Pour « le catholicisme et sa diplomatie », « le cœur du sujet, le message central, c’est l’humain, la personne », a déclaré le card. Michael Czerny, préfet du dicastère pour le service du développement humain intégral. « Par ‘intégral’, a-t-il expliqué, nous entendons le développement de toute la personne et le plein épanouissement de chaque personne. Et par ‘développement’, nous entendons la réalisation du potentiel. »
C’est ainsi que le cardinal Czerny a formulé le point central de l’enseignement social catholique en intervenant à l’événement « La contribution du catholicisme au développement durable mondial » organisé par l’Université Carleton et l’Université de St. Michael à l’Université de Toronto, au Canada.
En se référant au titre de la conférence ainsi qu’aux deux encycliques sociales du pape François, Laudato si’ (2015) et Fratelli tutti (2020), le cardinal a expliqué que « ‘global’ signifie tous les frères et sœurs, cela ne signifie pas que l’arrangement actuel favorise quelques-uns ». « Durable » signifie « soutenir les personnes et la planète, pas seulement laisser le modèle économique actuel continuer à nous échapper tout en soutenant les modèles de gouvernance dysfonctionnels actuels ». En ce qui concerne le « développement », il est considéré comme « développement si et seulement s’il signifie à la fois « humain », qui inclut tout le monde, et « prendre soin de la maison commune » ».
Le préfet a rappelé que, « puisqu’il n’y a qu’une seule maison commune, une seule planète, alors nous ne pouvons pas simplement continuer à grandir, à avancer, à accélérer plus vite ; et puisqu’il n’y a qu’une seule famille humaine créée par Dieu, nous sommes tous frères et nous devons de toute urgence nous traiter comme tels ».
« La contribution catholique, a-t-il souligné, « ne consiste pas seulement à énoncer correctement le grand objectif : c’est aussi continuer à identifier les obstacles qui – souvent inconsciemment, parfois malicieusement – entravent le développement humain intégral ». En d’autres termes, « alors que d’autres diplomaties évitent le vrai problème et mettent en avant des solutions partielles ou fausses, le discours et la diplomatie catholiques continuent de répéter leurs principes vraiment profonds de l’objectif commun et de tout ce qui se dresse sur son chemin ».
Fratelli tutti : « liberté, égalité, fraternité »
Le cardinal a rappelé que « les fondements du monde occidental, dans sa configuration socio-politique et économique actuelle, reposent sur les idéaux des Lumières qui ont été résumés dans la célèbre devise « ‘liberté, égalité, fraternité’ ». En mettant « la solidarité universelle au centre de ses préoccupations », l’encyclique Fratelli tutti « ne pouvait pas éviter de s’engager dans une comparaison » avec la formulation de ces principes dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), élaborée pendant la Révolution française.
Le card. Czerny a expliqué que Fratelli tutti « pose la question suivante : que signifient aujourd’hui pour nous des mots tels que liberté, égalité et fraternité ? » À son tour, le préfet a posé une question : « Si nous considérons les atrocités commises contre la dignité humaine, dont nous sommes encore témoins aujourd’hui – génocide, torture, peine de mort, intégrisme, racisme, discrimination contre les femmes et les filles, sans parler d’une douzaine de guerres catastrophiques qui se déroulent toutes en même temps – pouvons-nous vraiment maintenir l’’universalité’ des droits de l’homme comme s’étendant également à tous? ».
Du point de vue du pape, a-t-il expliqué, « il faut partir de la fraternité ‘consciemment cultivée’ » « pour éclairer ce que sont la liberté et l’égalité et comment les comprendre ». « Le fait que nous soyons tous frères et sœurs, a poursuivi le cardinal, est plus qu’un sentiment générique de solidarité fondé sur la reconnaissance commune d’une identité nationale, puisqu’il précède les droits et les devoirs sur lesquels la coexistence civile est établie et va au-delà. »
Dans cette optique, l’égalité « doit plutôt être le résultat d’une « culture consciente et attentive de la fraternité », a souligné le cardinal citant encore Fratelli tutti : « Cela signifie être éduqué et formé pour reconnaître l’autre être humain comme mon semblable [“fellow human being”] et mon égal. » En revanche, a dit le préfet, « toute idée d’égalité fondée exclusivement sur des lois adoptées (le droit positif) par la société, sur la personne humaine définie juridiquement en tant que citoyen (homo societatis), crée des ‘mondes clos’ et traite des relations humaines comme un contrat entre ‘associés’ commerciaux ».
