagne, un luthéranisme en recul constant. L’essor qu’il avait eu en République Démocratique d’Allemagne (RDA), créant des forums de libre parole par rapport au régime totalitaire, s’est estompé à la chute du communisme.

Le chemin synodal allemand risque d’avoir des répercussions sur la question de l’impôt pour l’Église (Kirchensteuer) : le compromis avec le pouvoir politique, si  l’Eglise en Allemagne prenait des distances avec Rome pourrait-il subsister, lui qui en assurant l’adhésion du plus grand nombre de fidèles, permet le  maintien financier des œuvres. Or, selon le concordat, cet impôt n’est pas attribué à la conférence des évêques : il n’est effectif que dans la communion des évêques avec Rome. Dans ce sens, un chemin synodal divergent peut mener à la faillite.

En revanche, l’Église trouvera toute sa force et son rayonnement renouvelés dans la communion des évêques et de leur Église particulière avec l’évêque de Rome. D’où l’intérêt d’associer à la mission de l’Église universelle le peuple tout entier.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour approfondir : Père Michel Viot, La révolution chrétienne,  entretien avec l’abbé Guillaume de Tanouarn, édition de L’homme nouveau.

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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