À moins que « nous ne nous reconnaissions tous comme frères et sœurs, a expliqué le card. Czerny, l’exercice de la liberté est restreint et réduit à l’autonomie, expression plus faible de la liberté humaine ». « La conclusion » à laquelle parvient le pape François est « claire » : « L’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus fraternels. »
S’agissant du sens de termes tels que liberté, égalité, fraternité, a poursuivi le cardinal, « le fond du problème réside dans une ‘reconnaissance fondamentale’ : attribuer une valeur et une dignité à la personne humaine indépendamment de toute origine historique, géographique, culturelle ou des facteurs politiques ».
Le droit au développement humain, a souligné le préfet, « ne peut être soumis à aucun calcul de profit, ni à aucune revendication d’utilité sociale, ce qui finit par justifier l’option de laisser de côté les plus faibles ou les moins doués ». « Notre compréhension » de « ce grand droit » au développement humain, a-t-il dit, « doit toujours maintenir l’individu dans le tissu d’un ‘nous’ social – sinon, notre vision des droits de l’homme se dissout dans diverses contradictions insolubles ». Cette « large prémisse de la communauté comme condition nécessaire de l’individu … nous permet d’élargir le sens de la fratrie et de souligner la nécessité d’interpréter correctement les droits de la personne humaine ».
Sur la base de cette approche, « le pape revisite de manière originale deux thèmes clés de la doctrine sociale de l’Église » : le principe de solidarité et le rôle social de la propriété.
Solidarité : « éduquer et former les nouvelles générations »
Concernant le principe de solidarité, le pape François « appelle les grands acteurs de l’éducation et de la formation – familles, écoles, paroisses, centres culturels et récréatifs, etc. – à se consacrer à ‘la culture consciente et attentive de la fraternité’ ». « La transmission des valeurs de liberté, de respect mutuel, de partage et d’inclusion est peut-être la principale forme de solidarité qui leur est demandée face aux crises actuelles de l’éducation », a souligné le cardinal.
« Éduquer et former les nouvelles générations à la solidarité universelle » les aide « à comprendre que la solidarité est une manière de se situer dans la vie et dans l’histoire ». En ce sens, « être frères et sœurs, c’est la capacité de se sentir proches des autres au point de ‘souffrir’ avec eux ».
Contrer la « culture du jetable » « est aussi une forme de solidarité sociale », a noté le préfet. Comme « la solidarité effective conduit toujours à lutter contre la pauvreté et ses diverses causes, diverses idéologies se dressent inévitablement contre elle ». Cependant, « se mettre au service des autres nous protège des distorsions idéologiques, car servir son prochain, c’est servir des personnes réelles et concrètes, pas des idées ».
La propriété privée et son rôle social
Le card. Czerny a rappelé que, selon le pape François, le droit à la propriété privée « découle du principe de la destination universelle des biens ». En continuité avec les enseignements des papes Paul VI et Jean-Paul II, le pape François « soutient que le droit à la propriété privée n’est pas absolu, mais doit être considéré comme ‘secondaire’ et ‘dérivé’ de la destination universelle des biens ».
Si « le critère de l’amour qui transcende les limites de soi est appliqué au droit à la propriété privée et aux autres droits connexes, alors cela aura des répercussions sur le fonctionnement de chaque État et sur les relations internationales entre les États ». En effet, « chaque nation est responsable du développement des autres pays et de la promotion du développement intégral des peuples, même au-delà de ses propres frontières ».
Le pape François « appelle les pays à économie avancée à aider plutôt qu’à dominer les pays à économie émergente dans un appel du fond du cœur à la solidarité afin que chacun ait le nécessaire pour vivre … dans la dignité ».
Discerner les problèmes mondiaux d’aujourd’hui « selon le critère de l’amour signifie stimuler et accompagner des processus, et non imposer certaines approches ». En ce sens, « notre perspective et notre point de vue doivent changer » : nous devons « regarder la liberté personnelle à travers le prisme de la fratrie, partageant un sentiment d’appartenance à l’autre, et non à travers le mythe de l’individualisme de la Révolution française ». De même, « notre notion de propriété privée doit reconnaître la priorité du droit de chacun à accéder aux biens de la terre ».